Napoléon et la conquête du monde/I/09

H.-L. Delloye (p. 38-41).

CHAPITRE IX.

L’ANGLETERRE.



L’Angleterre ! que Napoléon détestait ; l’Angleterre ! pour qui il avait inventé son système continental, cet exil solennel d’une nation à qui l’on refusait l’eau et le feu sur le continent ; l’Angleterre ! qu’il combattait en Suède, en Russie, en Hanovre, en Espagne ; cette Angleterre ! toujours présente ou cachée avec ses ruses et son or, hydre aux têtes renaissantes qui jetaient incessamment leurs poisons sur les foudres flamboyantes de son aigle ; l’Angleterre enfin ! qui brisait son cœur de haine et de vengeance, et qu’à tout prix il voulait vaincre, humilier et anéantir !

Vers la fin de l’année 1812, en Espagne, les troupes françaises avaient repris de grands avantages ; mais le sort de ce royaume était encore incertain lorsque, sous les murs d’Astorga, le maréchal Soult remporta une victoire signalée. L’armée anglaise, presque tout entière, et l’armée espagnole, commandées par le général Wellington, furent obligées de mettre bas les armes et de capituler. Trente-deux mille prisonniers furent dirigés sur Bayonne, et le général anglais amené à Paris, vaincu, mais non sans gloire dans sa défaite, car cette campagne malheureuse avait jeté encore un grand lustre sur sa renommée militaire.

La capitulation d’Astorga fut décisive. L’Espagne, entièrement purgée des Anglais, fut bientôt pacifiée. Le roi Joseph rentra dans Madrid, y rappela les cortès et régna depuis tranquillement sur cette nation.

Mais, vaincue en Russie, chassée de l’Espagne, la fière Angleterre restait encore reine de l’Océan, d’où elle bravait le maître de l’Europe.

Las de cette lutte sans fin, l’empereur avait envoyé de Pétersbourg le général Lauriston à Londres, chargé d’offrir une sorte de trêve, et d’apporter quelques préliminaires de paix. Il avait pensé qu’au milieu de ses victoires et de sa puissance, sa dignité n’aurait pas à souffrir de sa démarche. Le ministère anglais, de son côté, envoya un diplomate déjà célèbre, M. Canning, qui se rendit auprès de Napoléon avec des instructions de même nature. Mais ces deux missions secrètes et sans caractère décidé n’amenèrent aucun résultat. Une égale fierté repoussait de part et d’autre les concessions réclamées, et l’Angleterre se retira la première de ces négociations, se croyant chez elle aussi inébranlable que les rochers de ses îles.

Il fallut donc continuer la guerre, guerre d’extermination, et désormais sans repos ; duel à mort entre ces deux nations, ou plutôt entre Napoléon et elle, et dans lequel il fallait que Napoléon ou l’Angleterre pérît.

Le congrès de Hambourg s’ouvrit dans ces circonstances, avec son masque de fête au dehors, et au dedans la pensée constante de dompter la nation rivale. Là fut formée une confédération offensive de toutes les puissances maritimes de l’Europe, sous la direction de la France. Toutes les flottes de ces états furent mises à la disposition de l’empereur. Bientôt les ports de l’Océan, de Cadix à Cronstadt, s’animèrent d’une activité inaccoutumée, et une expédition décisive fut remise au printemps de l’année suivante.

Après avoir pacifié l’Europe, l’empereur ne croyait pas que ce fût de trop de toutes les forces du continent, et d’une année entière de préparatifs, pour s’assurer le succès et la gloire d’une si grande conquête, et le reste de cette année se passa ainsi dans cette seule pensée et dans ces travaux, sans qu’aucun événement de quelque importance vînt la signaler.

L’Angleterre, qui, de l’autre côté des mers, savait tout et voyait tout, douta pour la première fois de sa destinée.