Napoléon et la conquête du monde/II/41

H.-L. Delloye (p. 465-468).

CHAPITRE XLI.

LES VILLES ENSEVELIES.



La ville de Pompéia avait depuis long-temps reparu dans son entier ; les cendres seules l’avaient enveloppée, et il n’avait fallu que la balayer pour la découvrir.

Il n’en était pas de même d’Herculanum ; la lave liquide, en se glissant au milieu des rues et des interstices, avait étreint dans ses rochers refroidis, comme dans des écailles, les monuments et les habitations ; il fallait laborieusement dépouiller cette enveloppe solide, et dix années suffirent à peine à son entière résurrection.

Mais, ce temps et ces travaux furent plus que payés par les admirables choses trouvées dans les entrailles de la ville ; la vie romaine y reparut aussi actuelle que la veille de la destruction. Les lois, les usages, les jeux, les mœurs, les hommes eux-mêmes, comme pétrifiés dans le roc de lave, rendaient le secret de leur existence, et, mettant en face le siècle d’autrefois et celui d’aujourd’hui, semblaient retrancher dix-huit cents années du cours des temps.

Le Mexique avait aussi son Herculanum. À quatorze lieues de Mexico existait un large espace inculte, nommé Grana. Ce mot signifiait ville dans l’ancienne langue mexicaine. La tradition avait conservé à ce lieu le souvenir d’une grande cité disparue depuis long-temps. Une première excavation, due au hasard, fit apparaître des monuments d’un caractère inconnu. On continua les fouilles, et l’empereur, averti de cet événement, les fit étendre et terminer. On trouva dans ce nouveau tombeau la civilisation d’un peuple et d’une époque dont les traces avaient disparu ; toutefois on dut reconnaître que cette civilisation si étrange était cependant fort avancée, et que cette époque était très-reculée, et peut-être même anté-diluvienne. Ce qui donna de la force à cette opinion fut la découverte d’une table de marbre sculptée, représentant les deux hémisphères du globe terrestre, une véritable mappemonde, où les continents et les îles ainsi que les mers avaient des contours et des formes tout autres que ceux qu’ils ont conservés depuis le dernier cataclysme.

Quelques découvertes de ce genre, mais d’une moindre importance, faites en Sibérie et en Abyssinie, donnèrent aussi de curieux résultats.

Bizarre découverte ! singulières momies des villes d’autrefois, que la nature avait conservées dans leurs tombes pour que tous les âges du passé fissent, pour ainsi dire, acte de présence au spectacle de la monarchie universelle !

Ce chapitre ne serait pas complet, si nous n’y rappelions pas la réapparition du peuple primitif, conservé par une sorte d’ensevelissement dans l’oasis de Boulma.

Nous avons déjà parlé de cette oasis lors de la conquête de l’Afrique, en nous réservant de donner plus tard quelques détails assez courts.

Un fils de Sem avait, dans les premières années qui suivirent le déluge, porté son Dieu, sa famille et ses traditions dans cette île. Depuis quatre mille ans, inconnus du monde dont ils ne soupçonnaient pas l’existence, ses descendants, peu nombreux, avaient vécu au milieu du désert, conservant les traditions, les mœurs et la langue des premiers hommes. Famille plutôt que peuple, ils n’avaient pas senti la nécessité des progrès. Les usages des premiers temps du monde avaient suffi à leur vie, et la langue d’Adam et de Noé à leurs pensées. Ils ne connaissaient pas de lois, ils n’avaient d’histoire que leurs traditions ; ils avaient vécu sans littérature, sans arts, sans guerre, sans civilisation, sans épées, sans passions, ignorant que ces choses fussent nécessaires aux autres hommes.

Quand on les découvrit, ils étaient quatre cent cinquante, dont deux cents femmes. Leur étonnement ne peut se décrire lorsqu’ils virent d’autres hommes avec leurs usages et leur civilisation monstrueuse pour eux. Ils se façonnèrent bientôt à ces nouveautés étranges, et quand les hommes civilisés eurent épuisé les sucs de leurs traditions, de leur langue et de leur existence pour en faire de l’histoire, ils leur firent part de cette civilisation, et les habitants de Boulma eurent aussi, après trois années, des mœurs, des passions, une littérature, des arts, un commerce, des armes, un sous-préfet ; en un mot, une civilisation comme le reste du monde, les infortunés !