Napoléon et la conquête du monde/I/10

H.-L. Delloye (p. 42-45).

CHAPITRE X.

PRÉPARATIFS DE GUERRE.



Pendant le séjour de l’empereur en Russie, l’impératrice Marie-Louise avait mis au monde une fille nommée Clémentine-Napoléon. À cette occasion, l’empereur rendit un décret portant que ses enfants prendraient, dès leur naissance, le titre de roi et de reine du sang de France, en se réservant pour lui le droit d’attacher à ce titre la détermination d’états et de royaumes, comme il l’avait fait pour son premier-né, le roi de Rome.

Nous reparlerons sans doute de cette jeune reine, dont le souvenir est resté si cher à la France.

Un troisième enfant, nommé Gabriel-Charles-Napoléon, né au mois de février 1814, eut aussi le titre de roi sur son berceau ; mais on attendit en vain qu’une qualification plus significative vînt le désigner à l’Europe. Cette vacance d’un mot fut plus remarquée alors que l’action la plus éclatante : comme s’il n’y avait pas un acte de l’empereur qui n’eût son retentissement, son silence comme sa décision.

Cependant, depuis le congrès de Hambourg, les côtes de l’Océan, du nord au midi, étaient devenues vivantes sous l’activité prodigieuse imprimée aux affaires maritimes. Durant l’hiver, des escadres, portant tous les pavillons du continent, venaient successivement se réunir dans l’Elbe, depuis Hambourg jusqu’à la mer ; des bâtiments de transport étaient construits dans les ports de la Hollande, et la flotte de l’Elbe, grossie incessamment de toutes les marines de l’Europe, et à laquelle vinrent se joindre, au mois d’avril 1814, les flottes d’Anvers et de la Baltique, comptait à cette époque soixante vaisseaux de ligne, cent quatre-vingts frégates, un grand nombre de bâtiments de guerre et une quantité prodigieuse de navires de transport et de débarcation.

Le roi des Deux-Siciles, grand-amiral de l’empire, partit, accompagné du duc Decrès, ministre de la marine, pour inspecter ces immenses préparatifs, en même temps que deux cent mille hommes des armées de terre, qui depuis quelque mois étaient réunis dans le Mecklembourg et la Westphalie, s’approchaient de Hambourg, afin que tout fût préparé pour une embarcation soudaine.

L’Angleterre veillait sans relâche aux moindres mouvements de l’Europe, et ne pouvait voir ces armements formidables sans inquiétude et sans y opposer des obstacles. Ses vaisseaux, dans plusieurs engagements, avaient essayé d’empêcher la jonction des différentes escadres dans l’Elbe ; mais des combats partiels, dans lesquels les avantages avaient été incertains et jamais importants, ne purent empêcher la réunion complète de toutes les forces maritimes de l’Europe sur les côtes du Holstein.

Elle aussi, dans l’attente d’une invasion, avait soulevé toute sa puissance, et croyant avoir appris les lieux désignés pour la descente, elle y avait porté la plus grande partie de ses moyens de défense.

Cependant rien encore n’avait fait connaître d’une manière certaine l’intention de Napoléon. Le mois d’avril était presque achevé sans qu’aucune déclaration officielle eût paru, et l’Europe attendait le moment fatal dans le silence et la stupeur,

Lorsque ce calme mystérieux fut tout-à-coup rompu par ce décret, en date du 22 avril 1814 :

« Napoléon, empereur des Français, etc., etc.

« Avons décrété et décrétons ce qui suit :

« Art. Ier. Notre bien-aimé fils le roi Gabriel-Charles-Napoléon prendra désormais le titre de roi d’Angleterre.

« Art. 2. Nos ministres des relations extérieures, de la justice, de l’intérieur, et notre ministre secrétaire d’état sont chargés en ce qui les concerne de l’exécution du présent décret.

« Donné en notre palais impérial de Hambourg, le 22 avril 1814.

« Signé, Napoléon.

« Vu par nous archichancelier de l’empire,

« Signé, Cambacérès, prince duc de Parme.

« Par l’empereur,

« Le ministre secrétaire d’état,
« Signé, duc de Bassano. »