Neuf Upanishads, la théosophie des Védas/Préface du traducteur

Traduction par G. R. S. Mead et Jagadisha Chandra Chattopadhyaya en anglais ; traduction française de Jean-Émile Marcault Élément soumis aux droits d’auteur..
(p. i-iv).

PRÉFACE DU TRADUCTEUR


Le présent volume constitue le premier recueil d’Upanishads[1] paraissant en langue française. M. F. Herold a publié en une plaquette la Brihadaranyakopanishad[2] ; M. Regnaud, dans ses précieux « Matériaux pour servir à l’histoire de la philosophie de l’Inde »[3], a donné le texte et sa traduction de nombreux fragments des principales Upanishads ; d’autres passages sont disséminés dans quelques travaux spéciaux ; mais il n’existait pas d’ouvrage groupant ensemble plusieurs des plus importantes Upanishads traduites en français. — Cette lacune s’explique aisément : Il n’est pas un seul des érudits ou des savants français s’adonnant à l’étude de l’Inde antique, à qui ne soient accessibles les belles traductions latines, allemandes ou anglaises qu’ont données des Upanishads les plus éminents sanscritistes européens. D’autre part, les difficultés et les lenteurs de cette étude l’ont maintenue longtemps dans l’incertitude de la recherche, et l’absence de conclusions générales positives lui interdisait tout essai de vulgarisation.

Cette période d’isolement paraît toucher à sa fin. Non que les résultats de la critique au sujet des philosophies de l’Inde soient unanimes et définitifs. Mais le public intellectuel se montre plus avide d’apprendre que les savants d’enseigner. Sollicité par les plus avisés de ses guides favoris, l’intellectualisme contemporain a senti frémir au fond de son être le vieux mysticisme, latent sous les négations mêmes des écoles modernes. Schopenhauer n’a-t-il pas dit : « Il n’est au monde aucune étude… aussi bienfaisante et élévatrice que celle des Upanishads. Elle a été le réconfort de ma vie ; elle sera la consolation de ma mort[4] ». Réconfort, consolation, — mots inattendus sur les lèvres du grand pessimiste, et dont la secrète espérance a tourné vers l’Orient bien des regards anxieux d’une nouvelle aurore. Et tandis que les savants discutent philologie, chronologie, analogies, dissèquent l’anatomie des systèmes, l’âme contemporaine aspire à consulter l’âme antique ; il lui faut la vie du corps livré aux scalpels des anatomistes.

Il semble qu’il est temps de faire droit à sa requête et de présenter au public de langue française, telle qu’elle s’exprima jadis dans la terre aryenne, la pensée même des vieux sages de l’Inde.

La traduction de MM. Mead et Chattopâdhyâya est strictement littérale. Elle offre, avec les traductions existantes quelques divergences de détails, mais la comparaison montre qu’elle suit le texte de plus près. Aussi bien la collaboration des auteurs était de nature à nous rassurer sur la fidélité de leur version. Et dans le conflit qui règne encore parmi les sanscritistes au sujet du sens de certains termes techniques[5] la présente traduction, approuvée par d’éminents savants hindous, se recommande par une compréhension approfondie du mysticisme philosophique des Upanishads.

Comme tes auteurs eux-mêmes, nous laissons aux Upanishads le soin de plaider elles-mêmes leur cause, et nous osons espérer que ce recueil recevra du public intellectuel et mystique de France Ie bienveillant accueil que nous lui croyons destiné.

E. Marcault.



  1. Upanishad se prononce Oupanichade ; au reste, tous les u des mots sanscrits ou pâlis se prononcent ou.
  2. L’Upanishad du Grand Aranyaka, par A. F. Hérold, Paris 1894.
  3. Bibliothèque de l’École des Hautes Études, 28e et 34e fascicules, 1876.
  4. Cité par Max Müller dans : The Six Systems of Hindu Philosophy, p. 253. — Voir aussi le début du grand ouvrage de Schopenhauer : Le Monde comme Representation et comme Volonté.
  5. Max Müller, dans The Six Systems of Indian philosophy, écrit ce qui suit : « Je ne veux pas donner à penser que je considère ma traduction actuelle comme entièrement dénuée d’incertitude. Nos meilleurs critiques savent combien nous sommes encore loin d’une compréhension parfaite des Upanishads. »