Napoléon et la conquête du monde/II/40

H.-L. Delloye (p. 461-464).

CHAPITRE XL.

VOYAGES ET DÉCOUVERTES.



Le mot de monarchie universelle impliquait la possession des terres connues et inconnues ; aucune île, aucune terre nouvelle, ne pouvait apparaître sans apporter avec elle cette inféodation originelle que les hommes et la nature subissaient vis-à-vis de Napoléon.

L’océan Pacifique donna quelques noms de plus à la géographie.

Le continent austral fut recherché dans les mers du sud, mais en vain : les vaisseaux, en s’approchant du pôle, voyaient les glaces s’accroître, et devant eux toujours la mer, rien que la mer.

Mais le pôle, que des glaces insurmontables gardaient au midi, ne fut point aussi inabordable dans le nord, et ce n’est pas une des moindres merveilles de notre âge que sa découverte.

Le vice-amiral Parry, de la marine française, venait, dans un cinquième voyage, de traverser la mer du nord, et de découvrir enfin ce fameux passage du nord-ouest, que l’on niait parce que l’on n’avait pu le connaître. Ses vaisseaux, passant les détroits de Davis et de Barrow, étaient entrés dans la mer polaire, avaient découvert le détroit de Parry, et étaient sortis par le détroit de Behring de l’océan Arctique, lorsque, voyant l’enthousiasme de son équipage, après une telle gloire acquise, il osa proposer plus encore : une campagne vers le pôle lui-même.

Les marins accueillirent avec des acclamations la proposition de leur amiral, et, le vaisseau le Conquérant ayant été choisi, il cingla en droite ligne vers le nord.

Chose incroyable ! à mesure qu’on s’approchait des derniers degrés de latitude, le Conquérant s’avançait plus facilement au milieu des glaces éternelles ; des espaces libres, parmi les montagnes de glace, lui ouvraient le passage ; le froid semblait, sinon diminuer, au moins ne plus s’accroître ; enfin, le 28 février 1828, une terre couverte de neiges, du milieu desquelles s’élevaient une multitude de sapins d’assez médiocre hauteur, arrêta tout-à-coup le navire ; il était impossible d’aller plus loin. Cependant les observations apprenaient qu’il n’y avait plus que vingt lieues à traverser pour arriver au pôle, objet de tant de désirs. Fallait-il donc abandonner à ce point une pareille tentative ? L’amiral Parry n’hésita pas : il ordonna d’aborder, et à peine avait-il proposé de continuer par terre le voyage commencé, que tous avaient répondu : «  Marchons. »

Ils marchèrent trois jours et deux nuits à travers cette forêt immense ; mais, après ce temps, ils la quittèrent, et ce fut alors que leur apparut la montagne du pôle.

Elle n’était plus éloignée que d’une demi-lieue, et paraissait s’élever de plus de cinq cents mètres ; on marcha vers elle, et, au pied même de cette montagne conique et régulière, des calculs mathématiques firent connaître que c’était le pôle.

Il eût été difficile d’en douter ; cette montagne de fer natif, la régularité de sa forme, son élévation et son existence dans ces déserts de glace étaient trop extraordinaires dans la nature pour que ce ne fût pas le signal de quelque place prédestinée ; c’était le pôle.

L’amiral Parry gravit le premier cette montagne, et, arrivé au sommet, il y planta un drapeau tricolore, leva les mains au ciel, et s’écria :

— « Au nom de Dieu tout-puissant, et de l’empereur Napoléon, son monarque sur la terre, moi, vice-amiral Parry, de la marine française, j’ai mis le pied sur le pôle, et j’y ai planté le drapeau de mon souverain. — Vive l’empereur ! vive le monarque universel ! »

L’équipage, rangé en ordre de bataille au pied de la montagne, répondit par les mêmes acclamations ; et les échos du pôle, qui s’éveillaient pour la première fois, répétèrent sourdement ces cris de possession et de gloire.