Nicette et Milou/Le Grand Milou/15

Calmann-Lévy (p. 309-313).


XV


Le lendemain matin la Poulette va voir comment se porte la demoiselle Céleste. Elle cogne, rien… Alors elle ouvre la porte et pousse un cri d’épouvante.

— Est-ce possible ! fait le cousin à Guéral, accouru aussi vite qu’a pu marcher la jument.

Et avec le juge de paix et le greffier qu’il court prévenir, tous trois s’en vont à Maumont.

En voyant la morte les genoux ployés, ils ont la même pensée : on l’a tuée, puis pendue !

— Il faut envoyer chercher Rudel, dit le juge, c’est grave.

Pendant qu’un homme du village, monté sur la jument de la maison, court à Chasseins, le magistrat soupçonneux interroge Guéral et sa femme, bien inutilement d’ailleurs.

Deux heures après, M. Rudel arrive et se dit comme les autres en voyant la position du cadavre : « On l’a tuée ! » car il n’est pas très fort en médecine légale.

— Il est nécessaire d’examiner tout avec soin, dit le juge, cette mort est suspecte.

Un drap de lit est déployé sur la grande table et dessus on porte la pauvre Céleste. Pour rechercher les traces de violences qu’il soupçonne, le juge la fait déshabiller par la Poulette qui pleure.

La voilà dans sa nudité rigide. C’est un beau corps de femme, robuste et sans tare. Ses larges flancs, que ne comprima jamais le corset, étaient bien idoines à porter de beaux enfants et ses seins amples, bien propres à les allaiter…

Misérable Rudel !

Froidement, le « chirurgien » procède à l’examen. Les jambes sont congestionnées et d’un rouge violacé. Les mains sont de même et les ongles d’un bleu foncé. Autour du cou, un sillon brun, parcheminé, passe à la partie antérieure et remonte obliquement à partir de l’angle des mâchoires. La langue pend horriblement, serrée entre les dents. Le « chirurgien » examine, cherche… aucune trace de violence. Il écarte les cheveux noirs qui pendent comme une épaisse crinière… rien à la tête non plus… Il faut bien conclure qu’elle s’est défaite.

En cherchant les clefs dans les poches de sa cousine, le maire trouve un bout de ruban fané ; il le montre au juge… M. Rudel le reconnaît et comprend maintenant. Il a fait deux victimes de plus, mais cela ne le trouble pas autrement. Il relève le drap, recouvre le corps, puis le maire rappelle la Poulette, fait ensevelir la morte dans un second linceul et on la porte sur le lit.

Maintenant, il s’agit de l’enterrer « décemment », car une fille de bonne bourgeoisie campagnarde ne peut être mise en terre sans cérémonie comme la pauvre petite Nicette. Mais les parents — et héritiers, — accourus, sont fort empêchés, à cause de la pendaison.

Un homme bien ennuyé aussi, c’est le curé. La demoiselle Céleste s’étant suicidée, il ne peut lui « faire les honneurs » religieux ; et un enterrement comme celui-ci rapporte gros, sans compter le service de huitaine, de bout de l’an et les messes…

Mais si quelqu’un de grave, d’autorisé, lui assurait qu’elle ne s’est pas défaite volontairement ?… ou qu’elle a perdu la raison tout d’un coup ?

Justement, le lendemain, voici le maire qui en sa qualité de cousin, vient en députation avec l’oncle de Périgueux, prier M. le curé d’enterrer Céleste.

— La pauvre misérable a eu un accès de folie subit ! affirme l’oncle en cheveux blancs.

Le curé hoche la tête.

— La famille serait désolée qu’elle ne passât pas à l’église, reprend le maire : une fille de bonne maison ! et qui pratiquait…

— Oui, elle faisait ses pâques, interrompt le curé.

— Ce serait un scandale pour la paroisse et un quasi déshonneur pour les parents… M. le curé peut compter sur leur reconnaissance…

Il ne demande pas mieux que de faire l’enterrement, M. le curé ; mais il voudrait une bonne raison de croire que la demoiselle ne s’est pas détruite, de sang-froid du moins.

Le maire peut assurer que la volonté n’y était pas. Deux heures auparavant, sa cousine lui a porté quatre cents francs à placer ; forte preuve qu’elle ne voulait pas se pendre !

— En effet, dit le curé enchanté.

Et voilà comment Céleste Nougarède, la malheureuse suicidée, eut un bel enterrement hors classe, avec tous les curés d’alentour, force cierges, le plus riche ornement de deuil de la paroisse, messe chantée avec diacre, sous-diacre, et le serpent des grands jours.


Requiescat in pace !



FIN