Napoléon et la conquête du monde/II/29

H.-L. Delloye (p. 407-411).

CHAPITRE XXIX.

LE 4 JUILLET 1827.



Cette journée, comme toutes les journées impériales, fut belle et pure, tant Dieu était d’accord avec Napoléon.

Dès trois heures du matin, les canons des Invalides, des forteresses de Saint-Denis et de Montmartre, des palais des rois de Rome et d’Angleterre, se firent entendre sans discontinuer ; il semblait que ce ne fût qu’un seul coup dont le son aurait duré neuf heures, tant ils se succédaient dans leurs tonnerres. Il fut, dit-on, tiré trois mille trois cents coups.

La tente dont nous avons parlé était recouverte de soie écarlate ; les ballons de gaz qui la soulevaient étaient rattachés à la terre par des colonnes dorées, autour desquelles se repliaient les draperies, laissant à jour et libre à la vue l’intérieur de l’enceinte.

Cinquante trônes, placés beaucoup plus bas que celui de l’empereur, dominaient le reste des sièges de l’assemblée où pouvaient s’asseoir plus de dix mille personnes.

Ces trônes et ces sièges étaient depuis plus d’une heure occupés par une foule de rois, de princes, de sénateurs, de membres du corps législatif, de ministres, de grands fonctionnaires, de maréchaux, de généraux, de députés des villes, lorsque, midi sonnant, les fenêtres du palais s’ouvrirent, l’impératrice, précédant la famille impériale, descendit s’asseoir sur une estrade à quelques pieds au-dessous du trône, et bientôt après Napoléon parut.

On ne peut dire les acclamations qui l’accueillirent.

Il n’avait pas le costume impérial, mais simplement son habit de guerre et son chapeau si connu.

Il s’assit sur son trône, la tête couverte. Le silence le plus profond s’établit. Quelques instants après il se leva, et prononça avec enthousiasme ce discours :

« Rois et peuples,

« Je suis maître du monde ! Ma souveraineté n’a plus de bornes sur la terre ; j’ai atteint ce grand but de ma pensée, la monarchie universelle !

« Ma monarchie, reprit-il d’une voix éclatante, est universelle !

« Vous savez comment je suis devenu souverain de l’Europe, comment j’ai conquis l’Asie et les îles de l’Océan.

« Je veux vous apprendre comment je suis devenu maître du reste de la terre.

« L’Afrique entière, parcourue par mes armées, a partout reconnu ma souveraineté. Le roi de Silésie, suivi des rois de ce continent, est de retour ; il m’a apporté la nouvelle de cette conquête.

« L’Amérique, qui se dissolvait dans ses révolutions, a compris ma puissance, sa position et les décrets de la Providence. Les chefs des nations du nouveau monde se sont réunis dans Panama, et tous, d’un accord unanime, sont venus se soumettre à ma souveraineté.

« Ainsi a été accompli cet événement immense de la monarchie universelle.

« Rois et peuples de la terre ! je me glorifie de moi et de vous ; placé si haut entre Dieu et les hommes, je vous le dis, mon cœur est plein de joie et de fierté.

« Cette puissance, que, depuis le commencement des temps, aucun mortel n’avait atteinte, n’avait rêvée peut-être, avec l’aide de Dieu, je l’ai.

« Mais cette grandeur ne me fera pas oublier mes desseins.

« Maître de tous les pays, souverain de tous les hommes, je veux de plus en plus penser au bonheur de tous.

« Aujourd’hui commence un nouvel ordre de choses.

« Dans ma prévoyance de cet événement, je l’avais déjà préparé. Mes décrets vous apprendront dès demain ce que j’ai décidé.

« Il s’agira d’organiser le monde, et l’unité de ma puissance appelle l’unité de l’organisation.

« La monarchie universelle, fondée sur la terre, est héréditaire dans ma race ; il n’y aura plus désormais qu’une nation et qu’un pouvoir sur le globe jusqu’à la fin des temps.

« Rois et peuples, vous m’avez aidé à arriver jusque-là ; prenez part à ma gloire comme vous avez pris part à mes travaux. Soyez, fiers et heureux comme moi, et avec moi.

« Toi surtout, France, ma fille chérie ! sois glorieuse de cette grandeur, et moi, à côté du titre de monarque universel, je garderai toujours celui d’empereur des Français. »

L’empereur termina là son discours. À ces dernières paroles, d’un mouvement spontané et unanime, les rois, l’assemblée et le peuple immense se prosternèrent devant lui. Cet instant où, au-dessus de ce million d’hommes, seul debout, il regardait seul le ciel, dut lui paraître sublime. Il se retira bientôt, superbe et ému ; les acclamations innombrables le poursuivirent dans le palais, et, jusqu’au soir de ce jour, on n’entendit partout que ces cris : Gloire à Napoléon ! Vive l’empereur ! Vive le monarque universel !