Napoléon et la conquête du monde/II/27

H.-L. Delloye (p. 402-404).

CHAPITRE XXVII.

PRESSENTIMENTS DES PEUPLES.



Si l’homme s’écartait quelquefois de cette raison glacée qui le trompe avec ses vains calculs, il serait frappé d’étonnement à la pensée des mystères qui l’entourent et le pressent ; mais il les rejette fièrement parce qu’il ne les a pas compris, et s’en moque parce qu’il ne peut s’en rendre compte.

Ainsi il ne veut accepter qu’une moitié de la nature, celle qui pour lui est matérielle, mesurable dans ses dimensions, visible dans ses aspects, ou tout au moins discutable dans son existence ; mais si on lui dit qu’un fait est arrivé d’une nature au dessus de la sienne, se passant dans une région plus haute où sa raison ne peut atteindre, il méprise, il nie.

N’est-ce pas là, cependant, une de ces choses surnaturelles, et dont l’histoire a recueilli de fréquents et authentiques exemples, que ces bruits qui se répandent tout-à-coup, annonçant à l’avance les grands événements avant qu’ils puissent être connus, avant même qu’ils puissent être réalisés. Ainsi des voix prophétiques étaient entendues dans Rome et dans toute l’Italie, pendant les jours qui précédèrent la mort de César. Ainsi des courriers inconnus traversaient les villes de Picardie et de Flandre, s’écriant que Henri IV venait d’être assassiné, quelques jours avant que l’attentat eût été consommé.

Il en était de même dans toute l’Europe ; des voix venaient murmurer à toutes les pensées le mot de monarchie universelle. Toutes les âmes étaient saisies de ces mots ; tous les hommes en parlaient avec une conviction sainte. Le monde, disaient-ils, est désormais acquis à la domination de l’empereur ; aucune terre sur le globe n’est déjà plus en dehors de sa puissance. L’œuvre est accomplie.

Ils parlaient ainsi, et cependant il n’y avait de connu encore que la souveraineté de l’Europe et la conquête de l’Asie et de l’Océanie ; on savait bien que l’Afrique était en ce moment parcourue et sans doute conquise, mais cela n’était point certain, et d’ailleurs aucune nouvelle n’était venue apprendre si l’Amérique avait éprouvé quelque changement dans sa position politique à l’égard de l’empereur. Il y avait lieu de croire au contraire que les révolutions incessantes du nouveau monde y occupaient exclusivement les nations, et que Napoléon, tout entier au vieux continent, ne songeait point à elles. Néanmoins on voyait depuis quelque temps les télégraphes agiter sans relâche leurs bras mystérieux ; on annonçait que des ambassadeurs avaient débarqué à Cadix et à Brest ; enfin, tous les rois de l’Asie et de l’Europe, les sénateurs, les membres du corps législatif, les grands de l’état, avaient été convoqués pour la même époque, à Paris, et ce concours de circonstances avait révélé sans doute à cette nation pressentante des Français le grand événement qui allait s’accomplir, la monarchie universelle.