Ne nous frappons pas/Risible Confusion

Ne nous frappons pasLa revue blanche (p. 109-112).

RISIBLE CONFUSION

Je ne sais rien de l’actuel état météorologique de la capitale, mais je puis vous affirmer que le temps dont nous jouissons ici à la campagne est purement délicieux.

Jamais, autant que cette année, je n’avais senti le mélancolique exquis de l’automne et son charme pénétrant.

Toute la campagne à l’air d’être en or.

Aussi décidai-je de rester ici encore une quinzaine de jours : après tout, je ne suis pas complètement indispensable à la vie de Paris, n’est-ce pas ?

Un vieux berger que je consultais sur la durée probable du beau temps m’a répondu, après avoir gravement consulté les quatre coins de l’horizon :

— Dame ! mon bon monsieur, voilà : une supposition que les vents viendraient à tourner d’amont, ça ne serait pas signe de pluie.

Je dus me contenter de ce sibyllin tuyau.

N’importe, il peut pleuvoir, si ça lui fait plaisir (à Il), je me sens bien ici et j’y reste.

Je me suis remis à un sport que je n’avais pas pratiqué depuis bien longtemps : je lis.

J’ai tellement lu que la petite bibliothèque de ma villa est maintenant épuisée et que je me vois contraint de faire venir des livres de la cité voisine où, par bonheur, existe un libraire fort bien approvisionné.

La fermière, en portant ses produits en ville, veut bien se charger de mes commissions.

Chaque matin, dès le tout petit jour, le sabot de sa vieille rouanne, heurtant le pavé de la cour, me réveille.

— Bonjour, monsieur Alphonse.

— Bonjour, mère Rousset.

Et je lui remets une liste de différents objets qu’elle me rapportera de la ville.

Elle était déjà remontée dans sa voiture quand, soudain, je me rappelai :

— Ah ! j’oubliais, mère Rousset, vous me rapporterez aussi le Mystère des Foules.

Un léger étonnement teinta la face ridée de la vieille campagnarde.

J’ajoutai :

— Vous ferez attention, mère Rousset, c’est en deux volumes.

Deux volumes ! Évidemment, elle n’avait pas compris : des volumes ! Qu’est-ce que c’est que cette bête-là ?

Je simplifiai en lui disant :

— Deux livres.

— Bien, monsieur.

Et la voilà partie.

… Depuis longtemps, l’envie me tenait de relire le beau livre de Paul Adam, dont je n’avais pris, à Paris, qu’une connaissance superficielle.

… Vers midi, comme d’habitude, l’attelage de la mère Rousset s’arrêta devant ma demeure.

La bonne femme me remit différents paquets, puis, me regardant d’un air méfiant :

— Quant à ce qui est de la chose pour les volailles, le pharmacien a rigolé…

— Le pharmacien ?… Les volailles ?…

— Oui, il a dit comme ça que monsieur avait dû se gausser de moi.

— Je ne comprends rien à ce que vous me racontez, ma bonne femme.

— Monsieur ne m’avait-il pas dit de lui rapporter deux livres de drogues pour le clystère des poules ?

Je poussai un gémissement inarticulé.