Ne nous frappons pas/Projet d’attitude anti-amicale vis-à-vis de l’Angleterre

PROJET D’ATTITUDE ANTI-AMICALE VIS-À-VIS DE L’ANGLETERRE

Bien entendu, je laisse à mon honorable correspondant la responsabilité des expressions plutôt vivaciteuses qui émaillent son intéressante épître.

« Cher Monsieur,

» Vous qui êtes né dans un port de mer de l’Ouest, vous me comprendrez.

» Fils de Bretons, Breton moi-même, j’ai sucé, tout jeune, l’irréductible lait de l’anglophobie la plus résolue et longtemps avant de pouvoir balbutier papa et maman, je rugissais : Cochons d’anglais !

» Je dois ajouter que, depuis l’époque bénie de mon enfance, la perfide Albion n’a rien fait en vue de conquérir mes bonnes grâces.

» Au contraire.

» Ne rappelons pas la douloureuse histoire de Fachoda, ni d’autres plus récentes ; ne rappelons rien, mais rappelons-nous !

» Ah ! les Anglais !

» On pourrait tout au moins les embêter fortement, et, si on voulait, ce n’est pas les occasions qui nous manqueraient.

» Voici le Gulf-Stream, par exemple.

» Vous n’ignorez pas que le Gulf-Stream est ce courant d’eau chaude qui, provenant du golfe de Mexique, touche le littoral de notre Bretagne pour aller réchauffer les vieilles côtes de la vieille Angleterre (Old England, tailor for gentlemen).

» Qui nous empêcherait, après nous en être servis, de le refroidir, ce courant, de l’abaisser à une température voisine de la congélation ?

» (L’industrie du froid en est aujourd’hui arrivée à un point de perfection pratique telle que cette opération serait un jeu d’enfant pour nos ingénieurs.)

» Et voyez la tête des Angliches s’apercevant un beau matin qu’au lieu du tiède et béni Gulf-Stream, c’est un courant d’eau frappée qui leur arrive.

» Peut-être ce léger changement survenu à la british thermicity suffirait-il à calmer les ardeurs guerrières du gros John Bull.

» Ensuite, puisque nous sommes en train de faire du froid sur une vaste échelle, qui nous empêcherait, le jour où les Anglais nous échaufferaient trop les oreilles, de congeler fortement le Pas-de-Calais et d’y faire passer un bon corps d’armée, ou deux ?

» Vous souriez.

» Pourquoi ?

» Ne vit-on pas sous le premier Empire des dragons français galoper sur la glace et capturer à coups de sabre toute une flotte hollandaise ?

» Quand ce ne serait que pour la rigolade, on devrait essayer. N’êtes-vous pas de mon avis ?

» Veuillez agréer, etc., etc.

» Un vrai Breton. »


Je ne demande pas mieux, mais ce sera pour le coup que sir Edmund Monson pourra dire, non sans une apparence de raison, que la France prend, contre son pays, une attitude antiamicale.