Ne nous frappons pas/Reconstituons notre système de défense nationale

RECONSTITUONS NOTRE SYSTÈME DE DÉFENSE NATIONALE

On n’en finira donc jamais avec ces N… de D… d’espions ! Dernièrement, un Italien, le général Giletta n’a-t-il pas été arrêté à Nice ?

Est-ce que cela ne vous casse pas bras et jambes de ne plus se sentir tranquille chez soi, et de penser que le plus pâle de nos cantonniers français ne peut pas casser un mètre de cailloux sans que les états-majors de la Triplice en soient avisés au plus tôt ?

C’est donc, ou jamais, l’occasion de publier la curieuse proposition que voici :

« Cher monsieur Allais,

» Sous des dehors sceptiques, vous cachez (je le tiens d’une de vos anciennes maîtresses) l’âme vibrante d’un hautain patriote.

» Aussi, est-ce à vous que je m’adresse, sans hésiter, pour la vulgarisation du projet suivant :

» Vous n’ignorez pas que voilà notre système de défense nationale horriblement compromis.

» Nos secrets militaires sont depuis longtemps la proie de l’étranger et messieurs nos ennemis détiennent des cartes de France comme je nous en souhaiterais à nous-mêmes.

» Une idée m’est venue que je crois géniale.

» Jugez-en :

» Les états-majors étrangers connaissent la France mieux que nous : c’est entendu.

» Ils possèdent des cartes de notre pays d’une effroyable précision et d’une mise à jour terrifiante : nul ne le nie !

» Eh bien ! avec un peu de bonne volonté de la part de tous les bons Français, on pourrait réduire à néant cette formidable documentation.

» Il s’agirait de changer de fond en comble l’organisation routière de la France.

» Saisissez-vous ?

» Il faudrait que, dès demain, tout le monde s’y mettît (sic) : l’État, les départements, les arrondissements, les cantons, les communes, les simples particuliers.

» Les routes nationales, on les rétrécirait jusqu’à les transformer en sentiers. (Les sentiers sont d’étroits chemins, comme a dit Albert Mérat, ce poète mort vieux.)

» Les simples chemins communaux, on les transformerait en voies de grande communication, etc., etc.

» Il y a certaines routes qu’on supprimerait complètement, d’autres qu’on créerait de toutes pièces.

» Sans compter qu’on pourrait changer l’orientation de toutes ces routes : celles qui vont de l’Ouest à l’Est, elles iraient de l’Est à l’Ouest. Et réciproquement.

» La voyez-vous d’ici, la tête de l’état-major allemand devant ce chambardement routier ?

» Et tous ces superbes atlas qui ne seraient plus bons qu’à envelopper leurs saucisses de Francfort ! Ce serait à mourir de rire.

» Mais ce n’est pas tout.

» … J’ai observé qu’en campagne, les clochers des églises fournissent de précieux renseignements pour la détermination de la position des villages. (Cette remarque, d’ailleurs, ne m’est pas strictement personnelle.)

» Il faudrait alors faire un chaleureux appel au patriotisme du clergé français.

» Au lieu d’être fixes, comme cela se pratique généralement, les clochers seront mobiles.

» Vous n’ignorerez pas qu’en Amérique on déplace couramment des maisons d’une dizaine d’étages.

» En cas d’invasion, les clochers posés sur d’énormes rouleaux se déplaceront, halés par toute la population, et viendront se placer au cœur même de la rase campagne, complétant ainsi le déroutement des armées ennemies.

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» Agréez, etc.

» Un agent voyer patriote. »


Certes, si un projet fut pratique et facilement réalisable, c’est bien celui-là.

Qu’en pense notre ministre de la guerre ?