Névrosés
Hoffmann — Quincey — Edgar Poe
G. de Nerval
(pp. 267-362)
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GÉRARD DE NERVAL[1]

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LA FOLIE

Il est des hommes pour qui la vie n’est qu’un songe. Leur âme plane sur la réalité sans se résoudre à s’y poser. Tout au plus l’effleure-t-elle d’un coup d’aile quand un choc trop brutal l’a précipitée vers la terre, ou que l’appel inquiet d’une voix aimée l’a tirée de son rêve, mais elle repart aussitôt et remonte, toujours plus haut, jusqu’à ce que rien ne puisse plus la décider à redescendre. Le monde dit alors que cet homme est fou, mais lui, il pense qu’il est entré dans la vérité.

Gérard de Nerval a été l’un de ces êtres qui ouvrent les yeux à un songe en les ouvrant à la lumière du jour, et pour lesquels la mort n’est que le passage du rêve éphémère et borné au rêve éternel et infini qu’il leur a été donné d’entrevoir. Peu lui importait que le vulgaire, dans son ignorance, ou les savants, dans leur présomption, traitassent d’hallucinations les visions glorieuses où se révélait pour lui l’au-delà ; il restait voluptueusement dans les nuages, se refusant à admettre les idées de la foule sur ce qui est illusion et ce qui est réalité. Il avait eu de très bonne heure la conviction que la foule se trompe, et que l’univers matériel, auquel elle a foi parce que ses yeux le voient et que ses mains le touchent, n’est que fantômes et apparences. Pour lui, le monde invisible était, au contraire, le seul qui ne fût point chimérique. Comme Edgar Poe et tous les visionnaires, il disait que l’erreur de la foule provient de ce que l’au-delà leur est fermé, car il n’est donné qu’à un petit nombre d’élus de frayer avec les esprits avant d’avoir dépouillé leur enveloppe mortelle ; c’est une grâce d’en haut, que Gérard de Nerval, cœur humble et reconnaissant, remerciait la divinité de lui avoir octroyée : « Je ne demande pas à Dieu, écrivait-il, de rien changer aux événements, mais de me changer relativement aux choses, et de me laisser le pouvoir de créer autour de moi un univers qui m’appartienne, de diriger mon rêve éternel au lieu de le subir[2]. » Sa prière avait été exaucée. Le jour vint où son beau songe se confondit entièrement avec la vie réelle, de sorte qu’il ne pouvait plus les distinguer. On l’enferma alors dans une maison de fous ; mais, tandis qu’on s’empressait à le soigner, que chacun le plaignait, il notait sur un carnet : « Il me semble que je suis mort et que j’accomplis une deuxième vie[3]. »

On retrouva plus tard ce carnet sur son cadavre, avec des feuillets épars où il racontait ses sensations dans la « deuxième vie ». L’histoire de ses expériences intéressera les phalanges de névrosés que menace de nos jours le même sort. Chaque année voit grossir leurs rangs ; les moins atteints s’arrêtent au seuil de la démence ; les autres le franchissent et s’installent dans le royaume de folie, comme le doux poète qui va nous servir de guide et dont l’ombre doit se réjouir en contemplant les flots humains poussés sur ses traces par l’alcool, la morphine, le harassement d’une vie trop dure et trop pressante, le poids d’une civilisation trop compliquée. Non que Gérard de Nerval fût capable de souhaiter du mal à âme qui vive ; mais on n’est jamais insensible au progrès de ses idées, et le chemin suivi allégrement par nos générations est celui qui, dans sa conviction, l’avait mené à la vérité. Il est à craindre que, pour elles comme pour lui, ce ne soit plutôt la maison de fous qui se trouve au bout.


I

Un pareil homme ne pouvait pas avoir des origines prosaïques ; il lui fallait des ancêtres de conte de fée. Un tableau généalogique, de la main de Gérard de Nerval[4] et mêlé de signes cabalistiques, le fait descendre d’un bon chevalier allemand du moyen âge, arrivé je ne sais comment au fin fond de la France. Dans les derniers temps de sa vie, il avait trouvé mieux encore, et laissait entendre qu’il remontait en droite ligne à l’empereur Nerva. Ce qu’il en disait n’était point par vanité : il ignorait la vanité ; c’était une idée qui amusait son imagination. Lorsqu’il daignait reprendre pied sur la terre, ses origines étaient beaucoup plus modestes. Gérard de Nerval, de son vrai nom Gérard Labrunie, se rappelait alors que les siens étaient de la Picardie et de souche paysanne ; et, comme il adorait les mœurs simples et les vieux souvenirs, il s’empressait de dépeindre ses grands-parents dans la poésie de leurs occupations rustiques. Son grand-père maternel avait poussé la charrue d’un oncle dans des circonstances qui rappellent Jacob chez Laban : « Un jour, raconte Gérard de Nerval, un cheval s’échappa d’une pelouse verte qui bordait l’Aisne, et disparut bientôt entre les halliers ; il gagna la région sombre des arbres et se perdit dans la forêt de Compiègne. » Cela se passait vers 1770. « Ce n’est pas un accident rare qu’un cheval échappé à travers une forêt, et cependant, je n’ai guère d’autre titre à l’existence. Cela est probable du moins, si l’on croit à ce qu’Hoffmann appelait l’enchaînement des choses. »

Le maître du cheval était un jeune rêveur appelé Pierre Laurent, silencieux de son naturel et fils d’un autre silencieux. La perte du cheval ayant amené un choc entre ces deux taciturnes, Pierre fit son petit paquet et s’en vint à travers la forêt de Compiègne chez un bonhomme d’oncle qui cultivait un mauvais champ près des étangs de Châalis, dans le Valois : « Mon grand-père aida le vieillard à cultiver ce champ, et fut récompensé patriarcalement en épousant sa cousine. » Gérard de Nerval omet d’ajouter que Pierre Laurent devint ensuite « linger » à Paris, dans le quartier Saint-Martin. J’imagine que, ne trouvant aucune grâce à cette profession de citadin, il l’avait oubliée, afin de ne garder en mémoire que l’image du grand-père courbé sur son soc, et le dirigeant avec prudence entre les granits qui couvraient une partie de ce petit bien.

La mère de Gérard de Nerval était fille de Pierre Laurent. Elle s’était mariée toute jeune à Étienne Labrunie, chirurgien-major dans les armées impériales. Ils n’eurent pas d’autre enfant que Gérard, né à Paris, rue Saint-Martin, le 22 mai 1808. Mme Labrunie s’en fut le plus tôt possible rejoindre le régiment, et les siens ne la revirent guère. Elle n’est pour nous qu’une ombre, mais les ombres peuvent avoir de la physionomie, et celle-là nous apparaît dans une attitude un peu penchée, remplie de douceur et de mélancolie : « Je n’ai jamais vu ma mère, écrivait son fils ; ses portraits ont été perdus ou volés ; je sais seulement qu’elle ressemblait à une gravure du temps, d’après Prudhon ou Fragonard, qu’on appelait la Modestie. » Il savait encore que sa mère chantait, pour avoir souvent ouï répéter à son père une romance qu’elle aimait. Les larmes montaient chaque fois aux yeux de M. Labrunie, qui n’était pourtant pas sentimental, tant s’en faut. C’était un original, d’humeur incommode et fuyant le commerce des humains. Son fils lui a dû les germes de sa bizarrerie ; il parle dans une lettre de l’influence que le goût de son père pour la solitude avait exercée sur lui, et il sentait bien qu’elle ne lui avait pas été bienfaisante.

Mme Labrunie s’effaça de ce monde pendant la campagne de Russie. Elle avait voulu suivre son mari à la Grande Armée, et elle mourut en Silésie, à vingt-cinq ans, d’une fièvre qu’elle gagna en traversant un pont chargé de cadavres.

Son fils avait été confié dès le bas âge à un oncle, qui était fixé au petit village de Montagny, près d’Ermenonville. C’est là que Gérard fut élevé, qu’il revint sans cesse, adolescent ou homme fait. C’est là qu’il reçut de la nature et des livres ces premières impressions qui décident de nous. Il avait gardé un tendre et pieux souvenir de Montagny et de la période d’initiation à la vie que ce nom représentait pour lui, sans se douter de ce que l’enfance la plus heureuse et, en apparence, la plus innocente, avait eu, au fond, de nuisible et de dangereux.

Le hasard, aidé de sa propre inclination, l’avait trop fait vivre dans la société des filles. Il avait eu trop de cousines, trop de petites amies paysannes. Ses jeux avaient été les rondes chantées où l’on s’embrasse, les promenades la main dans la main sous les grands bois, avec toutes les Fanchette et les Sylvie du canton. Il fut amoureux avant de savoir que l’amour existe, et la nature ne lui avait déjà donné que trop de sensibilité. Les bucoliques de Montagny ont eu leur part de responsabilité dans l’espèce de conte fantastique qu’il était destiné à vivre et qui acheva la ruine d’une raison naturellement chancelante.

Les commencements du drame remontaient à l’aurore de son adolescence et avaient été adorables. Le rêve de toute une vie s’était ébauché le soir d’un beau jour, sur une grande place verte encadrée d’ormes et de tilleuls, devant un château ancien, aux encoignures dentelées de pierres jaunies. Gérard était alors écolier et habitait chez son père, à Paris. Les vacances l’avaient ramené chez l’oncle de Montagny, et il était allé danser sur l’herbe, lui seul garçon, avec les jeunes filles du village. Quand ce fut son tour d’entrer dans la ronde, on y enferma avec lui une belle demoiselle appelée Adrienne, venue du château se mêler aux paysannes. Elle était grande et blonde, et on la disait de sang royal : — « Nos tailles étaient pareilles, raconte Gérard de Nerval. On nous dit de nous embrasser, et la danse et le chœur tournaient plus vivement que jamais. En lui donnant ce baiser, je ne pus m’empêcher de lui presser la main. Les longs anneaux roulés de ses cheveux d’or effleuraient mes joues. De ce moment, un trouble inconnu s’empara de moi. »

D’après les règles du jeu, Adrienne devait chanter pour avoir le droit de rentrer dans la danse. On s’assit autour d’elle, et aussitôt, d’une voix légèrement voilée, « elle chanta une de ces anciennes romances, pleines de mélancolie et d’amour, qui racontent toujours les malheurs d’une princesse enfermée dans sa tour par la volonté d’un père qui la punit d’avoir aimé… À mesure qu’elle chantait, l’ombre descendait des grands arbres, et le clair de lune naissant tombait sur elle seule, isolée de notre cercle attentif ». Ce fut pour son jeune partenaire une de ces minutes solennelles qui fixent à jamais une destinée humaine. Les cheveux d’or et le vieil air plaintif bouleversaient l’écolier à qui la belle chanteuse avait offert sa joue sans embarras, parce qu’il ne comptait pas. Ils prenaient possession de son cœur en vertu d’une sorte de titre ancien et mystérieux : — « Elle se tut, continue le récit[5], et personne n’osa rompre le silence. La pelouse était couverte de faibles vapeurs condensées, qui déroulaient leurs blancs flocons sur les pointes des herbes. Nous pensions être en paradis. — Je me levai enfin, courant au parterre du château, où se trouvaient des lauriers plantés dans de grands vases de faïence peints en camaïeu. Je rapportai deux branches, qui furent tressées en couronne et nouées d’un ruban. Je posai sur la tête d’Adrienne cet ornement, dont les feuilles lustrées éclataient sur ses cheveux blonds aux rayons pâles de la lune. Elle ressemblait à la Béatrice de Dante qui sourit au poète errant sur la lisière des saintes demeures. — Adrienne se leva. Développant sa taille élancée, elle nous fit un salut gracieux, et rentra en courant au château. »

Adrienne repartit le lendemain pour le couvent où elle était élevée. Gérard de Nerval ne la revit jamais et la chercha toujours. Il lui semblait l’avoir connue dans une autre existence, ce qui établissait entre eux un lien mystique et indestructible. On eut beau lui dire aux vacances suivantes qu’elle avait pris le voile, et ensuite qu’elle était morte, il persistait à la deviner dans les femmes que le hasard plaçait sur sa route. C’était elle sans être elle, c’était elle transmigrée dans un corps nouveau et reconnaissable à quelque détail tel que la nuance des cheveux ou le timbre de la voix. Il fut amoureux d’Adrienne toute sa vie et uniquement, mais d’Adrienne sous des noms et des costumes différents, de manière que ses meilleurs amis y furent trompés et purent lui attribuer une passion vulgaire pour une femme de théâtre. Gérard de Nerval ne s’était pourtant pas fait faute de répéter en prose et en vers que son amour, tous ses amours, avaient leur « germe dans le souvenir d’Adrienne, fleur de la nuit éclose à la pâle clarté de la lune, fantôme rose et blond glissant sur l’herbe verte à demi baignée de blanches vapeurs ». Personne n’avait compris. Personne n’avait même remarqué qu’une de ses plus jolies pièces de vers consacrait la mémoire de sa rencontre avec Adrienne :


Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets.


Or, chaque fois que je viens à l’entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit ;
C’est sous Louis-Treize… Et je crois voir s’étendre
Un coteau vert que le couchant jaunit.

Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre les fleurs.

Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens…
Que, dans une autre existence peut-être,
J’ai déjà vue, et dont je me souviens !

(1831.)

L’idée que les âmes peuvent émigrer d’un corps à l’autre, inattendue chez un enfant, était le fruit des mauvaises lectures de Gérard à Montagny. Son oncle possédait une bibliothèque nombreuse, formée en partie sous la Révolution et dans une phase de mysticisme. Ayant changé d’idées, le vieillard avait relégué au grenier une foule d’ouvrages dus aux mystagogues et aux occultistes du XVIIIe siècle, et il ne s’aperçut sans doute point que son neveu les y avait dénichés. — « Ayant fureté dans sa maison, raconte celui-ci, jusqu’à découvrir la masse énorme de livres entassés et oubliés au grenier, — la plupart attaqués par les rats, pourris ou mouillés par les eaux pluviales passant dans les intervalles des tuiles, — j’ai, tout jeune, absorbé beaucoup de cette nourriture indigeste ou malsaine pour l’âme ; et, plus tard même, mon jugement a eu à se défendre contre ces impressions primitives. »

Si Gérard de Nerval s’est jamais défendu contre les impressions intellectuelles de sa première jeunesse, il a perdu ses peines. Devenu plus mûr, il avait un jour dressé une liste d’ouvrages, ou de sujets, qu’il lui paraissait urgent d’étudier. Voici quelques titres pris parmi une quarantaine, et le reste est à l’avenant : Hermès, — Mémorial fatidique, — Livres sibyllins, — Horoscopes, — Lettres cabalistiques, — Mauvais œil, — Prophéties diverses. C’est d’un homme qui a abandonné la lutte contre les idées dont il avait, dans une heure de bon sens, mesuré la puissance et compris le péril.

Tout avait conspiré à lui brouiller la cervelle. Par une sorte de fatalité, les meilleures intentions tournaient contre lui. M. Labrunie avait repris son fils parce qu’il s’était aperçu que Montagny n’était pas sain pour lui, mais ce fut pour l’abandonner aux fantaisies d’un serviteur de plus de zèle que de prudence. Cet homme éveillait l’enfant avant l’aube pour le mener promener à la lueur des étoiles sur les collines de Sèvres et de Meudon. Gérard en resta noctambule et se familiarisa beaucoup trop tôt avec la population équivoque qui est maîtresse du pavé des grandes villes et de leur banlieue entre minuit et le point du jour.

Il reçut une forte éducation classique, complétée sous la direction paternelle par l’étude des langues vivantes. Sa précocité faisait l’orgueil de ses condisciples du collège Charlemagne. Il n’arrive pas souvent d’avoir pour voisin de pupitre en rhétorique ou en philosophie « un camarade imprimé et dont on parle dans les journaux[6] ». Gérard Labrunie avait été imprimé six fois en 1826, et ce n’était pas des vers d’amour ou des tragédies en cinq actes, comme en font d’ordinaire les collégiens ; c’était de la politique, de la satire, des poèmes séditieux à la gloire de Napoléon, ou contre les jésuites, « de partout chassés pour leurs crimes » ; c’étaient des Élégies nationales, imitées des Messéniennes et bourrées de belles pensées ; c’était, en un mot, une moisson de promesses. À la vérité, la rime était pauvre et le style poncif ; mais on n’avait pas le droit d’être trop exigeant envers un écolier que ses leçons réduisaient, selon ses propres expressions, à donner « un essor rapide » à


Ces chants que produisit un trop rare loisir.


Les publications de 1826 comprenaient aussi une comédie en vers, d’une telle hardiesse dans le texte primitif, assurait la préface, que l’éditeur effrayé avait exigé de nombreux remaniements. Sous sa forme adoucie, la pièce gardait de quoi mettre en joie une classe travaillée par le romantisme et comptant Théophile Gautier sur ses bancs. Elle était dirigée contre l’Académie française, qui avait eu l’injustice et l’imprudence de ne pas couronner un mémoire de l’auteur sur la poésie au XVIe siècle. On y voyait l’un des « incurables » du palais Mazarin demander au Pauvre du pont des Arts de consentir à poser sa candidature à l’Académie. Le Pauvre voulait savoir à quoi il s’engageait, avant de donner une réponse, et en quoi consiste le métier d’académicien. Son interlocuteur le lui expliquait en ces termes :


  Donner la chasse aux gens
Qui pour titre au fauteuil n’ont rien que des talents ;
Flatter les grands seigneurs, faire honneur à leur table.
Les égayer, leur plaire et leur paraître aimable ;
Des jésuites vainqueurs soutenir les tréteaux,
Les prôner à toute heure et baiser leurs ergots ;
Des idoles du jour imiter les grimaces,…
Moyennant quoi, l’on a des dîners et des places.


— Ça ne me va pas ! répondait en substance le Pauvre du pont des Arts, dans une tirade dont la chute est sanglante pour l’Académie :


    … Car j’ai de la décence ;
Dans mon petit état, j’aime l’indépendance

Ainsi portez ailleurs de pareils arguments…
Je suis pauvre, il est vrai, mais j’ai des sentiments[7].


La pièce eut une seconde édition avant la fin de l’année ; les Élégies nationales en eurent trois dans l’espace de quelques mois. Les journaux libéraux louaient l’enfant prodige, et l’on se racontait en classe, à Charlemagne, qu’un éditeur avait dit à Gérard Labrunie, en le regardant par-dessus ses lunettes : « Jeune homme, vous irez loin ! » Les élèves en avaient la tête à l’envers. Les néophytes du romantisme auraient eu pourtant des réserves à faire ; sauf la pièce contre l’Académie, le débutant n’avait point donné de gages aux idées nouvelles. L’amitié lui fit crédit, et ne tarda guère à s’en applaudir. La traduction de Faust, parue en 1828, affermit, malgré sa médiocrité, la réputation de l’auteur. Il y avait alors cinq ans qu’Albert Stapfer avait donné la sienne, et le romantisme allemand fermentait dans les veines de la jeunesse au milieu de laquelle vivait Gérard Labrunie. Elle en vénérait les obscurités, en adorait les bizarreries et le bric-à-brac. Comprendre Faust était déjà un titre de gloire : quiconque aidait à le répandre avait bien mérité des lettres françaises[8].

Une seule personne voyait avec appréhension le tour que prenaient les affaires du jeune poète. M. Labrunie souhaitait pour son fils une carrière régulière, et les lettres avaient alors l’honneur d’être rangées par les familles dans les métiers qui n’en sont pas, en compagnie de la peinture et des arts en général. Gérard fut donc destiné à la médecine. Sa résolution de se donner aux lettres affecta si profondément M. Labrunie qu’il n’en prit jamais son parti et se détacha peu à peu de son fils. L’appui paternel devint hésitant, insuffisant, et finit par être retiré au rebelle. Les conséquences de cette situation furent graves, sous tous les rapports. Elles sont indiquées par Gérard dans une lettre à son père qu’il faut citer ici, quoiqu’elle ait été écrite longtemps après ces tiraillements, parce qu’elle éclaire des relations dont les contemporains s’étonnaient à bon droit et qui ont valu à M. Labrunie des jugements sévères. Les fragments qu’on va lire, s’ils ne disposent pas à plus d’indulgence à son égard, font du moins pénétrer les motifs de son attitude.

La lettre est des premiers jours de 1842. Gérard sortait d’une maison de fous et se trouvait à Vienne, extrêmement préoccupé de prouver aux éditeurs et au public qu’il était réellement guéri : — « Mon cher papa, écrivait-il, me voici donc à Vienne depuis huit jours… Maintenant, j’ai à te faire une demande qui a besoin de quelques explications. Il paraît sans doute assez simple, dans le cours ordinaire des choses, d’emprunter à son père cinq cents francs dont on a besoin ; cependant… » Cependant, rien n’étant moins simple entre eux, il expliquait que cette somme lui permettrait de se donner tout entier à des travaux sérieux et de rétablir ainsi sa situation compromise, au lieu de se dépenser en articles de journaux pour payer son auberge et sa blanchisseuse. Si modeste qu’il fût, il lui semblait avoir mérité que son père lui rendît sa confiance : — « Tu dois voir que je n’ai pas perdu de temps dans la carrière que j’ai suivie. Quelques raisons que tu aies pu avoir dans les commencements d’en craindre les hasards, tu peux aujourd’hui mesurer le point où je suis et ceux où je touche. — Les jeunes gens qu’une malheureuse ou heureuse vocation pousse dans les arts ont, en vérité, beaucoup plus de peine que les autres, par l’éternelle méfiance qu’on a d’eux. Qu’un jeune homme adopte le commerce ou l’industrie, on fait pour lui tous les sacrifices possibles ; on lui donne tous les moyens de réussir et, s’il ne réussit pas, on le plaint et on l’aide encore. L’avocat, le médecin, peuvent être fort longtemps médecin sans malades ou avocat sans causes, qu’importe, leurs parents s’ôtent le pain de la bouche pour le leur donner. Mais l’homme de lettres, lui, quoi qu’il fasse, si haut qu’il aille, si patient que soit son labeur,… on ne songe pas même qu’il a besoin d’être soutenu aussi dans le sens de sa vocation et que son état, peut-être aussi bon matériellement que les autres — du moins de notre temps, — doit avoir des commencements aussi rudes. Je comprends tout ce qu’il peut y avoir de déceptions, de craintes et sans doute de tendresse froissée dans le cœur d’un père ou d’une mère ; mais, hélas ! l’histoire éternelle de ces sortes de situations, consignées dans toutes les biographies possibles, ne devrait-elle pas montrer qu’il existe une destinée qui ne peut être vaincue ? Il faudrait donc, après une épreuve suffisante, après la conviction acquise d’une aptitude vraie, en prendre son parti des deux parts et rentrer dans les relations habituelles, dans la confiante et sympathique amitié qui règne d’ordinaire entre pères et enfants déjà avancés dans la vie… Si, depuis quatre ans, je n’avais su que tu avais besoin de ne faire aucune dépense excessive, certainement il y aurait eu des instants où une aide très légère m’aurait fait gagner beaucoup de temps. Le travail littéraire se compose de deux choses : cette besogne des journaux qui fait vivre fort bien et qui donne une position fixe à tous ceux qui la suivent assidûment, mais qui ne conduit malheureusement ni plus haut ni plus loin. Puis, le livre, le théâtre, les études artistiques, choses lentes, difficiles, qui ont besoin toujours de travaux préliminaires fort longs et de certaines époques de recueillement et de labeur sans fruit ; mais aussi, là est l’avenir, l’agrandissement, la vieillesse heureuse et honorée. »

C’était en vue de « l’agrandissement » qu’il sollicitait un prêt de cinq cents francs, à rembourser par petites sommes. Son père se laissa toucher. Cependant il ne se consolait point d’avoir engendré un poète. Il avait là-dessus les sentiments qu’un autre poète a cru pouvoir prêter à tous les parents, sans distinction :


Lorsque, par un décret des puissances suprêmes,
Le poète apparaît en ce monde ennuyé,
Sa mère épouvantée et pleine de blasphèmes
Crispe ses poings vers Dieu, qui la prend en pitié.


M. Labrunie n’allait pas jusqu’à crisper ses poings. Il invitait même quelquefois son fils à dîner, mais il se refusait froidement à toute autre marque d’intérêt. Ni les témoignages incessants d’un respect qui ne se démentit jamais, ni ceux d’une affection timide et anxieuse de retour ne désarmèrent sa rancune. Peut-être lui était-elle commode pour justifier à ses propres yeux son indifférence égoïste, et ses procédés léonins dans les questions d’argent. Gérard de Nerval fut ainsi poussé par les épaules dans le camp romantique, où étaient toutes ses amitiés. Au fond, rien ne convenait moins à sa nature d’esprit que le mouvement littéraire des cénacles, mais son cœur y trouvait son compte, et c’était l’essentiel ; il y avait toujours moyen de s’arranger avec une école ayant pour devise : « La liberté dans l’art. »

Quant à la pauvreté qui allait être son lot, peut-être pour longtemps, peut-être pour toujours, il lui ouvrait les bras ; la preuve en est sous mes yeux, dans ces lignes inédites, écrites à vingt ans : — « L’homme de lettres jouirait-il de cette indépendance, s’il pouvait ouvrir son âme au désir de la fortune et au vil intérêt ? Non : l’intérêt et la liberté se combattent. Homme de lettres, si tu as de l’ambition, ta pensée devient esclave et ton âme n’est plus à toi… Si tu t’occupes de fortune, tu te mets toi-même à l’encan ; crains de calculer bientôt le prix d’une bassesse et le salaire d’un mensonge. Si ton âme est noble, ta fortune est l’honneur… Si elle ne te suffit pas, renonce à un état que tu déshonores. Un journal a dit de mois : — M. Gérard ne sera ni receveur général, ni colonel, ni maître des requêtes. — C’est l’éloge le plus délicat qu’on puisse adresser à un jeune poète. Je suis heureux de l’avoir inspiré[9]. »

Ce n’est pas tout que de mépriser les recettes générales ; encore faut-il savoir supporter la misère. Gérard de Nerval allait fournir un exemple de plus de l’utilité pratique de l’idéalisme.


II

Gérard de Nerval chez les romantiques, c’était Daniel dans la fosse aux lions. Les cénacles se faisaient une gloire, et un devoir, de prendre des airs dévorants. Leurs membres ont été plus tard les premiers à se moquer en gens d’esprit du temps où ils étaient condamnés à être « titaniques » et « sataniques » à perpétuité, dans toutes les situations de la vie. Jamais de vacances : un romantique n’avait pas le droit de causer sans « rugir », ou d’écrire à son bottier sans évoquer par des tournures excentriques et des épithètes violentes l’image d’un Peau-Rouge « partant pour la guerre, des plumes d’aigle sur la tête, des colliers de griffes d’ours au bas du col, des scalps ou plutôt des perruques de classiques à la ceinture[10] ». Il était tenu d’avoir un nom « truculent », ce qui menait les Auguste Maquet et les Théophile Dondey à se baptiser Augustus Mac Keat et Philothée O’Neddy. Ses pensées ne devaient jamais être ordinaires ; quand Petrus Borel, dit le Lycanthrope, publia ses Rhapsodies, il osa accepter les épigraphes que des amis avaient osé lui offrir : — « Ça trouillotte », ou « Pauvre b… ». Son imagination ne devait pas non plus être ordinaire, car il était indispensable qu’une contredanse sous la tonnelle lui représentât « une bacchanale », et un lapin sauté « une orgie », destinées à mettre Dieu au désespoir et à attirer ses foudres sur le célèbre cabaret de la mère Saguet. Dieu s’étant tenu coi, les romantiques piqués au jeu lui prouvèrent leur satanisme en buvant à la ronde dans la coupe très peu ragoûtante fabriquée par Théophile Gautier avec un crâne humain et une poignée de commode. Le crâne avait été fourni par Gérard, qui le tenait de son père ; c’était celui d’un tambour-major tué à la bataille de la Moskowa. Les convives dissimulaient leurs grimaces, dans l’heureuse conviction d’aider par ce sacrifice à l’émancipation de la littérature française. Que n’eût-on point fait pour la littérature, en cet âge de féconds enthousiasmes ?

Un bon romantique ne reculait devant rien pour se donner des airs moyen âge, pas même devant les pourpoints qu’il fallait se faire attacher dans le dos par son portier, pas même devant les chevelures mérovingiennes et les redingotes hongroises dont l’assemblage, en prenant la moyenne des dates, donnait un contemporain de la première croisade. Il s’étudiait à avoir l’œil fatal, la voix caverneuse et le teint cadavéreux. Son ambition suprême, qu’on aurait tort de railler, était de « se soustraire aux tyrannies de la civilisation » en apprenant à se passer de tout ; Petrus Borel couchait dans les démolitions et se nourrissait de pommes de terre cuites sous la cendre, sans sel — le sel était le luxe du dimanche, — pour pouvoir se promener du matin au soir suivi de ses disciples, « le coin de son manteau jeté sur l’épaule, traînant derrière lui son ombre, dans laquelle il n’aurait pas fallu marcher[11] ». Temps ingénus, où les mères emmenaient leurs filles quand Monpou se mettait au piano pour chanter l’Andalouse ! Temps heureux, où rien ne coûtait pour caresser sa chimère et servir la cause du beau !

Les jeunes écoles sont forcées d’être intolérantes et agressives. Jamais les romantiques ne seraient venus à bout de leur tâche, jamais ils ne nous auraient débarrassés de la queue de l’armée classique, sans leur intransigeance et leur violence. C’était tout juste, et avec des soupirs, s’ils passaient à Victor Hugo ses petits cols de chemise d’un goût bourgeois, et Victor Hugo était un dieu, élevé par sa divinité au-dessus des lois et de l’opinion. Il fallut leur grande amitié pour qu’ils passassent à Gérard Labrunie, qui n’était pas un dieu, d’être ce qu’il était. Gérard avait tout à se faire pardonner, à commencer par son visage blanc et rose de chérubin, au-dessus duquel une chevelure blonde faisait « comme une fumée d’or ». Il avait une fossette au menton et une bouche au sourire d’enfant, des yeux gris « aussi lointains que des étoiles[12] », un grand front « poli comme de l’ivoire et brillant comme de la porcelaine » ; rien de tragique dans sa physionomie, rien de byronien dans ses attitudes, mais des timidités et des rougeurs de jeune fille de Scribe, la terreur d’attirer l’attention, l’horreur des querelles et des discussions, du bruit et des couleurs voyantes. Invariablement vêtu d’une longue redingote en orléans noir et d’un paletot bleu foncé « auquel, disait Gautier, on avait recommandé de ressembler au paletot de tout le monde », il aurait passé partout inaperçu et comme invisible sans sa démarche très particulière d’homme à demi soulevé par un souffle secret. Sa conversation donnait une impression analogue ; c’était « un esprit ailé, une nature ailée », répètent ses amis, auxquels il rappelait les oiseaux voyageurs. On était accoutumé, dit encore Gautier, « à le voir apparaître dans une courte visite, familier et sauvage comme une hirondelle qui se pose un instant et reprend son vol après un petit cri joyeux ». Il fallait le suivre « pour profiter de sa conversation charmante, car demeurer en place était pour lui un supplice. Son esprit ailé entraînait son corps, qui semblait raser la terre ».

L’hirondelle ne chante pas ; elle gazouille. Ce qu’écrivait Gérard Labrunie ne se prêtait pas à être trompeté le poing sur la hanche et le nez au vent, ainsi qu’il convenait aux œuvres romantiques ; il avait toujours l’air d’écrire pour être lu à demi-voix. Il « se plaisait dans les gammes tendres, les pâleurs délicates et les gris de perle chers à l’école française de l’autre siècle. S’il admirait Hugo, il aimait Béranger[13] ». Il l’aimait au point d’avoir publié une sorte d’anthologie[14] intitulée Couronne poétique de Béranger (1829), et accompagnée d’une Ode à Béranger où il traitait celui-ci de « divin ». Ce n’était pas l’acte, ce n’étaient pas les goûts et les idées d’un romantique, et les cénacles auraient eu le droit de lui faire grise mine, lorsqu’il se réfugia sous leur aile en quittant le foyer paternel. Les cénacles, au contraire, fêtèrent le prôneur de Béranger, parce qu’il n’existait pas dans le monde des lettres un être assez méchant pour faire de la peine au « bon Gérard », ainsi qu’ils l’appelaient. — « Dans tout ce Paris littéraire, où il est si difficile de poser le pied, Gérard ne trouvait que sourires amicaux et bonnes paroles. Confrères parvenus, confrères à parvenir, écrivains romantiques, classiques, réalistes, poètes, prosateurs, romanciers, auteurs dramatiques, vaudevillistes et journalistes, tous (lui) montraient une de ces bienveillances si peu communes dans le monde littéraire[15]. » Quoi qu’il pût faire, dire et penser, il était « le bon Gérard », à qui l’on passait plus encore qu’à Victor Hugo, puisqu’on lui passait tout.

Il avait accordé aux manies romantiques de ne plus s’appeler Labrunie. Le nom qu’il adopta, Nerval, était celui d’un petit champ[16] qui lui appartenait et que son imagination avait transformé en débris d’un fief ayant appartenu jadis à ses ancêtres. Ce fut sa seule concession aux modes du jour. Il comptait sur la fantaisie de son existence pour lui mériter l’indulgence d’une génération ennemie de la règle.

Ses mœurs n’étaient pas d’un bourgeois, si elles n’étaient pas d’un poète chevelu. Gérard de Nerval avait généralement plusieurs domiciles, mais il n’en habitait aucun. Il travaillait en marchant, dans la rue si le temps était beau, dans les passages aux jours de pluie, ne s’arrêtant que pour tirer de ses grandes poches des carnets et des bouts de papier où il notait ce qui lui passait par la tête, tantôt sur une table de cabaret, tantôt dans le creux de sa main et au crayon. Il abandonnait ensuite ces chiffons partout, « comme l’oiseau laisse de ses plumes aux endroits qu’il traverse », et sa négligence nous en a conservé des poignées, ramassées par ses amis. Étrange fouillis d’idées parfois plus étranges encore, jetées confusément sur le papier, dans tous les sens, et mêlant les systèmes du monde aux notes d’auberge, les réflexions de M. Labrunie père aux mots d’esprit à placer un jour ou l’autre dans un article ou une pièce de théâtre. C’est infiniment curieux et vivant ; les petits papiers de Gérard de Nerval permettent de surprendre le travail du cerveau humain dans son désordre et son effervescence.

L’instant venu de donner à l’imprimerie la page promise, il fallait bien se décider à débrouiller ce chaos. On voyait alors arriver « le bon Gérard » dans les bureaux d’un journal. Il tirait de ses poches une petite bouteille d’encre, des plumes, des bouchons de papier couverts de notes, toute une bibliothèque de livres et de brochures, et se mettait en devoir d’écrire : — « Il travaillait avec acharnement, jusqu’à ce que l’arrivée de quelque connaissance le forçât de prendre la fuite. De là, il entrait au café d’Orsay, s’installait à une table isolée et déployait tout son matériel. À peine avait-il écrit quelques lignes, qu’un ami se dressait devant lui et entamait une longue conversation. Gérard reprenait son mobilier de poche et partait[17]. » De déballage en déballage, il arrivait au bout de son article ou de sa nouvelle, mais toujours à la dernière minute, ce qui mettait dans l’angoisse les directeurs de revues ou de journaux. Ils le pourchassaient pour lui arracher sa copie, et Gérard fuyait, indigné contre ces « gens sans pitié ». Un jour qu’il croyait avoir dépisté l’ennemi, il s’était arrêté devant un marchand d’oiseaux à débattre avec lui-même un cas de conscience. Avait-il le droit de donner au perroquet la cerise des serins, puisque les serins n’en voulaient pas ? Quelqu’un lui frappa tout à coup sur l’épaule : — « Et mon article ? » C’était M. Buloz père. Gérard avoua qu’il n’avait pas fini. M. Buloz le prit sans mot dire par le bras, l’emmena à la Revue et l’enferma dans un cabinet jusqu’à ce qu’il eût achevé. Ce n’était pas le premier qu’il mettait sous clef dans des circonstances du même genre, et ce ne fut pas le dernier ; peut-être trouverait-on encore, parmi les vieux collaborateurs de la Revue, des gens qui ont connu le cabinet de pénitence. Cette mésaventure avait accru la méfiance de Gérard de Nerval ; il ne se risquait plus que dans les bureaux de rédaction ayant plusieurs issues.

Délivré de l’article à finir, il retournait devant le marchand d’oiseaux, dans l’espoir — c’est lui qui le raconte — « de comprendre leur langage d’après le dictionnaire phonétique laissé par Dupont de Nemours, qui a déterminé quinze cents mots dans la langue seule du rossignol ». Paris ne possédait pas de badaud plus déterminé. C’est de lui-même qu’il parle quand il raconte les interminables vagabondages de Mon ami[18] : — « Pas un cercle entourant quelque chanteur ou quelque marchand de cirage, pas une rixe, pas une bataille de chiens, où il n’arrête sa contemplation distraite. L’escamoteur lui emprunte toujours son mouchoir, qu’il a quelquefois, ou la pièce de cent sous, qu’il n’a pas toujours. L’abordez-vous, le voilà charmé d’obtenir un auditeur à son bavardage, à ses systèmes, à ses interminables dissertations, à ses récits de l’autre monde. Il vous parlera de omni re scibili et quibusdam aliis, pendant quatre heures… et ne s’arrêtera qu’en s’apercevant que les passants font cercle, ou que les garçons de café font leur lit. Il attend encore qu’ils éteignent le gaz. Alors, il faut bien partir… À minuit, tout le monde pense avec terreur à son portier. — Quant à lui-même, il a déjà fait son deuil du sien, et il ira se promener à quelques lieues, ou, seulement, à Montmartre. »

Ce n’est pas que « Mon ami » songe à coucher dans les carrières de Montmartre. Il cherche des interlocuteurs, et non du repos. Au temps de sa jeunesse, les « grandes carrières » étaient, à l’en croire, très bien fréquentées. On y trouvait « d’honnêtes vagabonds », et de braves ouvriers qui possédaient des notions précieuses sur les animaux antédiluviens ; ils les tenaient, par tradition, d’anciens carriers qui avaient été « les compagnons de Cuvier dans ses recherches géologiques ». Gérard de Nerval prenait place autour du feu et racontait les révolutions du globe à un auditoire attentif. « Parfois un vagabond se réveillait et demandait du silence, mais on le faisait taire aussitôt. »

Le plus souvent, il restait dans Paris. Le quartier Saint-Honoré foisonnait alors de divertissements populaires dont Gérard de Nerval était l’un des plus fidèles habitués. Il connaissait les heures de fermeture de tous les rôtisseurs et de toutes les guinguettes ; il savait lesquels éteignaient le gaz à minuit, lesquels avaient la permission de deux heures, et il vaguait de l’un à l’autre jusqu’à ce qu’on mît les clients à la porte, se faufilant à travers les consommateurs et avalant des boissons infâmes pour entendre parler la sagesse des nations par la bouche des ramasseurs de bouts de cigares et de leurs compagnes. Il aimait à descendre au café des Aveugles, situé dans une cave, et à écouter les discussions des connaisseurs sur le jeu de l’Homme sauvage. Il grimpait de là au bal des Chiens, se faisait écraser les pieds et recevait force coups de coude pour regarder danser les petites ouvrières. Ses principes l’obligeant à se retirer à l’heure où les grisettes étaient remplacées par « des personnes qui sortent des théâtres » et autres établissements publics, il allait s’insinuer à la Société lyrique des Troubadours, dont il avait surpris le mot de passe, et se régalait de chansons dans le genre innocent de Pierre Dupont, paroles et musique des membres de la Société. Pour deux sous, il se réconfortait d’un bouillon de poulet chez un rôtisseur ayant la permission de deux heures, et il gagnait les Halles au moment où le petit carreau commençait à s’animer. Les Halles étaient son lieu de prédilection ; il aurait pu s’y diriger les yeux fermés. Là, à droite, étaient les marchands de sangsues ; en face les « pharmaciens Raspail » et les débitants de cidre, chez lesquels on se régalait d’huîtres et de tripes à la mode de Caen. Un peu plus loin, le cabaret où l’on buvait certaine eau-de-vie de Domfront « inconnue sur les grandes tables » et dont les prix étaient affichés en ces termes : « le monsieur, 4 sous ; la demoiselle, 2 sous ; le misérable, 1 sou. » Plus loin encore, le restaurant Baratte, où les facteurs de la Halle et les gros marchands vont souper à sept francs par tête, et, enfin, le fameux Paul Niquet : « Il y a là évidemment moins de millionnaires que chez Baratte… Les murs, très élevés et surmontés d’un vitrage, sont entièrement nus. Les pieds posent sur des dalles humides. Un comptoir immense partage en deux la salle, et sept ou huit chiffonnières, habituées de l’endroit, font tapisserie sur un banc opposé au comptoir. Le fond est occupé par une foule assez mêlée, où les disputes ne sont pas rares. Comme on ne peut pas à tout moment aller chercher la garde, le vieux Niquet, si célèbre sous l’Empire par ses cerises à l’eau-de-vie, avait fait établir des conduits d’eau très utiles dans le cas d’une rixe violente. On les lâche de plusieurs points de la salle sur les combattants, et, si cela ne les calme pas, on lève un certain appareil qui bouche hermétiquement l’issue. Alors, l’eau monte, et les plus furieux demandent grâce. »

Les nouveaux venus payaient une tournée aux chiffonnières « pour se faire un parti dans l’établissement en cas de dispute ». Une vieille à qui Gérard de Nerval avait offert un « verjus » l’en récompensa par des confidences : « Toi, lui dit-elle, t’es bien zentil aussi, mon p’tit fy ; tu me happelles le p’tit Ba’as (Barras) qu’était si zentil, si zentil, avec ses cadenettes et son zabot d’Angueleterre… Ah ! c’était z’un homme aux oiseaux, mon p’tit fy, aux oiseaux !… vrai ! z’un bel homme comme toi ! » Un second verjus acheva de lui délier la langue : « Vous ne savez pas, mes enfants, que j’ai été une des merveilleuses de ce temps-là… J’ai eu des bagues à mes doigts de pied… Il y a des mirliflores et des généraux qui se sont battus pour moi ! » Gérard de Nerval ne regretta point son argent ; on ne pouvait payer trop cher les souvenirs d’une belle du Directoire. Il ne sortit de chez Paul Niquet qu’à l’apparition de la police, qui avait affaire à l’un des clients. Le soleil se levait, des tas de bottes de fleurs encombraient le trottoir, l’air était embaumé.

Il passait au moins cinq nuits par semaine à errer de la sorte « comme un chien perdu », se faisant réclamer lorsque la police le ramassait, se réfugiant de lui-même au poste en cas de pluie et payant alors son écot en histoires et en chansons. Il dormait ensuite le jour, dans quelque lieu qu’il se trouvât : « Parfois, rapporte Maxime Du Camp, sur le divan de l’atelier de Théophile Gautier, j’ai vu un petit homme… pelotonné sous un plaid et dormant : c’était Gérard de Nerval, qui venait se reposer de ses pérégrinations nocturnes… J’aimais à causer avec lui lorsque je parvenais à le réveiller, ce qui n’était pas toujours facile. »

Tout à coup « le bon Gérard » disparaissait. On n’entendait plus parler de lui. Ses amis ne s’en mettaient pas en peine. C’est que l’idée lui avait pris de voyager et qu’il s’en était allé directement des Halles à Munich, ou à Rotterdam, ou plus loin encore. En dehors des commis voyageurs et des explorateurs, peu d’hommes ont fait autant de lieues que Gérard de Nerval. Il connaissait la moitié de l’Europe sur le bout du doigt, pour l’avoir arpentée dans tous les sens, et à pied, autant que faire se pouvait. Ses préparatifs de départ n’étaient pas plus compliqués que ceux des oiseaux migrateurs ; il s’envolait, libre comme l’air, léger comme lui, et arrive que pourra ! — « Te rappelles-tu, écrivait Hetzel à Arsène Houssaye, le voyage à Constantinople entrepris avec 40 francs et accompli — miraculeusement ? — T’a-t-il conté, comme à moi, ses voyages avec Dumas sur le Rhin, lui ayant, je ne sais comment, perdu Dumas je ne sais où — et l’allant chercher sans chapeau, sans argent, sans vêtement presque, par suite d’aventures que Dumas raconterait si bien qu’on n’en pourrait pas croire un mot, tant elles sont fantastiques, toutes vraies qu’elles soient ? » Il apprenait des chemineaux à voyager économiquement, et s’en tirait presque toujours : « Il savait si bien n’avoir pas le sou, n’avoir pas de feu, ni de lieu, n’avoir pas de gîte, errer, vagabonder ! son corps faisait comme son aimable esprit, il se laissait aller tout droit, ou tout de côté, peu lui importait pourvu qu’il allât[19]. » Au pis aller, les amis de Paris recevaient une lettre les avertissant que « le bon Gérard » était échoué à Naples, ou au fond de l’Allemagne, et les priant de lui faire envoyer de l’argent par son journal. Il n’y avait qu’en France que ses aventures tournassent quelquefois au tragique. Notre pays était encore soumis au régime des passe-ports, et l’on croira sans peine que Gérard de Nerval perdait le sien, quand il en avait un. Il couchait alors en prison et était reconduit de brigade en brigade, enchaîné comme « un héros de l’Ambigu », jusqu’à une ville où il pût se faire reconnaître ; mais il racontait ces catastrophes sans amertume, persuadé que c’était toujours sa faute, et il s’extasiait sur la politesse des gendarmes, du commissaire, du substitut, du geôlier, de tout le monde sans exception : « J’étais dans mon tort, concluait-il. Je ne trouve de trop que le cachot et les fers. »


III

Une seule fois, les choses prirent un tour plus sérieux. On sait combien les émeutes furent fréquentes dans les premières années de la Monarchie de Juillet. Un soir de troubles, en 1831, Gérard de Nerval était allé au cabaret, avec quelques amis, s’exercer à être « truand et talon rouge tout à la fois », selon la poétique de la bohème romantique. Aucun d’eux ne savait pourquoi la ville était en rumeur, mais elle leur plaisait ainsi : « Nous traversions l’émeute, raconte Gérard, en chantant et en raillant, comme les épicuriens d’Alexandrie (du moins, nous nous en flattions). Un instant après, les rues voisines étaient cernées, et, du sein d’une foule immense, composée, comme toujours, en majorité de simples curieux, on extrayait les plus barbares et les plus chevelus[20]. » Des sergents de ville sans littérature empoignèrent ces jeunes insolents d’accoutrement insolite, et Gérard de Nerval fut écroué à Sainte-Pélagie sous la prévention de complot contre l’État.

La première nuit fut à souhait pour un noctambule. Son dortoir contenait une quarantaine de braves gens pleins d’entrain, qui se mirent en devoir de jouer une charade à grand spectacle, de leur composition, et représentant la révolution de 1830. On y voyait d’abord Charles X et ses ministres tenant conseil : — « Ensuite venait la prise de l’Hôtel de Ville ; puis une soirée à la Cour à Saint-Cloud, le gouvernement provisoire, La Fayette, Laffitte, etc. : chacun avait son rôle et parlait en conséquence. Le bouquet de la représentation était un vaste combat des barricades, pour lequel on avait dû renverser lits et matelas ; les traversins de crin, durs comme des bûches, servaient de projectiles. Pour moi, qui m’étais obstiné à garder mon lit, je ne peux point cacher que je reçus quelques éclaboussures de la bataille. Enfin, quand le triomphe fut regardé comme suffisamment décidé, vainqueurs et vaincus se réunirent pour chanter… la Marseillaise. »

Le lendemain, il eut « la faiblesse » de se faire mettre dans une chambre payante, et fut émerveillé de la paix qu’il y rencontra. Les attentions du gouvernement de Louis-Philippe pour les détenus politiques avaient donné à « la pistole » une physionomie d’hôtel de famille. On ne se serait pas permis d’imposer à un légitimiste le voisinage d’un bonapartiste, ou à un républicain unitaire celui d’un républicain fédéraliste ; les chambrées étaient assorties d’après les opinions et les nuances d’opinions, aussi n’entendait-on jamais un mot plus haut que l’autre. Les différents partis fraternisaient au promenoir sans que les gros bonnets eussent à se garer de familiarités déplacées, car il n’était pas question d’égalité parmi ces révolutionnaires idylliques ; chacun gardait son rang : — « Mes anciens camarades de dortoir y étaient si accoutumés, qu’à partir du moment où je fus logé à la pistole, aucun d’entre eux n’osa plus m’adresser la parole ; de même, on ne voyait presque jamais un républicain en redingote se promener ou causer familièrement avec un républicain en veste. » On s’invitait à dîner entre gens du même monde, et il faisait bon alors avoir des amis dans la droite. Le parti légitimiste nourrissait libéralement ses défenseurs. Des montagnes de pâtés, de volailles et de bouteilles s’amoncelaient tous les matins au parloir, et la plèbe monarchiste n’était pas oubliée dans la distribution. Certains « Suisses arrêtés en Vendée » tenaient table ouverte, et eux-mêmes « restaient à table toute la journée et sous la table toute la nuit » :


Toujours, par quelque bout, le festin recommence.



Ils avaient trouvé à Sainte-Pélagie leur abbaye de Thélème.

Une liberté parfaite ajoutait à l’agrément du quartier des détenus politiques. « Cette prison, poursuit Gérard de Nerval, était l’idéal de l’indépendance absolue rêvée par un grand nombre de ces messieurs, et, hormis la faculté de franchir la porte extérieure, ils s’applaudissaient d’y jouir de toutes les libertés et de tous les droits de l’homme et du citoyen. » Lui-même prétendait avoir été très heureux dans cette aimable société, mais n’en croyez rien : — « La prison était le plus dur supplice qu’on pût infliger à un homme comme lui. Il fallait à ses poumons l’air libre, à ses pieds de voyageur l’espace sans entraves[21]. » Après le non-lieu qui le rendit à ses vagabondages, Gérard de Nerval se le tînt pour dit ; il s’arrangea pour ne plus jamais être mêlé à la politique, même à la politique pour rire des poètes chevelus.

C’est après Sainte-Pélagie, vers 1835, qu’il faut placer le campement romantique de l’impasse du Doyenné, demeuré fameux dans les fastes de l’école. Les gens à cheveux gris se rappellent ce qu’était la place du Carrousel avant le second Empire. Il n’y avait pas dans tout Paris de fouillis plus grouillant et plus pittoresque, sauf, peut-être, la ville de chiffonniers appelée la Petite-Pologne et située sur les hauteurs qui dominent la rue de la Pépinière. Le Carrousel était de beaucoup le plus amusant, à cause de son infinie variété. On y voyait des masures ignobles, les ruines d’une église, un manège, des quinconces de tilleuls, des chantiers de pierres, de vieux hôtels à trumeaux où venaient loger, en vue des Tuileries et des ministères, de jeunes attachés d’ambassade et des référendaires en herbe. Je n’ai jamais pu comprendre comment tout cela tenait, et il y avait encore de la place pour des terrains vagues. Dans les masures pullulaient les marchands d’oiseaux, les brocanteurs et les cabarets borgnes ; dans les terrains vagues les escamoteurs et les arracheurs de dents, les marchands d’orviétan et les tondeurs de chiens ; un peu partout les gueux à la Callot. En dépit du poste de police dont la lanterne rouge se balançait au vent, c’était une grande cour des Miracles, un lieu fait exprès pour les enfants et pour Gérard de Nerval. Celui-ci loua au Carrousel, en tiers avec Arsène Houssaye et le peintre Camille Rogier, un appartement niché dans le salon d’un vieil hôtel. Théophile Gautier vivait le jour avec eux. Ils abattirent les cloisons et se trouvèrent possesseurs d’une vaste pièce « aux boiseries tarabiscotées et ornées de rocaille, aux glaces d’un cristal louche surmontées d’impostes, aux étroites fenêtres vitrées de petits carreaux à la mode de l’autre siècle[22] », et donnant d’un côté sur des terrains vagues, des arbres et la grande galerie du Louvre, de l’autre sur l’impasse du Doyenné. Ils s’y organisèrent une existence inspirée du Pré-aux-Clercs.

« Nous étions jeunes, racontait plus tard Gérard de Nerval, toujours gais, quelquefois riches. » Ces derniers mots marquent la différence essentielle entre la bohème romantique et celle de Murger. La première pouvait se permettre des goûts plus raffinés. Il ne lui était pas interdit d’avoir des besoins esthétiques, et elle se piquait même de grandes exigences sous ce rapport. Les tournures minables des Schaunard et des Colline y auraient choqué les yeux, leurs expédients de besogneux auraient semblé par trop inélégants. Ils étaient un certain nombre, parmi cette jeunesse de 1830 rayonnante d’esprit et de talent, qui gagnaient le nécessaire, et n’étaient pauvres que parce qu’ils le voulaient bien, parce qu’ils aimaient mieux s’acheter des habits en velours nacarat et des bottes à l’écuyère, comme Rogier, ou des Fragonard et des meubles Renaissance, comme Gérard de Nerval, que de payer bourgeoisement leurs fournisseurs. L’argent leur brûlait les doigts — ils ne se représentaient pas des « Titans » ayant de l’ordre et faisant de bons placements, — mais ils le dépensaient en artistes. Plusieurs en ont rappelé de leur mépris pour les capitalistes ; mais ce changement de mode vint trop tard pour Gérard de Nerval. Le seul héritage qu’il ait jamais fait lui tomba du ciel en 1835. Il en consacra la meilleure partie à remplir l’appartement du Doyenné de toiles de maîtres et de vieux meubles, et ne s’en repentit point dans la suite, quand la maladie le laissa dans le dénuement. Il n’eut jamais le courage de regretter quoi que ce fût des deux années du Doyenné ; il n’y pouvait penser sans s’écrier : « Quels temps heureux ! »

Il avait fait un musée du vieux salon aux glaces troubles. On compléta le décor en invitant des amis à repeindre les boiseries trop défraîchies. Ces amis s’appelaient Corot, Rousseau, Nanteuil, Chassériau, Châtillon, Leleux, Lorentz, Wattier, et chacun exécuta une « fresque » ou deux, « au grand effroi du propriétaire, qui considérait les peintures comme des taches ». Quand tout fut prêt, on lança des invitations pour la célèbre fête du 28 novembre 1835.

Il avait été décidé qu’elle serait costumée ; c’était bien le moins chez des romantiques qui se déguisaient tous les jours de leur vie. Trente ans, cinquante ans après, les survivants ne songeaient encore qu’avec des éblouissements à la gaieté qui se dépensa ce soir-là en pantomimes, en parades, en sarabandes et en chansons. Les fresques tenaient lieu de rafraîchissements ; c’était une idée de Gérard de Nerval. L’orchestre provenait d’une guinguette. On avait eu la charité d’inviter « tous les locataires distingués de l’impasse », y compris le commissaire de police et sa femme, parce qu’on prévoyait qu’il serait impossible de dormir cette nuit-là place du Carrousel. Le commissaire de police refusa par une lettre très polie ; mais les attachés d’ambassade et les futurs conseillers d’État se montrèrent moins farouches : — « Ils n’étaient reçus qu’à condition d’amener des femmes du monde, protégées, si elles y tenaient, par des dominos et des loups. » Ils vinrent en nombre, et il y eut des dominos dans le galop monstre qui dégringola les escaliers, balaya l’impasse, s’engouffra sous les quinconces, tournoya au clair de lune parmi les ruines de l’église et aboutit en coup de vent à un cabaret qu’on avait fait rouvrir. À sept heures du matin, on partit à pied pour aller déjeuner à Madrid. Le propriétaire, qui avait le malheur de demeurer sous le grand salon, put enfin se coucher, mais quand il vit que cela recommençait, que les soupers succédaient aux bals, les comédies aux pantomimes, il donna congé et eut un accès de désespoir en voyant ce que ses locataires appelaient avoir restauré sa maison. Les peintures des murailles furent recouvertes d’une couche de détrempe, et il y eut désormais à Paris un bourgeois de plus convaincu qu’on avait tort, selon l’expression de Théophile Gautier, de laisser circuler les romantiques sans muselière.

Lors du déblaiement de la place du Carrousel, au début du second empire, Gérard de Nerval racheta aux démolisseurs les boiseries du salon du Doyenné et fit nettoyer les tableaux, qui allèrent rejoindre dans une mansarde poussiéreuse les bibelots échappés aux accidents dont sa vie était fertile. « Où avez-vous perdu tant de belles choses ? » lui demandait un jour Balzac. « Dans les malheurs », répondit Gérard. « Les malheurs » lui arrivaient dans l’état de rêve où son moi mystique menait silencieusement une existence qui était de plus en plus la seule vraie à ses yeux. De plus en plus aussi, celle dont nous venons de dire les excentricités n’était, dans sa pensée, qu’un décor ; il fallait, pour s’y tromper, ignorer que le monde extérieur est une vaine apparence ; mais presque tous les hommes en sont là, et il est alors impossible de se faire comprendre d’eux. Gérard de Nerval en faisait tous les jours l’expérience ; ses commensaux ne s’apercevaient pas qu’il était continuellement absent, alors même que son corps était au milieu d’eux.


IV

Il était d’usage entre romantiques de croire à tout ce qu’avait cru le moyen âge. Quand on ne le pouvait absolument pas, on tâchait au moins d’en avoir l’air et de parler sérieusement des gnomes ou des vertus cachées des spécifiques. Gérard de Nerval était de ceux qui croyaient réellement au monde et aux sciences occultes. Personne n’avait en eux une foi aussi sincère. Il n’était jamais à court de légendes où les forces secrètes de la nature obéissent à des volontés mystérieuses, et il les murmurait avec des accents d’une persuasion irrésistible. « Tous nous y avons cru, dit un contemporain, ne fût-ce qu’un instant, quand Gérard de Nerval nous en parlait. Il avait dans la voix des inflexions si douces qu’on se prenait à l’écouter comme on écoute un chant. Tous ceux qui ont entendu cette voix ne l’oublieront jamais[23]. » Pendant longtemps, cet univers invisible qui était le sien au cours de ses promenades solitaires ne fut peuplé que de visions gracieuses ; il suffisait de le regarder passer pour en être sûr : « Je l’ai rencontré, dit un autre contemporain[24], plus souvent seul qu’en société, le pas alerte, traversant le jardin du Palais-Royal, l’œil souriant à ses imaginations intérieures. On l’arrêtait ; sa physionomie changeait tout à coup ; c’était un homme qu’on tirait d’un rêve agréable et dont les yeux tenaient du réveil et de l’étonnement. » L’altération du visage indiquait clairement la profondeur de la chute. « Quelquefois, dit Gautier, on l’apercevait au coin d’une rue, le chapeau à la main, dans une sorte d’extase, absent évidemment du lieu où il se trouvait… Quand nous le rencontrions ainsi absorbé, nous avions garde de l’aborder brusquement, de peur de le faire tomber du haut de son rêve comme un somnambule qu’on réveillerait en sursaut, se promenant les yeux fermés et profondément endormi sur le bord d’un toit. Nous nous placions dans son rayon visuel et lui laissions le temps de revenir du fond de son rêve, attendant que son regard nous rencontrât de lui-même. »

À l’âge qu’il avait alors, il est rare que toutes les visions, quand visions il y a, soient uniquement d’esprits élémentaires ou de symboles philosophiques, sans mélange de figures moins austères. Il ne manquait pas aux cénacles de gens faisant profession de mépriser les amours grossières du commun des hommes ; mais c’était d’ordinaire une attitude à ajouter à toutes les autres : « L’homme matériel, dit Gérard de Nerval à ce propos, aspirait au bouquet de roses qui devait le régénérer par les mains de la belle Isis… Vue de près, la femme réelle révoltait notre ingénuité ; il fallait qu’elle apparût reine ou déesse, et surtout n’en pas approcher. Quelques-uns d’entre nous néanmoins prisaient peu ces paradoxes platoniques. » L’un de ces derniers ayant cru deviner que Gérard de Nerval était amoureux d’une réalité lui adressa une question indiscrète. Il répliqua : « Moi ? C’est une image que je poursuis, rien de plus. »

L’image avait des cheveux d’or, couronnés de laurier « dont les feuilles lustrées éclataient… aux rayons pâles de la lune ». Elle glissait sur l’herbe, à demi portée par les brouillards du soir, et laissait traîner dans la rosée un long voile de religieuse. Son nom était Adrienne. Le lecteur la connaît : elle était apparue une seule fois à Gérard, sur une place verte devant un vieux château, et il s’était demandé, en mettant un baiser d’enfant sur sa joue rose, dans quelle existence il l’avait déjà rencontrée. Il avait vécu depuis dans l’attente d’Adrienne. Qu’elle fût morte, cela n’était pas un obstacle insurmontable ; puisque les âmes transmigrent, celle de son unique amour était peut-être passée dans le corps d’une autre femme, moins inabordable pour lui que ne l’eût été une descendante des rois de France. Mais il fallait la reconnaître, et l’on pouvait se tromper, malgré les avertissements des « sympathies occultes » et les communications établies par les songes entre le monde visible et le monde des Esprits. On pouvait aussi tarder à se rencontrer. Gérard de Nerval considérait notre globe comme un immense Guignol où les âmes viennent répéter leur rôle et étudier leurs gestes, à de certaines périodes de leur cycle sans fin. « C’est ainsi, dit-il, que je croyais percevoir les rapports du monde réel avec le monde des esprits. La terre, ses habitants et leur histoire étaient le théâtre où venaient s’accomplir les actions physiques qui préparaient l’existence et la situation des êtres immortels attachés à sa destinée. » L’âme d’Adrienne pouvait avoir été envoyée à l’autre extrémité des tréteaux divins, de même qu’elle pouvait frôler Gérard sous un déguisement. Cependant, lui et elle devaient fatalement se retrouver un jour ou l’autre à cause du « lien », du lien « mystique et indestructible », créé par leur rencontre dans une vie antérieure dont Gérard avait gardé un insaisissable mais sûr souvenir. Ces idées paraissent folles à qui a mis sa confiance et sa foi dans la science : « L’arbre de science, écrivait Gérard de Nerval, n’est pas l’arbre de vie. » C’est ce que disent aussi les occultistes d’à présent. Qui est fou ? Qui ne l’est pas ? Quand Gautier vieilli rappelait ses souvenirs sur le compagnon de sa jeunesse, il avouait qu’entre romantiques la distinction était presque impossible, parce qu’il était trop difficile dans leur monde « de paraître extravagant ». La même situation se représente de nos jours pour les nouvelles générations. Il sera bientôt impossible de « paraître extravagant », dans notre âge de névrosés, d’alcooliques et de morphinomanes. Sans cesse la question se pose : qui est fou ? qui ne l’est pas ? et bien habile qui peut y répondre avec certitude.

Gérard de Nerval lui-même n’y était point parvenu d’emblée. Avant d’admettre qu’il était en commerce régulier avec l’au-delà, il avait eu sa période de doute, pendant laquelle il aurait donné beaucoup pour savoir si ses visions étaient de pures hallucinations, ou si elles correspondaient à quelque chose dans le monde qu’on nomme réel. Une nuit — c’était avant la mort d’Adrienne — il était retourné dans les bois d’Ermenonville, familiers à son enfance, et il avait pénétré dans les ruines de la vieille abbaye de Châalis, au bord des étangs du même nom. La charmante chapelle de l’abbé, décorée, disait-on, par le Primatice, était ouverte et éclairée. Le maître du domaine y faisait représenter un Mystère devant quelques familles du voisinage. Gérard se glissa dans la chapelle, et voici ce qu’il vit : — « Les costumes, composés de longues robes, n’étaient variés que par les couleurs de l’azur, de l’hyacinthe ou de l’aurore. La scène se passait entre les anges, sur les débris du monde détruit. Chaque voix chantait une des splendeurs de ce globe éteint, et l’ange de la mort définissait les causes de sa destruction. Un esprit montait de l’abîme, tenant en main l’épée flamboyante, et convoquait les autres à venir admirer la gloire du Christ vainqueur des enfers. Cet esprit, c’était Adrienne transfigurée par son costume, comme elle l’était déjà par sa vocation. Le nimbe de carton doré qui ceignait sa tête angélique nous paraissait bien naturellement un cercle de lumière ; sa voix avait gagné en force et en étendue… En me retraçant ces détails, j’en suis à me demander s’ils sont réels, ou bien si je les ai rêvés. » Plus il s’interrogeait, plus il s’y perdait. La grande horloge dans sa gaine n’était pas un rêve, non plus que les hautes armoires en noyer sculpté ; mais l’apparition d’Adrienne ? Le seul témoin qu’il aurait pu interroger était un jeune paysan qui l’avait suivi dans la chapelle, et ce garçon était gris. Gérard de Nerval se répétait : — Obsession ou réalité ? et il n’osait prononcer.

Après quelques aventures analogues, il ne fut pas autrement surpris de reconnaître un soir Adrienne, tout d’un coup, dans une actrice nommée Jenny Colon, qui lui inspirait depuis toute une année un sentiment inexplicable. Il ne manquait pas une seule de ses représentations : — « Je me sentais vivre en elle, et elle vivait pour moi seul. Son sourire me remplissait d’une béatitude infinie ; la vibration de sa voix si douce et cependant fortement timbrée me faisait tressaillir de joie et d’amour. Elle avait pour moi toutes les perfections, elle répondait à tous mes enthousiasmes, à tous mes caprices… » Il l’adorait du fond de sa stalle, mais il ne désirait point la voir de plus près : — « Depuis un an, je n’avais pas encore songé à m’informer de ce qu’elle pouvait être d’ailleurs : je craignais de troubler le miroir magique qui me renvoyait son image, — je m’en informais aussi peu que des bruits qui ont pu courir sur la princesse d’Élide ou sur la reine de Trébizonde. » Cela dura jusqu’à ce qu’un incident puéril fît soudain tournoyer devant les yeux de son esprit la ronde d’enfants dansée avec Adrienne sous un ciel de couchant : — « Tout m’était expliqué… Cet amour vague et sans espoir, conçu pour une femme de théâtre, qui tous les soirs me prenait à l’heure du spectacle, pour ne me quitter qu’à l’heure du sommeil, avait son germe dans le souvenir d’Adrienne… La ressemblance d’une figure oubliée depuis des années se dessinait désormais avec une netteté singulière… Aimer une religieuse sous la forme d’une actrice !… et si c’était la même ! » L’énigme restait insoluble ; toutefois il ne s’en tourmentait pas outre mesure, et veillait seulement à compléter son bonheur par des jouissances moins lointaines, sinon moins pures.

L’une des petites paysannes avec lesquelles il avait tant joué à s’embrasser, du temps où il habitait au village, était devenue une dentellière jolie et sage. C’était Sylvie, dont il a conté les métamorphoses successives à mesure que les campagnes devenaient plus « éclairées ». Chaque révolution dans les mœurs lui avait ôté un peu de poésie. Elle avait été d’abord « une enfant sauvage ; ses pieds étaient nus, sa peau hâlée, malgré son chapeau de paille, dont le large ruban flottait pêle-mêle avec ses tresses de cheveux noirs ». Elle aimait alors les courses folles avec des cris joyeux et chantait les vieilles chansons des aïeules : Dessous le rosier blanc, — La belle se promène, ou encore, Quand Biron voulut danser. » Gérard l’emmenait boire du lait à la ferme, où on lui disait : — « Qu’elle est jolie ton amoureuse, petit Parisien ! »

Sylvie avait grandi. Ses bras et son teint avaient blanchi, ses mains de dentellière s’étaient délicatement allongées, et elle écoutait Gérard lui réciter des passages de la Nouvelle Héloïse ; mais elle était encore simple et gaie. Un jour qu’ils étaient allés manger une omelette au lard chez une vieille tante à elle, ils découvrirent dans un tiroir de la chambre haute les habits de noce de la bonne femme et de son défunt et s’amusèrent à les revêtir. Les pastels de l’oncle et de la tante à vingt ans les regardaient faire, avec leurs figures de braves gens : « Mais finissez-en ! Vous ne savez donc pas agrafer une robe ? » me disait Sylvie. Et Gérard pensait : — « Ô jeunesse, ô vieillesse saintes ! — qui donc eût songé à ternir la pureté d’un premier amour dans ce sanctuaire des souvenirs fidèles ? » Ils descendirent l’escalier en se tenant par la main, et la tante poussa un cri : — « Ô mes enfants ! dit-elle. Et elle se mit à pleurer, puis sourit à travers ses larmes. » La bonne vieille retrouva dans sa mémoire les chants alternés qui avaient retenti à son repas nuptial, et elle leur apprit à en accompagner l’omelette au lard : « Nous répétions ces strophes si simplement rythmées, avec les hiatus et les assonances du temps ; amoureuses et fleuries comme le cantique de l’Ecclésiaste ; — nous étions l’époux et l’épouse pour tout un beau matin d’été. »

Encore quelques années, et Sylvie était devenue une demoiselle. Elle portait les modes de la ville, chantait avec prétention des airs d’opéra et avait abandonné la dentelle ; elle était gantière. Le soir où Gérard de Nerval découvrit que Mlle Jenny Colon était Adrienne, il eut l’idée, pour « reprendre pied sur le réel », d’aller revoir son amie d’enfance. Il monta dans la patache de Senlis, arriva avant l’aube au bourg de Loisy, dont c’était la fête, et trouva Sylvie au bal. Sa figure était fatiguée. Des fleurs pendaient dans ses cheveux dénoués et sur les dentelles fripées de son corsage. Un gros dadais ébouriffé se tenait auprès d’elle. Dans la journée qui suivit, Gérard de Nerval l’emmena promener. Elle fit seller un âne, comme lorsqu’on va à Robinson, et dit en arrivant aux ruines de Châalis : — « C’est un paysage de Walter Scott, n’est-ce pas ? » Son compagnon tout déconfit mettait néanmoins en elle son espoir, parce qu’elle était « le réel ». Une première fois il se jeta à ses pieds, la suppliant de le sauver de « l’image vaine » qui traversait sa vie ; mais ils furent interrompus par les gros rires de deux paysans avinés dont l’un était le dadais du bal. Une seconde fois, dans un chemin désert, il essaya de lui parler de ce qu’il avait dans le cœur : — « Mais, dit-il, je ne sais pourquoi, je ne trouvais que des expressions vulgaires, ou bien tout à coup quelque phrase pompeuse de roman. » Une troisième fois, il fut encore empêché par quelque bagatelle, et il se tint alors pour averti : le sage n’essaie pas de réconcilier le rêve et la vie, de peur d’un heurt qui mette l’un et l’autre en pièces. Il remonta dans la patache et revint à Paris.

Le choc que sa prudence avait évité, d’imprudents amis l’amenèrent, en le présentant à l’actrice dont la contemplation lui suffisait. Les conséquences furent lamentables. Jenny Colon n’était ni meilleure ni pire que la plupart des princesses de la rampe. Cet amoureux transi qui se faisait gloire d’aimer en elle « l’idéal » lui parut ridicule et ennuyeux. De son côté, il ne put braver longtemps ce voisinage capiteux sans embrouiller le rêve avec la réalité et sans souffrir de confusions qui ne lui valaient, en fin de compte, que des rebuffades ou d’immenses déceptions. Ce roman, unique en son genre, d’un homme amoureux d’une « vaine image » et devenant fou de ce que l’image se fait chair, se devine à travers les lettres de Gérard à l’actrice[25]. On sent à chaque ligne qu’ils parlent deux langues différentes. Gérard s’en apercevait ; il écrivait à Mlle Colon : — « Cette pensée que l’on peut trouver du ridicule dans les sentiments les plus nobles, dans les émotions les plus sincères, me glace le sang et me rend injuste malgré moi. » Dans une autre lettre, il lui rappelle certain soir heureux où il a baisé ses mains, et il ajoute avec une franchise dangereuse : — « Ah ! ce n’était pas alors la femme, c’était l’artiste à qui je rendais hommage. Peut-être aurais-je dû toujours me contenter de ce rôle, et ne pas chercher à faire descendre de son piédestal cette belle idole que jusque-là j’avais adorée de si loin. — Vous dirai-je pourtant que j’ai perdu quelques illusions en vous voyant de plus près ? » Une femme intelligente aurait été reconnaissante envers le jeune enthousiaste qui l’avait jugée digne d’être la Béatrice d’une autre Vita nuova, mais Gérard de Nerval s’était mal adressé et ce n’était vraiment pas la faute de cette pauvre fille ; elle tâchait de comprendre et n’y parvenait pas.

Il arriva que sa troupe alla donner des représentations à Chantilly et à Senlis. Gérard de Nerval la suivit et conçut le projet de profiter de l’occasion pour obliger Jenny Colon à avouer qu’elle était Adrienne. Il loua des chevaux de selle et l’emmena au travers des forêts, sans la prévenir, vers le vieux château de brique à coins de pierre. À mesure qu’ils approchaient, les lieux parlaient à Gérard de Nerval, mais sa compagne ne semblait pas entendre leur langage : — « Ces aspects chers à mes souvenirs, dit-il, l’intéressaient sans l’arrêter. » Il tenta l’épreuve suprême et la conduisit sur la même place verte où il avait vu Adrienne : — « Nulle émotion ne parut en elle. Alors je lui racontai tout ; je lui dis la source de cet amour entrevu dans les nuits, rêvé plus tard, réalisé par elle. Elle m’écoutait sérieusement et me dit : — « Vous ne m’aimez pas ! Vous attendez que je vous dise : « La comédienne est la même que la religieuse » ; vous cherchez un drame, voilà tout, et le dénouement vous échappe. Allez, je ne vous crois plus ! »

« Cette parole fut un éclair. Ces enthousiasmes bizarres que j’avais ressentis si longtemps, ces rêves, ces pleurs, ces désespoirs et ces tendresses… ce n’était donc pas l’amour ? Mais où donc est-il ? » Mlle Colon se chargea de la réponse à cette dernière question. Le régisseur de la troupe — un ancien jeune premier tout ridé — lui était dévoué et le lui prouvait de mille manières. Elle dit à Gérard : — « Celui qui m’aime, le voilà ! »

À qui tout manque, la chimère reste encore. Sylvie était gantière, Adrienne cabotine, et Gérard de Nerval s’écriait douloureusement : — « Ermenonville ! pays où fleurissait encore l’idylle antique, — traduite une seconde fois d’après Gessner ! tu as perdu ta seule étoile, qui chatoyait pour moi d’un double éclat. Tour à tour bleue et rose comme l’astre trompeur d’Aldebaran, c’était Adrienne ou Sylvie, — c’étaient les deux moitiés d’un seul amour. L’une était l’idéal sublime, l’autre la douce réalité. » Les perdant à la fois, il voulut les remplacer à la fois, et c’est ici que la folie gagne à vue d’œil. Il s’était résigné à se ruiner en réclames pour Jenny Colon, comme le premier venu des soupirants, mais il ne se résignait point à ne pas lui rendre le recul et la fluidité qui conviennent à une « vaine image » et que cette belle personne avait perdus dans des expériences malheureuses. Il se mit donc en devoir de lui restituer son aspect de figure extra-terrestre et lointaine. Ayant ébauché une pièce, jamais terminée, où Mlle Colon devait jouer le rôle de la reine de Saba, Gérard de Nerval, dans l’ardeur de son désir, finit par confondre en esprit le modèle et la copie. Puisque Jenny n’était plus Adrienne, il fallait absolument qu’elle fût autre chose que cette réalité hideuse, une actrice fardée, et elle le fut : « ELLE m’apparaissait radieuse, comme au jour où Salomon l’admira s’avançant vers lui dans les splendeurs pourprées du matin. Elle venait me proposer l’éternelle énigme que le Sage ne put résoudre, et ses yeux, que la malice animait plus que l’amour, tempéraient seuls la majesté de son visage oriental. Qu’elle était belle ! non pas plus belle cependant qu’une autre reine du matin dont l’image tourmentait mes journées. » La reine de Saba lui devint présente ; il dépendit de lui de toucher et de saisir « le fantôme éclatant de la fille des Hémiarites ». Passant un jour près du grand bassin des Tuileries, il vit les poissons rouges sortir leur tête de l’eau pour l’engager à les suivre au fond : — « La reine de Saba t’attend », disaient-ils. Gérard de Nerval ne se jeta pas dans le bassin ; toutefois il crut les poissons rouges, et fut confirmé dans la pensée qu’Adrienne se retrouverait, sous une forme ou sous une autre. D’autre part, il hésitait maintenant à se rapprocher des femmes qui la lui rappelaient. Tel, disait-il, « a connu la vraie Cythère pour ne l’avoir point visitée, et le véritable amour pour en avoir repoussé l’image mortelle ». Mlle Colon l’avait trop fait souffrir, sans méchanceté, simplement parce qu’elle était une femme et non une ombre, pour qu’il s’exposât de gaieté de cœur à affronter une seconde fois « l’image mortelle » de l’amour.

Ses amis s’affligeaient de peines dont ils respectaient le secret ; Gérard de Nerval avait horreur de certains genres de confidences : — « C’était une âme discrète et pudique, dit Théophile Gautier, rougissant comme Psyché, et, à la moindre approche de l’Amour, se renfermant sous ses voiles. » Il était visible que sa passion lui attirait de grands chagrins ; personne ne savait qu’elle peuplait son cerveau d’hallucinations maladives. Cependant le mal dont il avait apporté le germe en naissant empirait rapidement sous la pesée d’une situation inextricable et d’une confusion de sentiments angoissante. Il avait trop besoin de se persuader que la réalité dont il souffrait tant n’était qu’une vaine apparence. L’espoir de trouver un soulagement le porta à caresser ses chimères, au lieu de mettre toute sa volonté à s’en défendre, et la marche vers la folie s’accéléra, sans que rien en parût au dehors. Les qualités qui distinguent Gérard de Nerval écrivain concouraient à masquer son état aux yeux de son entourage ; ce sont toutes les qualités des esprits pondérés et mesurés, bien qu’il les mît au service d’idées extravagantes, et il les conserva intactes après que sa maladie eût passé à l’état aigu. Il prétendait avoir un « double ». On est tenté de le croire en considérant son œuvre ; le moi qui tenait la plume n’a certainement pas l’air d’être le même que le moi qui aimait la reine de Saba.


V

La première fois que Gérard de Nerval aperçut son double, il fut saisi d’une grande angoisse. C’était la nuit, au poste. Deux amis étaient venus le réclamer, l’avaient emmené — il s’était vu les suivant — et il s’était néanmoins retrouvé sur son lit de camp. — « Je frémis, dit-il, en me rappelant une tradition bien connue en Allemagne, qui dit que chaque homme a un double, et que, lorsqu’il le voit, la mort est proche. » Il ne mourut pourtant pas, rencontra de nouveau cet étranger « qui était lui-même », et se demanda avec un mélange de terreur et de colère : — « Quel était donc cet esprit qui était moi et en dehors de moi ? » L’idée lui vint qu’au lieu d’être le double des légendes, cet autre Gérard de Nerval pourrait bien être le « frère mystique » des traditions orientales. Il n’explique pas autrement ce qu’il faut entendre par cette expression ; mais, à ne la prendre que pour une image, elle est, en ce qui le concerne, d’une justesse frappante. Gérard de Nerval a toujours eu deux moi, bien qu’il ne s’en soit pas toujours rendu compte. Il a toujours été sujet à des phénomènes anormaux qui offrent des analogies avec ceux que la psychologie moderne étudie scientifiquement sous le nom de dédoublement de la personnalité. Cette espèce de dualité est la clef de son talent comme de son caractère, de l’œuvre comme de l’homme ; il ne faut jamais la perdre de vue.

Son moi normal, très doux et très serein, ennemi de toute violence et de toute exagération, tenait la plume lorsqu’il écrivait, et la garda jusqu’aux derniers jours. C’est à lui qu’appartenaient le style limpide que les cénacles trouvaient trop « raisonnable », et l’esprit gracieux, mais à fleur de terre, qui avait fait prononcer le mot de « Sterne français ». Malheureusement, ou heureusement, le moi normal avait un « frère mystique » qui lui suggérait ses idées, l’entraînait dans l’irréel et était cause que l’honnête Gérard s’arrêtait au milieu d’un souvenir personnel en se demandant s’il n’inventait pas. C’était ce second moi, déséquilibré, mais d’essence supérieure — dût cet aveu scandaliser ou chagriner le lecteur, — qui avait une vision délicate du monde, qui percevait le sens symbolique de la réalité, et qui, d’autre part, avait fait de Gérard de Nerval un chemineau de lettres payant des verjus aux vieilles chiffonnières et traversant l’Allemagne à pied, sans argent, ni bagages, ni chapeau, ni rien du tout. C’était lui qui l’arrêtait au coin des rues, figé dans une attitude extatique ; c’est lui qui l’a précipité dans la folie et le suicide par le vertige du mystère et de l’inconnu. Mais, sans lui, Gérard de Nerval n’aurait pas senti, deux ou trois fois dans sa vie, passer sur sa tête le véritable souffle poétique, et il n’aurait pas écrit Sylvie, l’un des petits chefs-d’œuvre de la prose française. Tant pis pour celui qui n’a pas eu son « frère mystique », au moins par hasard et en passant ; il a de grandes chances de ne pas appartenir à l’humanité supérieure. Malheur à qui se laisse devenir son esclave !

Les œuvres de Gérard de Nerval qui méritent de survivre ont été écrites, à peu d’exceptions près, à la fin de sa carrière littéraire, entre les accès de folie. Elles se placent ainsi au moment où il semble que ses facultés auraient dû être en décadence. Nous allons passer rapidement sur celles des premières années.

La jeunesse de 1830 avait l’esprit tourné vers le théâtre, et Théophile Gautier en donne la raison : « Le roman-feuilleton des journaux n’était pas inventé. Le théâtre était donc le seul balcon d’où le poète pût se montrer à la foule. » Gérard de Nerval subit l’entraînement universel et fut un dramaturge d’autant de souplesse que de fécondité. Il fit de la comédie, des livrets d’opéra, des drames historiques ou sociaux, une Diablerie en vers imitée du moyen âge, et peut-être encore toutes sortes d’autres pièces appartenant à toutes sortes d’autres genres[26] : comment le savoir, puisqu’il les perdait à mesure ? Il les lisait à ses amis, qui en admiraient « la puissance », ou « l’esprit », et puis il les mettait dans ses grandes poches avec le reste de sa bibliothèque et les traînait en visite, en voyage, chez les directeurs de théâtres, dans les bouibouis des boulevards extérieurs et dans les carrières de Montmartre ou de Clignancourt, jusqu’à ce qu’elles eussent disparu inexplicablement. Il n’y eut de sauvé que des débris : six pages de la Diablerie, une vingtaine de Nicolas Flamel ; ou bien des œuvres pour lesquelles Gérard de Nerval avait eu des collaborateurs qui veillaient sur les manuscrits, et la postérité ne s’est pas trouvée beaucoup plus avancée dans un cas que dans l’autre : personne ne sait plus quelle est la part qui revenait à Méry et à Bernard Lopez dans le drame-légende de l’Imagier de Harlem[27], ou aux frères Cogniard dans Pruneau de Tours, vaudeville joué et imprimé sous leur nom (1850) en vertu de mœurs littéraires qui sont de tous les temps, comme la faim et la soif. Un jour de gêne, Gérard de Nerval avait vendu le manuscrit de Pruneau de Tours à un agent théâtral. Celui-ci le revendit aux frères Cogniard, qui le signèrent après des remaniements dont eux seuls auraient pu dire l’importance[28]. Tout ce qu’il est permis d’affirmer, c’est que Pruneau de Tours est inepte sous sa forme actuelle.

Une seule pièce, parmi celles qui se sont conservées, porte d’un bout à l’autre la marque de Gérard de Nerval, malgré la collaboration, aisément envahissante, d’Alexandre Dumas. C’est un drame en cinq actes, Léo Burckart, qui fut joué à la Porte-Saint-Martin, en 1839, pour boucher un trou. Harel, le directeur, avait dit à Gérard : — « J’attends un éléphant ; la pièce n’aura donc qu’un nombre limité de représentations. » Elle en eut trente, grâce à un retard de l’éléphant.

Le sujet du drame appartient sans le moindre doute à Gérard de Nerval ; il répond à l’une des grandes préoccupations de sa vie entière, celle d’apprendre à la France à connaître l’Allemagne. S’il est un domaine de la pensée où il ait exercé une influence, c’est celui-là. Nul, en France, n’a plus aimé l’Allemagne, à une époque où les sympathies étaient pourtant nombreuses et vives, parmi nos écrivains et nos lettrés, pour la pensée et la littérature germaniques, et aussi pour l’âme germanique, qui n’avait encore découvert à nos yeux que sa face mystique et attendrie. Ces sympathies pouvaient alors se donner libre carrière ; rien ne s’y opposait, ni les événements politiques, ni l’entrée en scène de l’Allemagne militaire et utilitaire, dont le seul aspect aurait mis Gérard de Nerval en fuite, car tout en elle lui aurait fait horreur, ses qualités plus encore que ses défauts. Il ne soupçonna même pas qu’elle pût jamais être possible, et il contribua par là, inconsciemment et innocemment, à empêcher ses lecteurs de la pressentir. En cela il ne fut ni plus ni moins aveugle que les autres écrivains français du même temps qui travaillaient aussi à nous initier à la poésie allemande[29], aux mœurs allemandes, et qui ne nous ont jamais montré que les côtés rêveurs et spéculatifs, ou la sentimentalité un peu puérile, d’une race trop vigoureuse, et composée d’éléments trop variés, pour se laisser emprisonner dans trois ou quatre formules.

Léo Burckart a pour objet de rendre sensible au spectateur français la puissante fermentation laissée dans l’âme germanique par la guerre de libération : — « C’est à Heidelberg, dit Gérard de Nerval dans la préface de la pièce, au milieu des étudiants, que j’essayai de peindre le mouvement parfois grand et généreux, parfois imprudent et tumultueux, de cette jeunesse toute frémissante encore du vieux levain de 1813. » Son héros est un publiciste aux idées révolutionnaires, à la plume hardie, que sa femme s’attend tous les jours à voir arrêter. Au lieu de la police, c’est « le Prince » qui arrive chez eux. Il vient sommer Burckart de prendre la place du ministre qu’il attaque dans son journal, et de réaliser les théories avec lesquelles il met le feu aux imaginations. L’imprudent accepte, et gouverne comme pouvaient gouverner les cerveaux chimériques dont l’Allemagne était farcie il y a trois quarts de siècle, rêveurs obstinés qui vivaient enfermés dans leur cabinet, sans contact avec les hommes, et qui résolvaient les problèmes politiques ou sociaux d’après leur système particulier sur les relations du moi avec le non-moi. C’est une espèce disparue ; autant rechercher sur les bords de la Sprée les animaux antédiluviens de Cuvier ; mais il en restait encore des spécimens il y a trente ou quarante ans, et il saute aux yeux de quiconque a eu l’occasion d’en observer que ces gens-là étaient faits pour s’entendre avec Gérard de Nerval sur les questions pratiques. Nous devons admirer ce dernier d’avoir permis, pour l’amour de la vraisemblance, qu’il arrivât des malheurs à un héros aussi parfaitement selon son cœur que Léo Burckart. Il n’en fut pas récompensé. Les Parisiens bâillèrent aux déboires de cette vieille corneille germanique qui abat des noix creuses cinq actes durant, et il était grand temps, pour Harel et sa caisse, que l’éléphant arrivât : « Au bout de trente soirées d’été, dit Gérard de Nerval avec sa mansuétude accoutumée, je vis avec intérêt cet animal succéder aux représentations du drame. »

Le reste de son théâtre ne vaut pas qu’on en parle[30], et ses grands romans méritent encore moins que ses pièces de nous retenir. Il les perdait aussi, ou il ne les finissait point, et ce n’est certes pas pour sa plus grande gloire que deux de ces ébauches ont été ramassées et utilisées après sa mort, le Marquis de Fayolle[31] par Ed. Gorges, qui en usa librement avec le texte et prodigua les banalités sur un canevas naturellement incolore ; le Prince des Sots[32], par Louis Ulbach, qui avait acheté je ne sais où, à je ne sais qui, à cause de corrections dont il avait reconnu l’écriture, un vieux cahier d’une autre main et ayant toute la mine de sortir de la hotte d’un chiffonnier. Ulbach l’imprima par « ambition de servir la renommée littéraire de Gérard », et en fut pour ses bonnes intentions.

Gérard de Nerval avait une certaine peine à perdre les articles de journaux écrits dans une salle de rédaction, sous l’œil du directeur et du metteur en pages. On croit cependant qu’il a réussi à en faire disparaître un nombre considérable, moyennant des ruses qui rappellent les parents du Petit Poucet menant perdre leurs enfants dans les bois. Il les mettait dans des feuilles inconnues, sous des signatures quelconques, et se frottait les mains à l’idée que personne n’irait jamais les y déterrer. Ce qui est arrivé en effet. L’ogre les a mangés, autrement dit l’oubli. Devant ce jeu de cache-cache perpétuel, on se demande pourquoi cet homme écrivait ?

Les articles signés de son nom, ou qu’on sait être de lui, sont tantôt de la critique et tantôt de la fantaisie. La critique de Gérard de Nerval, sauf les cas où l’amitié porte la parole, est toujours de la partie raisonnable de son esprit, et il se montre alors bien peu romantique dans ses admirations et ses préférences. Voltaire dramaturge lui paraît un grand méconnu : « Nous ne sommes pas, écrivait-il, de ceux qui font peu de cas du talent dramatique de Voltaire. Voltaire, avec un génie incontestable, a été une des victimes de la convention et du parti pris littéraire[33]. » Il n’allait pas jusqu’à trouver du génie à Scribe ; mais il écrivait, à propos de la pénurie d’auteurs comiques : « Bertrand et Raton, et peut-être la Camaraderie, sont encore ce que nous avons de mieux depuis Beaumarchais[34]. » Il parlait sans respect du drame romantique et en sonnait déjà le glas il y a plus d’un demi-siècle. Latour de Saint-Ybars venait de donner sa Virginie à la Comédie-Française. Gérard de Nerval fut de l’avis du public, qui avait trouvé la pièce mauvaise ; mais il n’en dissimula point son regret : « Nous voudrions de tout notre cœur, disait-il, admirer ce qu’on nous présente comme une restauration de la tragédie après les saturnales du drame, et nous admettons volontiers qu’on soit aujourd’hui fatigué du moyen âge et de l’histoire moderne, comme on l’était il y a quinze ans des Grecs et des Romains[35]. »

Les articles de fantaisie sont très supérieurs aux articles de critique. Quelques-uns[36] sont exquis, et ont pu être rapprochés des Rêveries du Promeneur solitaire sans être trop écrasés sous la comparaison. Tous émanent du Gérard de Nerval poète et bohème, et sont remplis de lui, et de ce que le « frère mystique » lui chuchotait à l’oreille pendant leurs courses solitaires. Ils nous disent à bâtons rompus, dans un désordre où s’enchevêtrent la poésie et la vérité — comme elles s’entremêlaient dans l’esprit de l’auteur, — le conte bleu que fut sa propre existence, et le seul qu’il ait jamais su inventer. En effet, ses œuvres nous le montrent incapable d’inventer le roman des autres[37], comme s’il avait dépensé toute son imagination à créer le sien. C’est une manière, qui en vaut une autre, d’entendre l’art du romancier.

Plus encore que ses pièces, que ses romans, que ses articles, Gérard de Nerval perdait ses vers. Cela lui était d’autant plus aisé, que, le plus souvent, il ne les écrivait même pas. On n’a trouvé dans les carnets tombés de ses poches que des matériaux poétiques tels que rimes, hémistiches, fragments de vers ou vers isolés. On sait pourtant par lui-même qu’il avait composé un nombre énorme de poésies, à tout propos. Il avait recours à la langue des dieux pour rendre tous les sentiments violents de son âme, qu’ils fussent de joie ou de douleur : « J’ai fait, disait-il sur la fin de sa vie, mes premiers vers par enthousiasme de jeunesse, les seconds par amour, les derniers par désespoir. La Muse est entrée dans mon cœur comme une déesse aux paroles dorées ; elle s’en est échappée comme une Pythie en jetant des cris de douleur. » On sait déjà ce qu’il faut penser des vers de jeunesse, quelle en est la banalité, quelle la platitude. Des vers d’amour et de désespoir, il subsiste deux odelettes dont nous avons cité la plus jolie : « Il est un air… » ; et une série intitulée les Chimères, dix pages en tout, mais dix pages à donner de grands regrets de la perte du reste.

Les Chimères n’avaient pas subi, elles non plus — ou bien peu, — l’influence des cénacles ; elles sont d’un précurseur et non d’un imitateur. Le sonnet panthéiste intitulé Vers dorés donne l’exemple de cette imprécision de la pensée, si recherchée de nos jours, qui ouvre au rêve des horizons sans limites. C’était alors une nouveauté en France, et des plus heureuses, des plus fécondes, en attendant que l’abus de l’obscurité transformât la poésie en devinettes rimées.


Eh quoi ! tout est sensible !
Pythagore.

Homme, libre penseur ! te crois-tu seul pensant
Dans ce monde où la vie éclate en toute chose ?
Des forces que tu tiens ta liberté dispose,
Mais de tous tes conseils l’univers est absent.

Respecte dans la bête un esprit agissant :
Chaque fleur est une âme à la nature éclose ;
Un mystère d’amour dans le métal repose ;
« Tout est sensible ! » Et tout sur ton être est puissant.

Crains, dans le mur aveugle, un regard qui t’épie :
À la matière même un verbe est attaché…
Ne la fais pas servir à quelque usage impie !

Souvent dans l’être obscur habite un dieu caché ;
Et, comme un œil naissant couvert par ses paupières,
Un pur esprit s’accroît sous l’écorce des pierres !

1845.

En l’absence de preuves, il ne faut pas se fier à la date de 1845. Les Vers dorés formaient une suite de « sonnets mystagogiques » composés aux approches ou au sortir du premier accès de folie de Gérard de Nerval, en 1841, et exposés en conséquence à de nombreux hasards. Il en écrivit une seconde série, encore plus fumeuse, dans les intervalles de ses derniers accès, ceux de 1853 et 1854. Je ne saurais dire avec certitude à laquelle des deux appartient le beau sonnet qu’on vient de lire, non plus que celui qui va suivre.


HORUS

Le Dieu Kneph en tremblant ébranlait l’univers.
Isis, la mère, alors se leva sur sa couche,
Fit un geste de haine à son époux farouche,
Et l’ardeur d’autrefois brilla dans ses yeux verts.


« Le voyez-vous, dit-elle, il meurt, ce vieux pervers,
Tous les frimas du monde ont passé par sa bouche,
Attachez son pied tors, éteignez son œil louche,
C’est le dieu des volcans et le roi des hivers !

L’aigle a déjà passé, l’esprit nouveau m’appelle,
J’ai revêtu pour lui la robe de Cybèle…
C’est l’enfant bien-aimé d’Hermès et d’Osiris ! »

La déesse avait fui sur sa conque dorée,
La mer nous renvoyait son image adorée,
Et les cieux rayonnaient sous l’écharpe d’Iris.


Gérard de Nerval savait parfaitement qu’il n’avait été l’ombre d’un grand poète que dans les Chimères, et grâce à ce qu’il appelait ses « descentes aux enfers ». Il dit dans la préface des Filles du Feu[38], écrite en 1854 et adressée à Alexandre Dumas : — « Et, puisque vous avez eu l’imprudence de citer un des sonnets composés dans cet état de rêverie super-naturaliste, comme diraient les Allemands, il faudra que vous les entendiez tous… Ils ne sont guère plus obscurs que la métaphysique d’Hegel ou les Mémorables de Swedenborg, et perdraient de leur charme à être expliqués, si la chose était possible ; concédez-moi du moins le mérite de l’expression ; — la dernière folie qui me restera probablement, ce sera de me croire poète… »

Je ne voudrais pas qu’on m’accusât d’identifier le génie avec la folie ; mais les faits sont les faits, et les chiffres sont les chiffres. Les séjours de Gérard de Nerval dans des maisons de santé[39] obligent à reconnaître, quelque répugnance qu’on y ait, qu’il était presque complètement fou quand il a écrit ses meilleurs vers, et qu’il n’a possédé le don de l’expression poétique que dans ces seuls moments. C’est pourquoi, avec le sens littéraire qui ne l’abandonnait jamais tant qu’il lui restait une lueur de raison, il se demandait après les accès s’il n’avait pas subi quelque déchéance en recouvrant « ce qu’on appelle vulgairement la raison ».

Le reste de son œuvre est trop intimement lié à sa biographie pour pouvoir en être séparé. Nous en parlerons au fur et à mesure des événements. Il faut convenir que, jusqu’ici, nous sommes en face d’un fantôme d’écrivain plutôt que d’un écrivain : ses ouvrages s’évanouissent dès qu’on approche. Chose bizarre, il semble que la folie grandissante les ait protégés, et que nous lui devions, avec le meilleur du talent de Gérard de Nerval, de posséder de lui plus que des miettes.


VI

L’Introduction du Voyage en Orient contient six lignes très obscures, que rien n’amenait et que rien ne vient expliquer : « Ne suis-je pas toujours, hélas ! le fils d’un siècle déshérité d’illusions, qui a besoin de toucher pour croire, et de rêver le passé… sur ses débris ? Il ne m’a pas suffi de mettre au tombeau mes amours de chair et de cendre, pour bien m’assurer que c’est nous, vivants, qui marchons dans un monde de fantômes. » Gérard de Nerval fait allusion dans ce passage à la grande tourmente du milieu de sa vie, qui emporta une première fois sa raison et après laquelle il n’eut plus que des répits.

Chaque nouvelle année l’avait trouvé plus âprement possédé de son étrange passion pour l’âme de femme qu’il poursuivait, avec la foi d’un occultiste sincère, dans ses migrations mystérieuses à travers les corps, et qu’il avait reconnue en dernier lieu sous les traits de Mlle Jenny Colon, alors actrice dans un petit théâtre, mais devenue rapidement une brillante cantatrice, et non moins célèbre par sa beauté que par sa jolie voix. À en juger par de nombreux exemples, la foi à l’occultisme est avant tout une question de tempérament ; on la subit, plutôt qu’on ne se la donne. Hoffmann, Poe et Quincey étaient des névrosés, Gérard de Nerval avait été prédestiné dès le berceau, de par sa pauvre machine mal réglée, à croire à tous les phénomènes « super-naturalistes ». Il excédait de ses divagations charmantes, beaucoup trop poétiques pour elle, la malheureuse comédienne qui s’obstinait à n’avoir été ni religieuse, ni reine de Saba, dans d’autres existences. Lui-même s’usait dans sa lutte désespérée pour obtenir « l’épanchement du rêve dans la vie réelle ». Il en négligeait son travail, et constatait avec douleur qu’il était moins avancé dans sa carrière que dix ans auparavant, alors que son jeune nom volait sur les lèvres des hommes accouplé à celui du glorieux auteur de Faust : — « Je vous envoie, écrivait-il à Mlle Jenny Colon, mon médaillon en bronze… Il date déjà, comme vous pouvez voir, de l’an 1831, où il eut les honneurs du Musée. Ah ! j’ai été l’une de nos célébrités parisiennes, et je remonterais encore aujourd’hui à cette place que j’ai négligée pour vous, si vous me donniez lieu de chercher à vous rendre fière de moi. Vous vous plaignez de quelques heures que je vous ai fait perdre, mais mon amour m’a fait perdre des années, et pourtant je les rattraperais bien vite si vous vouliez[40] !… »

Mlle Colon finit par n’y plus tenir ; elle n’avait pas assez de fantaisie dans l’esprit pour s’accommoder d’un amoureux qui la voyait tout de bon surnaturelle et la traitait en conséquence. Elle épousa un flûtiste et passa avec lui à l’étranger, après une querelle dans laquelle Gérard de Nerval assure avoir été bien coupable. Voici son récit : « Une dame que j’avais aimée longtemps et que j’appellerai du nom d’Aurélia[41] était perdue pour moi. Peu importent les circonstances de cet événement, qui devait avoir une si grande influence sur ma vie. Chacun peut chercher dans ses souvenirs l’émotion la plus navrante, le coup le plus terrible frappé sur l’âme par le destin ; il faut alors se résoudre à mourir ou à vivre : — je dirai plus tard pourquoi je n’ai pas choisi la mort. Condamné par celle que j’aimais, coupable d’une faute dont je n’espérais plus le pardon, il ne me restait qu’à me jeter dans les enivrements vulgaires ; j’affectai la joie et l’insouciance, je courus le monde… « Quelle folie, me disais-je, d’aimer ainsi d’un amour platonique une femme qui ne vous aime plus ! Ceci est la faute de mes lectures ; j’ai pris au sérieux les inventions des poètes, et je me suis fait une Laure ou une Béatrix d’une personne ordinaire de notre siècle. »

Il eut beau se raisonner et travailler à s’étourdir, l’ébranlement avait été trop fort pour une raison déjà vacillante. Ses vœux imprudents furent exaucés. Le rêve s’épancha dans la vie réelle, et ce fut d’abord une ivresse radieuse, une victoire éclatante de l’esprit sur la matière. La maladie l’avait transformé en voyant ; toutes ses visions étaient heureuses autant qu’éblouissantes, et il trouvait pour les décrire des accents d’une telle éloquence, que ses amis troublés se demandaient, en l’écoutant dérouler ses merveilleuses apocalypses, s’ils devaient le plaindre ou l’envier, et si l’état que les hommes appellent folie ne serait point, peut-être, « un état où l’âme, plus exaltée et plus subtile, perçoit des rapports invisibles, des coïncidences non remarquées, et jouit de spectacles échappant aux yeux matériels[42] ». Un autre poète, Charles Lamb, avait déclaré quelques années auparavant qu’il fallait lui envier les jours passés dans une maison de fous ; on lit dans une de ses lettres à Coleridge : « Parfois, je jette en arrière, sur l’état où je me suis trouvé, un regard d’envie, car, tant qu’il a duré, j’ai eu beaucoup d’heures de pur bonheur. Ne croyez pas, Coleridge, avoir goûté la grandeur et tout l’emportement de la fantaisie, si vous n’avez pas été fou. Tout, maintenant, me semble insipide en comparaison. » Tel, Gérard de Nerval, dans les commencements, endurait avec peine, l’accès passé, la privation de ce « qu’on eût pris plutôt, disait un de ses auditeurs ordinaires, pour les rêves cosmogoniques d’un dieu ivre de nectar, que pour les confessions et les réminiscences du délire ».

C’était la lune de miel de la folie, et elle est fragile comme toutes les autres. Gérard de Nerval passa bientôt des bizarreries de la pensée à celles des actes, et sa conduite de voyant devint difficile à faire accepter du public. On se décida à le faire soigner un jour qu’on l’avait trouvé au Palais-Royal traînant un homard vivant au bout d’un ruban bleu. Malgré sa douceur, il se fâcha. Il ne concevait pas que les médecins eussent à intervenir parce qu’il avait promené un homard : — « En quoi, disait-il, un homard est-il plus ridicule qu’un chien, qu’un chat, qu’une gazelle, qu’un lion ou toute autre bête dont on se fait suivre ? J’ai le goût des homards, qui sont tranquilles, sérieux, savent les secrets de la mer, n’aboient pas et n’avalent pas la monade des gens comme les chiens, si antipathiques à Goethe, lequel pourtant n’était pas fou. » Ses amis le conduisirent dans la maison du docteur Esprit Blanche, à Montmartre ; il y entra le 21 mars 1841.

Une lettre qu’il y reçut de Francis Wey indique que cette première crise fut, en somme, assez douce : « J’ai appris par Théophile que ta santé est bien meilleure et j’en suis aussi joyeux, mon bon Gérard, que j’avais été affligé de ta maladie… Puisque tu as le bonheur de jouir, pour quelques jours encore, d’un repos élyséen, je me chargerai, si tu le veux, moi qui patauge dans la boue des affaires courantes, de tes commissions dont je te rendrai compte avec exactitude. Tu n’as qu’à parler… Je désire, mon cher ami, que tu me donnes de tes nouvelles directement. Tu dois avoir du temps à perdre, et des revanches de bavardage à prendre ; ainsi, fais-moi le plaisir de me gribouiller un peu de papier et de me dire tout ce qui te passera par la tête. J’irai te voir quand tu voudras ; car je sais que le convalescent est friand de visites. Après cela, je te plains assez peu. D’abord tu n’as rien à faire ; puis tu es chauffé, nourri et paisible comme un gentilhomme campagnard. Tu vis au milieu d’un tas d’arbres, comme une fauvette. — On dit que tu manges comme un corbeau — et voici que le printemps survenant à point nommé, tandis que tu es dans tes terres, va t’environner de verdure et de parfums. Reste là jusqu’aux premières fleurs ; tu nous y recevras et nous irons jaser sous l’orme et dans les lilas[43]… »

Le printemps l’environna en effet de verdure et de parfums, et la splendeur du monde lui parut encore plus merveilleuse que par le passé : « La maison où je me trouvais, écrivait-il plus tard, située sur une hauteur, avait un vaste jardin planté d’arbres précieux. L’air pur de la colline où elle était située, les premières haleines du printemps, les douceurs d’une société toute sympathique, m’apportaient de longs jours de calme. Les premières feuilles des sycomores me ravissaient par la vivacité de leurs couleurs, semblables aux panaches des coqs de Pharaon. La vue, qui s’étendait au-dessus de la plaine, présentait du matin au soir des horizons charmants, dont les teintes graduées plaisaient à mon imagination. Je peuplais les coteaux et les nuages de figures divines dont il me semblait voir distinctement les formes. » La nuit, des songes venaient éclairer et préciser ces ébauches, et l’énigme de l’univers se découvrait à ses regards éblouis. Tantôt il assistait à la création. Les premiers germes s’entr’ouvraient à la surface du globe, et, « du sein de l’argile encore molle s’élevaient des palmiers gigantesques, des euphorbes vénéneux et des acanthes tortillées autour des cactus ; — les figures arides des rochers s’élançaient comme des squelettes de cette ébauche de création, et de hideux reptiles serpentaient, s’élargissaient ou s’arrondissaient au milieu de l’inextricable réseau d’une végétation sauvage. La pâle lumière des astres éclairait seule les perspectives bleuâtres de cet étrange horizon ». Tantôt les âmes des morts s’entretenaient avec lui, non point comme s’entretiennent les vivants, mais par une « sorte de communication » qu’il est impossible d’expliquer, et il leur disait avec ravissement : — « Cela est donc vrai ! Nous sommes immortels et nous conservons ici les images du monde que nous avons habité. Quel bonheur de songer que tout ce que nous avons aimé existera toujours autour de nous !… J’étais bien fatigué de la vie ! » L’un de ces « esprits » le conduisit dans une cité lumineuse où il faisait sa demeure avec d’autres esprits. De belles jeunes filles dont l’âme transparaissait à travers leurs formes délicates regardèrent l’étranger avec des yeux souriants, et leur aspect lui remplit l’âme de regrets : « Je me mis à pleurer à chaudes larmes, comme au souvenir d’un paradis perdu. Là, je sentis amèrement que j’étais un passant dans ce monde à la fois étranger et chéri, et je frémis à la pensée que je devais retourner dans la vie. »

Une autre fois, il se promenait dans un jardin abandonné avec une jeune femme d’une taille élancée, comme l’Adrienne de ses jeux d’enfant. Sa compagne se mit tout à coup « à grandir sous un clair rayon de lumière », et à « s’évanouir dans sa propre grandeur ». Il reconnut Aurélia, autrement dit Jenny Colon, et, en même temps, le jardin prit l’aspect d’un cimetière : — « Ce rêve… me jeta dans une grande perplexité. Que signifiait-il ? Je ne le sus que plus tard. Aurélia était morte. — Je n’eus d’abord que la nouvelle de sa maladie. Par suite de l’état de mon esprit, je ne ressentis qu’un vague chagrin mêlé d’espoir. Je croyais moi-même n’avoir que peu de temps à vivre, et j’étais désormais assuré de l’existence d’un monde où les cœurs aimants se retrouvent. D’ailleurs, elle m’appartenait bien plus dans sa mort que dans sa vie. » Il ne s’affligea donc point en se figurant que Mlle Colon était morte ; l’âme qu’il aimait transmigrait une fois de plus ; voilà tout.

Les seuls moments pénibles de ce premier internement, les seuls du moins dont il eût gardé la mémoire, Gérard de Nerval les dut à des visions sanglantes et hideuses par lesquelles lui furent révélés des événements très anciens, ignorés jusque-là de toutes les histoires. Mais c’étaient des éclairs de souffrance, compensés et au delà par de longues joies surhumaines. Il passait des heures exquises à pétrir avec de la terre l’effigie de celle qu’il croyait morte : — « Tous les matins, ajoute-t-il, mon travail était à refaire, car les fous, jaloux de mon bonheur, se plaisaient à en détruire l’image. »

Il ne sortit de chez le docteur Blanche qu’au bout de huit mois, le 21 novembre 1841. Une lettre de lui à Mme Alexandre Dumas nous apprend pourquoi on l’avait gardé si longtemps, et ce qu’il pensait des jugements du monde ou de la science sur son état : — « Le 9 novembre[44]. — Ma chère madame, j’ai rencontré hier Dumas, qui vous écrit aujourd’hui. Il vous dira que j’ai recouvré ce que l’on est convenu d’appeler raison, mais n’en croyez rien. Je suis toujours et j’ai toujours été le même, et je m’étonne seulement que l’on m’ait trouvé changé pendant quelques jours du printemps dernier.

« L’illusion, le paradoxe, la présomption sont toutes choses ennemies du bon sens dont je n’ai jamais manqué ! Au fond, j’ai fait un rêve très amusant et je le regrette ; j’en suis même à me demander s’il n’était pas plus vrai que ce qui me semble seul explicable et naturel aujourd’hui, mais comme il y a ici des médecins et des commissaires qui veillent à ce qu’on n’étende pas le champ de la poésie aux dépens de la voie publique, on ne m’a laissé sortir et vaquer définitivement parmi les gens raisonnables que lorsque je suis convenu bien formellement d’avoir été malade, ce qui coûtait beaucoup à mon amour-propre, et même à ma véracité. — Avoue ! avoue ! me criait-on, comme on faisait jadis aux sorciers et aux hérétiques, et pour en finir, je suis convenu de me laisser classer dans une affection définie par les docteurs, et appelée indifféremment Théomanie ou Démonomanie dans le dictionnaire médical. À l’aide des définitions incluses dans ces deux articles, la science a le droit d’escamoter ou réduire au silence tous les prophètes et voyants prédits par l’Apocalypse, dont je me flattais d’être l’un. Mais je me résigne à mon sort, et, si je manque à ma prédestination, j’accuserai le docteur Blanche d’avoir subtilisé l’esprit Divin.

« … Je me trouve tout désorienté et tout confus en retombant du ciel où je marchais de plain-pied, il y a quelques mois. Quel malheur qu’à défaut de gloire, la société actuelle ne veuille pas toutefois nous permettre l’illusion d’un rêve continuel. Il me sera resté du moins la conviction de la vie future et de la sympathie immortelle des esprits qui se sont choisis ici-bas… »

Quels que fussent les torts de la société, Gérard de Nerval sentait toute l’étendue de son malheur. Il savait qu’il n’en est pas de plus grand pour un homme que d’avoir passé pour fou, à tort ou à raison. Puis donc qu’il n’était pas permis aux élus d’avouer qu’ils fréquentaient dans l’invisible et l’au-delà, il fallait se dire guéri et le faire accroire au monde. Gérard de Nerval eut plus que jamais une existence en partie double, correspondant à ses deux personnalités, et dont il dissimulait avec application ce qui aurait pu choquer le matérialisme des médecins aliénistes et des commissaires de police. Il ne lui était plus possible d’empêcher le « frère mystique » de faire des siennes, il n’en était plus maître ; mais le moi normal était aux aguets pour expliquer les extravagances du moi malade par toutes sortes de raisons ingénieuses. Craignait-il une crise trop forte, il partait, disparaissait pendant des semaines ou des mois, jusqu’à ce qu’il se sentît plus calme. C’est pendant une de ces fugues qu’il nota sur son carnet : « Ce que c’est que les choses déplacées ! — On ne me trouve pas fou en Allemagne. »

Il se dédommageait, loin des regards importuns, de sa dure contrainte. La seconde vie à laquelle il s’abandonnait dans la solitude avait acquis une intensité joyeuse et terrible. Il était celui qui sait, qui voit de ses yeux et entend de ses oreilles ce que la foule ne connaîtra que dans la mort. Les choses lui avaient révélé leur sens symbolique, les rêves leurs correspondances mystérieuses, et il déchiffrait couramment les augures qui sont tout autour de nous, dans les nombres, dans les étoiles, dans les caprices apparents des animaux, les coïncidences attribuées au hasard. Très grand travailleur, en dépit de son existence décousue, il avait fait son étude particulière des religions, des doctrines secrètes, des sociétés secrètes, des superstitions, et il marchait dans un monde dont nous n’avons aucun soupçon, nous autres gens d’esprit rassis et terre à terre, un monde spiritualisé, pour ainsi dire, où toutes les énergies, toutes les formes de la matière sont des esprits, des êtres ayant vie et volonté. Un séjour qu’il fit en Orient le confirma dans ses idées.

Il avait entrepris ce voyage pour prouver au public qu’il avait recouvré la santé ; il écrivait à son père, de sa première étape[45] : — « Lyon, le 25 décembre 1842… — L’hiver dernier a été pour moi déplorable, l’abattement m’ôtait les forces, l’ennui du peu que je faisais me gagnait de plus en plus et le sentiment de ne pouvoir exciter que la pitié à la suite de ma terrible maladie m’ôtait même le plaisir de la société. Il fallait sortir de là par une grande entreprise qui effaçât le souvenir de tout cela et me donnât aux yeux des gens une physionomie nouvelle… » La même préoccupation se fait jour dans la suite de sa correspondance. Il ne se lasse pas d’insister sur sa belle santé. — « Constantinople, ce 19 août (1843)… Ni la mer, ni les chaleurs, ni le désert n’ont pu interrompre cette belle santé dont mes amis se défiaient tant avant mon départ. Ce voyage me servira toujours à démontrer aux gens que je n’ai été victime, il y a deux ans, que d’un accident bien isolé. Je me suis remis à travailler, et j’attends ici la réponse d’un libraire avec qui j’avais pris des arrangements pour mon voyage… Le meilleur, c’est que j’ai acquis de la besogne pour longtemps et me suis créé, comme on dit, une spécialité. J’ai fait oublier ma maladie par un voyage, je me suis instruit, je me suis même amusé… » Au même, sans date (M. Labrunie a écrit au verso de la lettre : reçue le 25 octobre 1843) : — « Constantinople… — L’amabilité de Théophile en me dédiant, pour ainsi dire, son ballet et en entretenant le public de mon voyage m’a été d’autant plus sensible, que depuis ma maladie trop connue, il importait que mon retour à la santé fût constaté bien publiquement, et rien ne devait mieux le prouver qu’un voyage pénible dans les pays chauds ; ce n’a pas été l’un des moindres motifs de me le faire entreprendre[46]. » Hors ce sujet qui lui tient au cœur, ses lettres ne contiennent guère que des récits de voyage. Il semble n’avoir d’yeux et de pensées que pour les scènes pittoresques qui défilent devant lui. Annonçant à son père qu’il a renoncé, sans aucun regret, à visiter les ruines de Thèbes, il ajoute : « Les mœurs des villes vivantes sont plus curieuses à observer que les restes des cités mortes[47]. » Les détails qu’il donna au public, à son retour[48], sur les harems et les marchés d’esclaves, ne témoignaient pas non plus d’un esprit tourmenté par des idées abstruses. Ils sont d’un conteur spirituel et gai, qui n’annonce les Fromentin et les Loti ni par la couleur du style, ni par l’intuition des sentiments exotiques, et qui demeure à la surface des choses. On ne devine le cours souterrain de sa pensée qu’en arrivant aux chapitres sur les Druses et les Maronites.

En réalité, tandis qu’on le croyait tout occupé de sa femme jaune et autres incidents futiles, il ne songeait qu’à de nouvelles initiations à de nouvelles arcanes. Il absorbait avidement tout ce que l’Orient, qui en est si riche, lui fournissait d’idées cabalistiques et de légendes surnaturelles, et achevait de se troubler la cervelle au contact de sectes mystérieuses et malsaines. Ce n’était pas vaine curiosité. Une force invincible le poussait à se perfectionner dans les sciences occultes. C’était dans sa pensée le seul moyen de réparer, si toutefois elle était réparable, la plus cruelle aberration de sa vie, l’erreur qui transformait insensiblement ses jouissances de voyant en rongements d’esprits. Théophile Gautier nous a révélé la faute que son ami se reprochait si amèrement. Dans l’année qui avait suivi la sortie de Gérard de Nerval de chez le docteur Blanche, Jenny Colon était morte[49], réellement morte, ce qui était plutôt un bonheur, puisque vivante elle le fuyait, tandis que morte, il savait combien il lui serait facile de rentrer en communication avec elle. C’était toutefois à une condition : il ne pouvait la retrouver qu’au moyen d’objets lui ayant appartenu ; ainsi le voulait la doctrine à laquelle il s’était rangé ; et il avait tout brûlé, dans une minute de criminel égarement, pour se soustraire « à l’obsession d’un trop cher souvenir[50] » ! L’obsession n’en avait pas moins persisté, et le pauvre Gérard de Nerval s’abîmait dans un morne désespoir en songeant qu’il ne verrait plus « l’uniquement aimée », et que c’était sa faute.

L’Orient le récompensa de sa grande foi. En quittant l’Égypte, il s’était rendu en Syrie, où il avait obtenu d’être instruit dans la religion des Druses, fort mal connue, comme l’on sait. Il y avait retrouvé sa doctrine de la transmigration des âmes : « On ne dit pas d’un Druse qu’il est mort, écrivait-il, on dit qu’il s’est transmigré. » Le courant d’idées dans lequel il vivait lui rendit courage et confiance, et le résultat ne se fit pas attendre. Gérard de Nerval rencontra par hasard, dans une maison européenne, une jeune Druse, fille d’un cheik du Liban. Elle avait des cheveux d’or, « des traits où la blancheur européenne s’alliait au dessin pur de ce type aquilin qui, en Asie comme chez nous, a quelque chose de royal. Un air de fierté, tempéré par la grâce, répandait sur son visage quelque chose d’intelligent, et son sérieux habituel donnait du prix au sourire qu’elle m’adressa lorsque je l’eus saluée ». C’était elle, « l’uniquement aimée », et non plus sous la forme épaissie qu’elle avait revêtue en devenant Mlle Colon, mais délicate, mais légère, telle enfin qu’il l’avait vue sur la grande place verte, le soir où il l’avait couronnée de laurier et où elle s’appelait Adrienne. Gérard de Nerval la contempla longuement, et sortit sans avoir essayé de lui parler : — « En quittant la maison de Mme Carlès, j’ai emporté mon amour comme une proie dans la solitude. Oh ! que j’étais heureux de me voir une idée, un but, une volonté, quelque chose à rêver, à tâcher d’atteindre ! Ce pays qui a ranimé toutes les forces et les inspirations de ma jeunesse ne me devait pas moins sans doute ; j’avais bien senti déjà qu’en mettant le pied sur cette terre maternelle, en me replongeant aux sources vénérées de notre histoire et de nos croyances, j’allais arrêter le cours de mes ans, que je me refaisais enfant à ce berceau du monde, jeune encore au sein de cette jeunesse éternelle. »

Il sentait « que l’aiguille de sa destinée avait changé de place tout à coup ; il fallait… chercher les moyens de la fixer ». Son parti fut pris aussitôt : « La femme idéale que chacun poursuit dans ses rêves s’était réalisée » pour lui, elle passait derechef à sa portée : il ne commettrait pas la faute de la laisser échapper une fois de plus.

Il alla trouver le cheik druse et lui demanda sa fille Saléma en mariage. Le cheik se frappa le front du doigt et dit : « Es-tu fou ? » Son interlocuteur ne se laissa point démonter. La différence des religions était le principal obstacle. Or, Gérard de Nerval était fils de franc-maçon, et de ceux pour qui la franc-maçonnerie est l’héritière de la doctrine des Templiers. Il avait découvert, d’autre part, que les Druses sont les descendants spirituels de ces mêmes Templiers, qui ont occupé leurs montagnes au temps des Croisades. Il était donc coreligionnaire, approximativement, du père de Saléma. Il le lui persuada, tira d’une de ses poches un diplôme maçonnique couvert de signes cabalistiques, et fit si bien que le cheik lui accorda sa fille. Celle-ci donna une tulipe rouge à son fiancé et planta dans le jardin un petit acacia qui devait croître avec leurs amours. Il ne restait plus qu’à fixer le jour des noces.

Un fou complètement fou serait allé jusqu’au bout et aurait épousé Saléma. Un demi-fou se donne au dernier moment des prétextes pour reculer. Gérard de Nerval fut détourné de son mariage par des augures. Les puissances supérieures lui envoyèrent plusieurs avertissements, dont le premier fut un escarbot, le dernier une fièvre qui l’obligea à changer d’air. Il écrivit de Constantinople au cheik pour dégager sa parole.

Il va de soi qu’à peine libre il fut repris du regret d’avoir perdu « l’uniquement aimée ». Il lui arrivait encore, de temps à autre, de se dire : « C’est elle ! » mais il n’en était plus bien sûr. La dernière fois qu’il crut deviner Adrienne sous une forme inconnue, il dînait avec un ami sous une treille, dans un petit village des environs de Paris : — « Une femme vint chanter près de notre table, et je ne sais quoi, dans sa voix usée, mais sympathique, me rappela celle d’Aurélia. Je la regardai : ses traits mêmes n’étaient pas sans ressemblance avec ceux que j’avais aimés. On la renvoya, et je n’osai la retenir, mais je me disais : — Qui sait si son esprit n’est pas dans cette femme ? — Et je me sentis heureux de l’aumône que j’avais faite. » Cela se passait dans les dernières années de sa vie.


VII

Il était revenu d’Orient vers la fin de 1843[51], plus charmant que jamais, plus bizarre encore qu’il n’était parti. « Gérard de Nerval, dit un contemporain[52], avait alors une tête admirable et par la douceur du regard et par l’expression intelligente de la physionomie. Le soleil d’Orient avait légèrement hâlé la peau. Le teint était d’une pâleur mate. Les cheveux se faisaient déjà rares, et une courte barbe descendait en pointe jusque sous le menton. » Son front chauve, dit un autre contemporain, paraissait « lumineux ». Il avait traversé toutes les fournaises sans y rien laisser de l’élégance de ses manières. Mais les signes avant-coureurs de la démence éclataient dans toute sa personne. Des lueurs inquiétantes passaient dans ses yeux gris. Il ne marchait plus, il volait ou, plus exactement, il s’essayait à voler ; on le voyait « courir à ras du sol, agitant ses bras comme des ailes », et il a conté lui-même qu’une nuit, dans une rue de Paris, il avait été ramassé par une patrouille au moment où il attendait, les bras étendus, que son âme montât dans une étoile, parce qu’il s’était préparé à cette ascension en « quittant ses habits terrestres ». Il n’était plus heureux que dans la liberté du rêve, loin des visages connus et des questions irritantes, « songeant tout haut, rêvant les yeux ouverts, attentif à la chute d’une feuille, au vol d’un insecte, au passage d’un oiseau, à la forme d’un nuage, au jeu d’un rayon, à tout ce qui passe par les airs de vague et de ravissant[53] ».

Il avait toujours soutenu que chaque religion contient une part de la vérité, celles qui sont mortes comme les autres, de façon que l’humanité ne possède jamais que des débris du grand mystère. Un jour qu’il en discourait chez Victor Hugo, place Royale, debout devant la grande cheminée du salon, quelqu’un lui dit : — « Mais, Gérard, vous n’avez aucune religion ! — Moi, pas de religion ? j’en ai dix-sept… au moins. » Dix-sept n’était pas encore assez dire dans les dernières années de sa vie. Les démons du Talmud et les génies des Mille et une Nuits avaient tenu dans sa tête d’étranges congrès avec les fées du Rhin et les trois Vénus de l’île de Cythère, et il était sorti de leurs délibérations un Gérard de Nerval mage et cabaliste, païen et chrétien, tireur d’horoscopes et fabricant de talismans, également versé dans la Symbolique de Creuzer et dans les contes de bonnes femmes, et leur attribuant une égale valeur. Il avait déniché dans la salle à manger de Maxime Du Camp un meuble aimé des esprits, qui s’y logeaient et y prononçaient des discours. Gérard de Nerval venait les évoquer, avec des rites qui l’auraient fait brûler au moyen âge, dans l’espoir d’obliger Adam à lui dicter un livre de Kabbale que notre premier père avait reçu en présent des mains du Seigneur, et qui s’est perdu dans la suite des siècles. Adam accourait sans se faire prier et dictait ; mais c’était toujours inintelligible. Une divinité découverte sur le boulevard extérieur, entre la barrière des Martyrs et la barrière Rochechouart, était aussi l’objet de ses attentions ; pendant longtemps, il vint chaque matin lui rendre un culte, lui qui ne pouvait s’astreindre à rien de régulier. Ce dieu était une canne, taillée dans une racine de vigne et représentant une figure fantastique, aux yeux d’émail enchâssés dans le bois. Elle figurait avec beaucoup d’autres, également contournées et grimaçantes, à la devanture d’un affreux petit cabaret, obscur et lépreux, situé en contre-bas du boulevard. Gérard de Nerval faisait de longues stations dans cette cave pour jouir de la contemplation de la canne, et il avalait pendant ces séances d’horribles mixtures qui ne lui étaient assurément pas salutaires.

Il était tombé au dernier degré du désordre et de l’incurie. Champfleury, qui ne l’a connu que vers 1845, fut si frappé de sa façon de vivre qu’il prit des notes dont voici des échantillons : — « Mars 1849. — J’ai vu Gérard de Nerval à l’Artiste ; il n’a pas dépensé cinquante francs en deux mois. — Vous avez donc crédit quelque part, Gérard ? — Non, je mange une flûte pour mon déjeuner, et je dépense douze sous pour mon dîner. — Il prétend que cette nourriture lui donne un bon sommeil, des rêves agréables, et que la nuit lui sert de jour…

« Il entraîne un ami chez sa blanchisseuse : — Je voudrais mon linge, dit-il. — Son linge se composait d’une chemise. Gérard avec son ami passe dans une chambre voisine afin de changer de linge. L’ami remarque avec étonnement que la chemise que porte Gérard n’a pas de col, qu’une des manches est déchirée du haut en bas. — Tu donnes ça, lui dit-il, à la blanchisseuse ? — Oh ! dit Gérard, cette chemise a l’air en mauvais état. Eh bien ! la blanchisseuse me respecte beaucoup à cause de cette chemise… Elle est en toile… J’aurais une douzaine de chemises en calicot neuf qu’on n’aurait pas les mêmes égards pour moi[54]… »

Il avait loué un logis à Montmartre pour fuir les importuns, mais il n’y habitait pas plus que dans les mansardes de l’intérieur de Paris où les souris grignotaient en paix ses bibelots. Son agitation avait encore augmenté. Il lui arrivait de passer trois jours et trois nuits de suite aux Halles, dormant sur les détritus de légumes et ne sortant que lorsqu’il ne lui restait plus un sou. Toutes les fois qu’il touchait de l’argent, il faisait une de ces expéditions. Il n’avait pas de repos qu’il n’eût tout dépensé, et les Halles lui étaient commodes pour vider ses poches. Il s’y approvisionnait de cadeaux qu’il allait déposer aux portes de ses amis. L’un recevait une couronne de fleurs, l’autre une perruche, un troisième un homard vivant, un quatrième voyait arriver Gérard de Nerval en personne, qui venait, le gousset vide, lui emprunter vingt francs en attendant la prochaine échéance.

Il était incapable, comme Thomas de Quincey, de l’opération financière la plus simple. Un jour qu’un libraire s’était acquitté envers lui en billets, il se prit à songer qu’il ne saurait jamais se les faire payer. Son visage soucieux s’éclaira tout à coup d’un sourire : « Je sais, dit-il à Champfleury, un moyen certain d’être payé. Je connais un fort de la halle, un homme de six pieds et quelque chose, qui a les épaules carrées et l’air farouche. Je vais lui donner le billet,… je suis certain que, présenté par un fort de la halle, il sera payé immédiatement… Ces gros hommes ont une façon terrible de présenter les billets à ordre. » Un autre jour, il prit la résolution de se ranger et de placer son argent, mais il ne lui fallait pas les valeurs de tout le monde. Il décida d’acheter un « saumon de plomb » toutes les fois qu’il recevrait de l’argent : « On louerait une cave, disait-il, un hangar, pour y déposer son plomb, et, à la fin de l’année, on se verrait à la tête d’une certaine quantité de saumons de plomb. » Il va sans dire que ce projet n’eut pas de suite. Gérard de Nerval aurait eu trop grand’honte d’être capitaliste : « Je me rappelle, écrivait Hetzel après sa mort[55], qu’un jour, un petit journal avait raconté (cela en valait bien la peine) que, M. Hetzel étant l’homme de Paris qui rentrait le plus tard se coucher, et que, Gérard de Nerval étant celui qui sortait le plus tôt de chez lui, il leur arrivait souvent de se rencontrer à deux ou trois heures du matin sur le boulevard. On nous prêtait alors cette intéressante conversation.

« Moi : — Où diable vas-tu, mon bon Gérard ? — Et Gérard me répondait : — Voilà. (Te rappelles-tu son Voilà ?) J’ai acheté du mou pour mon chat, et à présent je vais chercher mon chat pour lui donner ce mou. Cela lui fera plaisir.

« Je répondais à Gérard : — C’est d’un bon cœur.

« Gérard, ayant lu cette piquante révélation, me dit quelques jours après : — Quelles bêtises on écrit, pourtant ! Si j’avais un chat, est-ce qu’il aurait eu du mou ? J’ai donc l’air d’un capitaliste ? On me croit donc établi ou portier ? »

L’hiver parisien est inclément aux noctambules. Quand le froid ou la pluie obligeaient Gérard de Nerval à chercher un abri, il redoutait de rentrer chez lui, à cause de son portier ; il avait toujours eu peur des portiers. La police des garnis eut l’œil sur lui, à force de le rencontrer, en compagnie des escarpes, dans les lieux où l’on couche à deux sols de la nuit ; un sergent de ville lui infligea l’humiliation de lui demander ses papiers sur le boulevard des Italiens, au moment où il était arrêté à causer avec des amis. De leur côté, les habitués des cabarets de barrière regardaient de travers ce monsieur en redingote, qu’ils prenaient pour un mouchard, et le menaçaient de lui faire un mauvais parti. Ses amis s’étaient efforcés inutilement de l’arracher à ces milieux dangereux. Il avait fallu y renoncer. — « Qui de nous, écrivait Gautier, n’a arrangé dix fois une chambre avec l’espoir que Gérard y viendrait passer quelques jours, car nul n’osait se flatter de quelques mois, tant on lui savait le caprice errant et libre ? Comme les hirondelles, quand on laisse une fenêtre ouverte, il entrait, faisait deux ou trois tours, trouvait tout bien et tout charmant, et s’envolait pour continuer son rêve dans la rue. Ce n’était nullement insouciance ou froideur ; mais, pareil au martinet des tours, qui est apode et dont la vie est un vol perpétuel, il ne pouvait s’arrêter. Une fois que nous avions le cœur triste pour quelque absence, il vint demeurer de lui-même quinze jours avec nous, ne sortant pas, prenant tous ses repas à notre heure, et nous faisant bonne et fidèle compagnie. Tous ceux qui le connaissent bien diront que, de sa part, c’est une des plus fortes preuves d’amitié qu’il ait données à personne. » Il en donnait de non moins fortes quand il s’assujettissait à remplacer Gautier à la Presse, pendant les voyages de son ami ; Gérard de Nerval ne l’aurait fait pour aucun autre.

Tandis qu’une de ses personnalités menait cette existence de détraqué, l’autre continuait à couler des jours paisibles, parallèlement à la première ; et c’est la persistance de ce phénomène durant toute une vie humaine qui rend son cas si curieux. L’autre homme qui était en lui, le moi sain et bien équilibré, ne cessa jamais, durant ces années orageuses et troublées, d’avoir son domaine à part, où il se conduisait avec un bon sens et une lucidité qu’il est rare de prendre en défaut. Dans ses relations avec le monde des vivants, par exemple, son jugement n’avait subi aucune altération. Il existe quantité de billets de sa main, écrits entre 1843 et 1853, à propos des menus détails de la vie quotidienne. Qu’il s’agisse d’un rendez-vous, d’une invitation, d’une affaire d’argent, d’un coupon de loge à demander, tout est clair, net, bref ; on ne trouverait pas un mot faisant soupçonner que c’est la correspondance d’un fou. Les lettres plus développées sont gaies et spirituelles, ou mieux encore. Celle que voici, merveille de grâce et d’émotion discrète, a été adressée à Mme de Solms le 2 janvier 1853, quelques mois seulement avant le second séjour de Gérard de Nerval chez le docteur Blanche : « Ne me donnez pas, chère fée bienfaisante, le beau livre que vous m’avez promis pour mes étrennes ; je les convoitais depuis bien longtemps, ces beaux volumes dorés sur tranche, cette édition unique. Mais ils coûteront très cher, et j’ai quelque chose de mieux à vous proposer : une bonne action. Je vous sens tressaillir de joie, vous dont le cœur est si chercheur ! Eh bien ! voici, ma belle amie, de quoi l’occuper pendant toute une semaine ! Rue Saint-Jacques, n° 7, au cinquième étage, croupissent dans une affreuse misère — une misère sans nom — le père, la mère, sept enfants, sans travail, sans feu, sans pain, sans lumière.

« Deux des enfants sont à moitié morts de faim. Un de ces hasards qui me conduisent souvent m’a porté là hier. Je leur ai donné tout ce que je possédais : mon manteau et quarante centimes. Ô misère ! Puis, je leur ai dit qu’une grande dame, une fée, une reine de dix-sept ans, viendrait dans leur taudis avec tout plein de pièces d’or, de couvertures, de pains pour les enfants. Ils m’ont regardé comme un fou. Je crois vraiment que je leur ai promis des rubis et des diamants, et, ces pauvres gens, ils n’ont pas bien compris, mais ils se sont mis à sourire et à pleurer.

« Ah ! si vous aviez vu ! Vite donc, accourez, avec vos grands yeux si doux, qui leur feront croire à l’apparition d’un ange, réaliser ce que votre pauvre poète a promis en votre nom. Donnez à cette bonne œuvre le prix de mes étrennes, car je veux absolument y concourir, ou plutôt remettez à D… les quatre-vingts francs que devait coûter le chef-d’œuvre auquel je ne veux plus penser, et je cours au Temple et chez le père Verdureau acheter tout un aménagement de prince russe en vacances.

« Ce sera beau, vous verrez ! Vous serez éblouie ! Je cours quêter chez Béranger. Au revoir, petite reine, à bientôt, au grenier de nos pauvres. Nos pauvres ! Je suis fier en écrivant ces mots. Il y a donc quelqu’un de plus pauvre que moi — de par le monde ! N’oubliez pas le numéro. Au cinquième, second couloir, la porte à gauche.

« Adieu, Mignon, chère Mignon, douce Mignon, providence des affligés, mignonne Mignon, si douce et si fine, si peu fière et si gentille ! Mettez votre robe à grande queue et vos souliers à talons ! Je leur ai promis, gros comme le bras, une grande princesse, plus puissante que tous les puissants de la terre. Ils n’y croiront plus quand ils verront vos dix-sept ans et votre frais sourire. Mais je bavarde, je bavarde ; adieu, mignonne, encore adieu. — Pardon, madame[56]. »

Il ne lui suffisait pas de donner du pain à ces pauvres gens : il tenait à leur donner aussi de la poésie. C’est peut-être une idée de fou, mais elle est bien jolie.

D’autres lettres sont pénibles à lire : À M. Perrot, chef du bureau des théâtres, au ministère de l’intérieur : « … J’ai écrit avant-hier à M. Cavé. Je lui ai dit qu’une somme de 300 francs pourrait me suffire pour traverser l’hiver ; s’il était possible d’obtenir 125 francs par mois, de décembre à mars, cela suffirait absolument à ma dépense et me permettrait de faire tranquillement quelque ouvrage dont je trouverais ensuite les produits[57]… » N’insistons pas ; ce sont les rançons de la vie de bohème.

Pas plus que ses lettres familières, ses articles ne trahissaient le désordre d’une portion de son cerveau. Il n’avait jamais été plus abondant, ni aussi goûté du public ; revues et journaux lui étaient grands ouverts, et il y semait à pleines mains les fragments qui ont été se grouper sous divers titres dans les éditions de ses œuvres[58]. Un seul volume, dans cette gracieuse floraison, se rattache directement aux préoccupations du Gérard de Nerval mage et voyant ; c’est celui qu’il a intitulé les Illuminés. L’auteur y montre l’occultisme jetant de profondes racines dans notre XVIIIe siècle incrédule et raisonneur, et agissant fortement sur la grande révolution par l’entremise de personnages qui n’étaient que les instruments des sectes d’illuminés. Sous prétexte de raconter la vie et d’exposer les théories des Cazotte et des Restif de la Bretonne, il esquisse le plan d’une histoire de l’Europe aux XIXe siècle où l’on verrait les rois recevoir les ordres des sociétés secrètes, et les événements obéir, en dernière analyse, à des influences mystiques. Quand Gérard de Nerval porta à la Revue des Deux Mondes les chapitres sur Restif de la Bretonne[59], M. Buloz exigea des coupures, à cause, disait-il, des tendances socialistes de certains passages. Pour la première fois de sa vie, le doux Gérard se fâcha, et cette discussion lui resta sur le cœur ; quatre ans plus tard, alors qu’il devenait dangereux, il se glissa dans la cuisine de M. Buloz à un moment où il n’y avait personne, ouvrit tous les robinets et se sauva, enchanté de son exploit.


VIII

Le printemps de 1853 fut mauvais pour lui. Aux visions ailées et souriantes avaient succédé de lourds cauchemars qui lui rendaient le travail impossible. Un dimanche soir qu’il se trouvait sur la place de la Concorde, après une journée d’hallucinations angoissantes, il résolut d’en finir : « À plusieurs reprises, je me dirigeai vers la Seine, mais quelque chose m’empêchait d’accomplir mon dessein. Les étoiles brillaient dans le firmament. Tout à coup, il me sembla qu’elles venaient de s’éteindre à la fois… Je crus que les temps étaient accomplis, et que nous touchions à la fin du monde annoncée par l’Apocalypse de saint Jean. Je croyais voir un soleil noir dans le ciel désert, et un globe rouge de sang au-dessus des Tuileries. Je me dis : — La nuit éternelle commence, et elle va être terrible. Que va-t-il arriver quand les hommes s’apercevront qu’il n’y a plus de soleil ? » Il alla prendre la rue Saint-Honoré et gagna le Louvre : « Là, un spectacle étrange m’attendait. À travers des nuages rapidement chassés par le vent, je vis plusieurs lunes qui passaient avec une grande rapidité. Je pensai que la terre était sortie de son orbite et qu’elle errait dans le firmament comme un vaisseau démâté, se rapprochant ou s’éloignant des étoiles, qui grandissaient ou diminuaient tour à tour[60]. » Il ne lui restait plus qu’une idée nette : Henri Heine l’avait chargé d’une traduction et l’avait payé d’avance ; il fallait rendre l’argent, puisqu’il ne pourrait pas faire le travail. Si c’était à cause de la fin du monde ou parce qu’il se sentait malade, personne ne l’a su. Le lendemain, Gérard de Nerval se rendit chez Henri Heine et lui tint des discours incohérents. Mme Heine envoya chercher un fiacre et le fit conduire à la maison Dubois. Des amis qui l’y visitèrent rapportent qu’il fut soigné pour un transport au cerveau.

Au bout d’un mois, il reprit sa vie accoutumée : — « Je composai une des mes meilleures nouvelles. Toutefois, je l’écrivis péniblement, presque toujours au crayon, sur des feuilles détachées, suivant le hasard de ma rêverie ou de ma promenade. » Cette nouvelle était Sylvie, son chef-d’œuvre. Nous l’avons citée souvent à propos d’Adrienne, de Jenny Colon et de la jolie dentellière qui lisait Rousseau. Sylvie est plus et moins qu’un rêve, qu’une autobiographie, qu’un roman ; c’est tout cela et c’est encore autre chose, quelque chose d’à part et de parfait. Toutefois, l’autobiographie domine. On voit au dénouement comment Gérard de Nerval était retourné une dernière fois chez Sylvie, la petite amie d’enfance qui avait représenté « la douce réalité » de l’amour à son imagination d’adolescent timide. Sylvie avait épousé le « grand frisé » et s’était établie pâtissière dans un gros village du Valois. Elle avait complètement dépouillé la paysanne, et ses airs d’héroïne de ballade populaire s’en étaient allés avec ses sabots. À l’entrée de Gérard, elle échangea avec lui « les coups de poing amicaux de l’enfance », puis ils allèrent promener les enfants tandis que le « grand frisé » faisait le déjeuner. Ils lurent des vers à l’ombre d’une ruine, et il l’appela Lolotte, et elle lui assura qu’il ressemblait à Werther ; mais la poésie prise dans les livres remplace mal celle qui émane des choses. L’ancienne Sylvie était bien morte, et il n’était que temps de tourner le dernier feuillet du chaste roman de leurs jeunes années.

La Revue des Deux Mondes publia Sylvie le 15 août 1853. Le 26, Gérard de Nerval se livra dans la rue à de telles excentricités, que la foule s’attroupa et faillit l’étouffer. Des amis le menèrent à l’hôpital de la Charité, où il fallut lui mettre la camisole de force : « Pendant la nuit, dit-il, le délire augmenta, surtout le matin, lorsque je m’aperçus que j’étais attaché. Je parvins à me débarrasser de la camisole de force, et, vers le matin, je me promenai dans les salles. L’idée que j’étais devenu semblable à un dieu et que j’avais le pouvoir de guérir me fit imposer les mains à quelques malades, et, m’approchant d’une statue de la Vierge, j’enlevai la couronne de fleurs artificielles pour appuyer le pouvoir que je me croyais. Je marchai à grands pas, parlant avec animation de l’ignorance des hommes qui croyaient pouvoir guérir avec la science seule, et, voyant sur la table un flacon d’éther, je l’avalai d’une gorgée. Un interne, d’une figure que je comparais à celle des anges, voulut m’arrêter, mais la force nerveuse me soutenait, et, prêt à le renverser, je m’arrêtai, lui disant qu’il ne comprenait pas ma mission. »

On le transporta dans la maison du docteur Blanche fils, à Passy, où la crise continua. Il se croyait une influence sur la marche de la lune, un autre pensionnaire étant chargé de régler celle du soleil, et il attribuait un sens mystique aux conversations des gardiens et des fous : « Les objets sans forme et sans vie se prêtaient eux-mêmes aux calculs de mon esprit ; — des combinaisons de cailloux, des figures d’angles, de fentes ou d’ouvertures, des découpures de feuilles, des couleurs, des odeurs et des sons, je voyais ressortir des harmonies jusqu’alors inconnues. » Et, tandis que son moi malade, son moi fou, perdait la notion du temps, voyait des Walkyries dans la vapeur de son bain et prenait ses compagnons pour des fantômes, le moi normal, encore intact, bien que réduit le plus souvent au silence et à l’impuissance, observait l’autre avec une vive curiosité, prenait note de ses sensations, de ses idées, de ses extravagances, et amassait les matériaux du livre que Gérard de Nerval allait écrire quelques mois après sous ce titre : le Rêve et la Vie ; Aurélia. Presque toutes les lettres de cette époque témoignent de la netteté d’esprit que peut conserver un fou en dehors de ses manies. À son père : — « Mon cher papa, tu sais, la dernière fois que je t’ai vu, combien j’étais heureux d’une affaire qui venait de se terminer favorablement pour moi. La joie m’a donné un peu d’excitation, et je suis à Passy, chez des amis, dans une maison superbe et dans de beaux jardins. Ne te tourmente pas au sujet de cette campagne où il faut que je passe quelques jours. C’est un simple complément de santé qu’il faut que j’y trouve. On a dû, au reste, te prévenir déjà… Je suis certain de pouvoir t’embrasser d’ici à quelques jours[61]. »

Le surlendemain, à un ami : « Il y a cinq à six jours, j’ai été pris d’un transport au cerveau en vous quittant ; j’ai fait des folies. Avec un esprit plus sain, je vous écris de venir me voir si vous pouvez chez M. Blanche, à Passy. N’ai-je pas laissé chez vous mon gilet ? Je ne sais ce qu’est devenu mon argent, du moins ce qui m’en restait. Mais tout se retrouve — comme tout se paie, — suivant le mot que Balzac attribuait au grand homme. Venez vite[62]. »

On pensera ce qu’on voudra du post-scriptum : « Vous n’avez pas perdu la tête de Christ ? Bien des choses à Méry ; dites-lui ce qui m’est arrivé. — Et l’oiseau rare ? »

Second post-scriptum : « J’engage les amis de M. Gérard à venir l’un après l’autre, et pas ensemble. » Signé : E. Blanche.

Du même jour : « Mon cher Théophile, on te dit revenu des courses de taureaux de Bayonne. Viens donc me voir chez Blanche, où je me trouve fort à propos pour guérir un peu ma tête ; je crois qu’enfin cela va mieux, ma chi lo sa ? »

Plusieurs billets relatifs à des questions d’argent sont parfaitement raisonnables.

Du 22 octobre, à son père : « Voici une troisième lettre que je t’écris depuis que je suis ici. On m’a conseillé de ne pas envoyer la seconde, qui était encore un peu bizarre, du moins aux yeux des docteurs… Aujourd’hui, je vais très bien, et ce qui le prouve, c’est que je dois dîner aujourd’hui au château avec M. Blanche… Ma rechute a duré une huitaine de jours, mais je n’ai pas souffert. M. Blanche a fait faire mon déménagement et je suis dans mes meubles, avec mes livres et mes tableaux… La prolongation de mon séjour est due surtout à certaines bizarreries qu’on avait cru remarquer dans ma conduite. Fils de maçon et simple louveteau, je m’amusais à couvrir les murs de figures cabalistiques et à prononcer ou à chanter des choses interdites aux profanes ; mais on ignore ici que je suis compagnon-égyptien (refik). Enfin, j’en suis sorti, et je ne souhaite à personne de passer par les mêmes épreuves. Si la vie est un voyage, je demande à voyager quelques jours pour ma santé[63]. » Il parle ensuite d’une affaire, assez longuement et avec bon sens ; mais son papier est orné de signes cabalistiques et de dessins bizarres.

Il se remit à travailler, dans la maison de fous. À Georges Bell : « (Sans date.) … Ne m’abandonnez pas, si longue que soit par ce temps-ci la course de Passy. J’ai à vous parler beaucoup. Ce que j’écris en ce moment tourne trop dans un cercle restreint. Je me nourris de ma propre substance et ne me renouvelle pas. De plus, j’ai de l’inquiétude quant au placement de la copie. Venez donc bien vite[64]. »

Ce sang-froid et cette lucidité ont invariablement leur contre-partie dans les ténèbres et les orages de l’autre hémisphère de sa pensée. Si nous reprenons le Rêve et la Vie, nous voyons qu’insensiblement, il se mêlait des scènes sanglantes ou douloureuses aux visions mystiques. Une hallucination lui fut pénible entre toutes : la femme qu’il avait aimée sous divers noms et diverses formes épousait son double, « l’autre », et il se demandait avec angoisse si l’autre était son bon ou son mauvais moi, sans parvenir à se reconnaître entre ses deux personnalités.

En novembre, les progrès du mal aidant, il réfléchit qu’il n’avait jamais été fou et que les médecins se trompaient, faute de savoir ce que lui savait. Il s’étend dans une lettre du 27 sur « cette singulière maladie, qui, dit-il, est pour moi l’âge critique, et dans laquelle on n’a vu sans doute que les apparences de l’égarement ». Il trouvait qu’on se pressait trop de parler de lui au passé. Déjà, lors de son premier accès, Jules Janin avait fait son oraison funèbre dans le Journal des Débats, et cela lui avait été fort désagréable, quelque louangeur que fût l’article. Alexandre Dumas lui ménagea la même surprise en décembre 1853, dans la persuasion qu’il ne guérirait jamais. Gérard de Nerval riposta par la préface des Filles du Feu : « (À Alexandre Dumas.) Je vous dédie ce livre, mon cher maître, comme j’ai dédié Lorely à Jules Janin. J’avais à le remercier au même titre que vous. Il y a quelques années, on m’avait cru mort et il avait écrit ma biographie. Il y a quelques jours, on m’a cru fou, et vous avez consacré quelques-unes de vos lignes les plus charmantes à l’épitaphe de mon esprit. Voilà bien de la gloire qui m’est échue en avancement d’hoirie… »

Le 27 mai 1854, il parut assez remis pour quitter la maison de santé. Il ne prit que le temps de faire un tour aux Halles et partit pour l’Allemagne. À Georges Bell : « (Strasbourg, le 1er juin 1854.) À propos, tâchez donc de savoir à qui j’ai donné ce rude soufflet, vous savez bien, une nuit à la Halle… Faites mes excuses à ce malheureux quidam. Je lui offrirais bien une réparation, mais j’ai pour principe qu’il ne faut pas se battre quand on a tort, surtout avec un inconnu nocturne. Autrement vous croiriez que je fais le Gascon sur la lisière de l’Allemagne ; mais, franchement, j’étais plus malade que je ne croyais, le jour ou plutôt la nuit de cet exploit ridicule. » Étant mieux, il voulait bien convenir qu’il avait eu la cervelle troublée, mais il n’en convint pas longtemps.

Il est question dans la même lettre d’une troisième oraison funèbre : la biographie d’Eugène de Mirecourt, qui lui avait été particulièrement insupportable à cause du portrait placé en tête : « Dites donc, je tremble ici de rencontrer aux étalages un certain portrait pour lequel on m’a fait poser, lorsque j’étais malade, sous prétexte de biographie nécrologique. L’artiste est un homme de talent,… mais il fait trop vrai ! — Dites partout que c’est un portrait ressemblant, mais posthume, ou bien encore que Mercure avait pris les traits de Sosie et posé à ma place. Je veux me débarbouiller avec de l’ambroisie, si les dieux m’en accordent un demi-verre seulement. » Ce portrait, si amer à sa coquetterie, est justement le seul connu, sinon le seul existant ; il a été reproduit partout. Gérard de Nerval y est représenté de face, le menton sur sa main, le coude sur sa table de travail. Il a les joues rondes, les traits placides et comme émoussés, le buste affaissé et inélégant ; sans son regard de fou, luisant et indigné, il serait d’une complète insignifiance.

À son père : « (Ce 4 juin 1854.) Je t’écris de Strasbourg… Ma foi, on avait raison de me prescrire les ménagements. Le mal, c’est-à-dire l’exaltation, est revenu parfois, c’est-à-dire dans de certaines heures. Je dois passer ici pour un prophète (un faux prophète), avec mon langage parfois mystique et mes distractions. »

« … À un ami : — Ayant fraternisé avec les étudiants au bal des savetiers, j’ai bu plus de bière que de raison, en voulant faire le crâne, ce qui, joint avec les invitations des deux jours suivants, m’a rendu assez fantasque dans cette ville. J’ai fait tant de bruit à l’hôtel de la Fleur, que je crois qu’il y a des gens qui en sont partis à cause de cela, des femmes peut-être, malheureusement, que l’on n’a qu’entrevues. Hé bien, les garçons sont si polis dans cet établissement, qu’on ne m’a fait que des observations détournées sur ce que je ne me rendais peut-être pas bien compte des heures. — J’ai dit : — Mais je n’ai pas de montre, et le jour paraît de bonne heure ; est-ce que j’ai dérangé quelqu’un ? il fallait me le dire. — Le garçon m’a dit : — Monsieur sait bien ce qu’il fait. — J’ai répondu : Pas toujours. »

Il y avait cependant progrès. Sa raison avait repris son poste d’observation. Elle surveillait le « frère mystique », et l’obligeait prudemment à dissimuler.

À Georges Bell : « (Neuenmarkt, 27 juin.) Je viens de passer un mois à visiter l’Allemagne du midi. Je me suis clarifié l’esprit et j’ai repris la forte santé des jeunes années… Je vous ai écrit de Strasbourg, où les réceptions et les invitations m’avaient encore un peu agité. Pour éviter ces occasions, j’ai vu fort peu de monde depuis, et j’ai pris de la force dans la réflexion et la solitude. J’ai beaucoup travaillé et j’ai même de la copie que je ne veux pas envoyer légèrement ; le principal, c’est que je suis fort content et plein de ressources pour l’avenir. Du résultat de ce mois seul, il y a de quoi travailler un an ; je me suis découvert des dispositions nouvelles. — Et vous savez que l’inquiétude sur mes facultés créatrices était mon plus grand sujet d’abattement. »

Il rentra à Paris vers le 19 juillet, guéri en apparence. Au premier effort cérébral, la folie éclata de nouveau. Le 8 août, il fallut le reconduire à Passy, où il arriva irrité, mauvais, sûr d’être dans son bon sens et accusant le ciel et la terre de le persécuter. Sa thèse fut désormais celle-ci : « Je conviens officiellement que j’ai été malade. Je ne puis convenir que j’ai été fou, ou même halluciné. » On ne le fit plus sortir de là. Il ajoutait : — « Si j’offense la médecine, je me jetterai à ses genoux quand elle prendra les traits d’une déesse[65]. » À l’ancienne affection pour le docteur Blanche, à l’ancienne reconnaissance pour tant de services où l’intérêt n’avait certes rien à voir, avaient succédé les colères, les menaces, la défiance de la victime envers son geôlier. Il écrivait à tous ses amis pour se plaindre de son « incarcération ». À quoi bon s’appesantir ? Pourquoi citer des divagations dont il n’était pas responsable ?

Ce fut le moment que choisit son père pour notifier qu’il refusait de s’occuper de lui. Il y avait vingt-cinq ans que M. Labrunie s’était désintéressé de son fils et qu’il recevait sans en être touché les tendresses d’un cœur qu’aucun rebut ne put lasser. Malade ou bien portant, absent ou présent, Gérard de Nerval n’oubliait jamais son père. Il quittait tout pour l’embrasser avant son coucher, pour lui répéter par lettre, ou de vive voix, qu’il n’avait point de meilleur ami. Autant parler à une pierre, et, quand le docteur Blanche le prévint que son malheureux fils n’était plus « en état d’être abandonné à ses propres forces », le vieillard se déroba sèchement. M. Labrunie est la seule personne qui n’ait point aimé Gérard de Nerval.

En désespoir de cause, l’infortuné avait supplié une société littéraire de lui faire rendre la liberté. On eut l’imprudence d’écouter ses réclamations. Le 19 octobre, il se retrouva sur le pavé de Paris, et le combat final s’engagea aussitôt entre les deux personnalités qui se le disputaient depuis quarante ans. Les aliénistes peuvent en suivre les phases dans l’œuvre qui est le testament de sa raison expirante : — « Je vais essayer, disait-il à la première page, de transcrire les impressions d’une longue maladie, qui s’est passée tout entière dans le mystère de mon esprit ; — et je ne sais pourquoi je me sers de ce terme maladie, car jamais, quant à ce qui est de moi-même, je ne me suis senti mieux portant. Parfois, je croyais ma force et mon activité doublées ; il me semblait tout savoir, tout comprendre ; l’imagination m’apportait des délices infinies. En recouvrant ce que les hommes appellent la raison, faudra-t-il regretter de les avoir perdues ?… »

Il employa ses dernières semaines à écrire le Rêve et la Vie sur des bouts de papier de toutes provenances, dont le seul aspect disait l’histoire de sa lutte intérieure. Dans les bons moments, Gérard de Nerval dépeignait avec une netteté remarquable, une rare puissance d’analyse, la marche et la filiation des conceptions délirantes, « les rapports avec les milieux, les circonstances, les accidents, les antériorités et les souvenirs de la veille et du rêve[66] ». C’était véritablement « la Raison écrivant les Mémoires de la Folie sous sa dictée » ; un médecin, étudiant un aliéné, n’aurait pas procédé avec plus de sang-froid. — Venait l’instant où le moi fou reprenait le dessus. La main s’interrompait alors d’écrire pour tracer des figures cabalistiques ; on pouvait lire sur son manuscrit une démonstration de l’Immaculée Conception par la géométrie. L’ensemble constitue un document physiologique de premier ordre ; je ne vois à lui comparer, dans toutes les littératures, que les Confessions d’un mangeur d’opium, de Thomas de Quincey.

La première partie de ces cruels mémoires parut le 1er janvier 1855, dans la Revue de Paris. Le 20 du même mois, Maxime Du Camp et Théophile Gautier causaient ensemble dans le bureau de la Revue. Paris était sous la neige et le froid intense : « Gérard entra, raconte Du Camp ; il portait un habit noir si chétif que j’eus le frisson en le voyant. Je lui dis : — Vous êtes bien peu vêtu pour affronter un froid pareil. Il me répondit : — Mais non, j’ai deux chemises ; rien n’est plus chaud. » Gautier insistait pour lui prêter un paletot. Il refusa, assurant que le froid était tonique, commença à divaguer, puis tira de sa poche un cordon de tablier de cuisine et le leur fit admirer : — C’est, disait-il, la ceinture que portait Mme de Maintenon quand elle faisait jouer Esther à Saint-Cyr. » Ils voulurent le retenir ; Gérard de Nerval leur échappa et disparut.

Le 24, il écrivit à un ami : « Viens me reconnaître au poste du Châtelet. » Il était allé passer la nuit dans un cabaret des Halles pour travailler au Rêve, et avait été raflé avec des bohémiens. L’ami le trouva encore sans paletot — la Seine charriait, — et très affecté de la pensée qu’il ne terminerait jamais son manuscrit : « Je suis désolé, disait-il ; me voilà aventuré dans une idée où je me perds ; je passe des heures entières à me retrouver… Croyez-vous que c’est à peine si je peux écrire vingt lignes par jour, tant les ténèbres m’envahissent[67]. » C’était le cas de s’appliquer le dicton dont se servaient ses amis les Druses pour exprimer qu’il est trop tard : — La plume est brisée, l’encre est sèche, le livre est fermé. — Gérard de Nerval comprenait qu’il passait pour toujours de la réalité dans le rêve, que « l’autre » s’emparait de lui définitivement, et ce n’était pas sans épouvante qu’il glissait dans le gouffre où son imagination et l’occultisme ne lui avaient montré d’abord que joie et repos. Les expériences des derniers mois lui avaient ôté sa belle confiance dans la douceur de l’état que le vulgaire nomme folie. Il sentait qu’après l’avoir rapproché des frontières du génie, le mal le précipitait dans la démence, et cette idée était intolérable à son reste de raison.

Il avait toujours le cordon de tablier dans sa poche, mais ce n’était plus la ceinture de Mme de Maintenon ; c’était la jarretière de la reine de Saba.

Le 25 au soir, il gelait à dix-huit degrés. Après une journée passée à piétiner dans la neige et à traîner dans les mauvais lieux, Gérard de Nerval vint s’échouer entre deux et trois heures du matin dans un cloaque immonde, enfoncé en terre de la hauteur d’un étage et situé entre les quais et la rue de Rivoli, proche la place du Châtelet. On l’appelait la rue de la Vieille-Lanterne. Il n’y a pas de mots pour peindre l’horreur de ce lieu infect, où un auvent mettait la nuit en plein jour. On y descendait par un escalier oblique et raide, sur lequel un corbeau apprivoisé répétait du matin au soir : « J’ai soif ! » En bas, sous l’auvent, une large bouche d’égout, fermée par une grille, suçait un ruisseau d’immondices à quelques pas d’un cabaret qui était en même temps un garni à deux sous la nuit. Il fallait avoir perdu toute raison, ou tout respect de la mort et de soi-même, pour penser à mourir dans la rue de la Vieille-Lanterne, et c’est pourtant là qu’on trouva, le 26 janvier 1855 à l’aube, le cadavre de l’un des êtres les plus étrangers à toute action vilaine qui aient jamais foulé cette terre. Gérard de Nerval s’était pendu avec le cordon de tablier au barreau d’une fenêtre située sous l’auvent. Le corbeau voletait autour de lui. Les gens du garni déclarèrent qu’on avait frappé à leur porte vers trois heures du matin et qu’ils ne s’étaient point levés pour ouvrir, à cause du froid. L’enquête établit qu’il y avait bien eu suicide, et non assassinat comme quelques-uns en avaient exprimé le soupçon.

Une foule en larmes suivit le convoi. Ce fut un spectacle, pour le badaud parisien, que celui de tous ces hommes connus ou célèbres qui pleuraient comme des enfants et refusaient d’être consolés, parce qu’ils n’avaient pas su sauver leur bon Gérard, leur doux ami, auprès duquel ils se sentaient meilleurs. On raconta que le pauvre poète s’était tué de misère, et ce reproche détourné aiguisa leur douleur. Aucun d’eux ne l’avait mérité. Gérard de Nerval avait toujours gagné le nécessaire, et puisé le reste dans des bourses qui n’étaient jamais fermées pour lui. D’autres affirmèrent qu’il n’avait pas voulu survivre à la perte de ses facultés. Paul de Saint-Victor suggéra une explication mystique : — « Il est mort, on peut le dire, de la nostalgie de l’invisible : ouvrez-vous, portes éternelles ! et laissez entrer celui qui a passé son temps terrestre à languir et à se consumer d’attente sur votre seuil. » Gérard de Nerval, en effet, avec sa grande foi à cet au-delà que des visions répétées lui avaient rendu familier, devait aspirer à s’échapper de la prison de chair que les ténèbres envahissaient. Mais la meilleure raison à donner de son suicide, c’est qu’il était fou. Il est inutile d’en chercher d’autres ; celle-là suffit, et elle absout Gérard de Nerval de l’ignominie de sa mort. Je relève cette pensée dans le carnet trouvé sur son cadavre avec la suite du Rêve : « Tout est dans la fin. » L’homme qui pense ainsi ne va pas se pendre rue de la Vieille-Lanterne, ou bien il ne sait plus ce qu’il fait.

Le drame eut pour épilogue la lettre que voici : « (Paris, le 13 mars 1855.) Le docteur Labrunie, père de Gérard (Labrunie) de Nerval, autorise MM. Théophile Gautier et Arsène Houssaye à faire poser immédiatement le marbre destiné au tombeau de son fils. » Le père abandonnait son fils jusque dans la mort.

Nous arrêterons ici ces études. Dans cette dernière, comme dans les précédentes, nous avons vu des dons littéraires très brillants s’allier à des altérations profondes de l’intelligence. Mais il y a lieu de remarquer que le cas de Gérard de Nerval est différent de celui d’Edgar Poe ; d’Hoffmann et de Thomas de Quincey. Ceux-ci ont tué leur génie. Aucun d’eux n’a donné ce qu’il aurait pu donner s’il n’avait pas lentement et progressivement amoindri sa vitalité et empoisonné son intelligence par l’alcool, le vin ou l’opium. Leur névrose a pu être, dans une certaine mesure, la conséquence de leurs merveilleuses facultés ; elle n’en a été ni l’origine ni le principe. Gérard de Nerval, au contraire, prédestiné à la folie dès sa naissance, semble avoir dû à son malheur les parties supérieures de son talent, le petit coin de génie qu’on ne saurait lui refuser. Il n’a été vraiment poète que dans les heures où il n’était pas tout à fait sain d’esprit, où il écrivait sous la dictée de son frère mystique. Avec lui se soulève, plus déconcertante et plus irritante qu’avec nul autre, cette redoutable question, si souvent posée et jamais résolue, des rapports du génie avec la folie. Il n’en est pas de plus humiliante pour la raison humaine. Nous n’essaierons pas de la trancher ; notre but était beaucoup plus modeste. Nous n’avons voulu qu’éveiller un peu de sympathie pour une de ses victimes les plus touchantes et les plus irresponsables.


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  1. Œuvres complètes de Gérard de Nerval. — Lettres et documents inédits.
  2. Paradoxe et Vérité (l’Artiste, 1844).
  3. La Presse, 10 octobre 1865.
  4. Collection de M. de Spoelberch de Lovenjoul. Nous devons à M. de Spoelberch la communication des papiers et correspondances de Gérard de Nerval, ainsi que de nombreux documents se rapportant à lui et à son œuvre et des renseignements en tous genres sans lesquels notre tâche eût été impossible. Nous le prions de recevoir ici nos remerciements. Nous remercions également M. Henry Houssaye, qui a bien voulu mettre à notre disposition des lettres et des notes provenant des papiers de M. Arsène Houssaye.
  5. Sylvie.
  6. Notice de Théophile Gautier.
  7. L’Académie, ou les membres introuvables, comédie satirique en vers (Paris, 1826 ; Touquet).
  8. La traduction d’Albert Stapfer faisait partie d’une collection coûteuse. Celle de Gérard de Nerval fut destinée aux petites bourses.
  9. Fonds Arsène Houssaye. Le carnet auquel j’emprunte ce passage a été commencé le 27 mai 1828.
  10. Théophile Gautier, Notice sur Gérard de Nerval.
  11. Théophile Gautier, Histoire du romantisme.
  12. Paul de Saint-Victor, Notice sur Gérard de Nerval.
  13. Théophile Gautier, Notice.
  14. Ce fut, pour Gérard de Nerval, la période des anthologies. En 1830, il publia des Poésies allemandes, traduites par lui, et un Choix de poésies de Ronsard, Du Bellay, etc., avec introduction.
  15. Champfleury, Grandes figures d’hier et d’aujourd’hui.
  16. Lettre de Mme veuve Labrunie, tante de Gérard de Nerval, à Arsène Houssaye (Paris, décembre 1859). — Ce champ était estimé 1 500 francs.
  17. Champfleury, loc. cit.
  18. Les Nuits d’octobre.
  19. Lettre du 30 septembre 1855. Fonds Arsène Houssaye.
  20. Mes Prisons.
  21. Georges Bell, Gérard de Nerval.
  22. Théophile Gautier, Notice.
  23. Bell, loc. cit.
  24. Champfleury, loc. cit.
  25. Treize lettres ou fragments de lettres à Jenny Colon ont été imprimés à la suite d’Aurélia, après la mort de Gérard de Nerval.
  26. Il existe dans ses papiers (Fonds Arsène Houssaye) le début de quelque chose qui a tout l’air d’une imitation des tragédies de Racine.
  27. Joué à la Porte-Saint-Martin le 27 décembre 1851 ; la pièce tomba.
  28. Maurice Tourneux, Gérard de Nerval.
  29. Gérard de Nerval a publié, en 1830, un volume de Poésies allemandes, morceaux choisis et traduits. Il a été depuis l’un des principaux et des meilleurs traducteurs des poésies de Henri Heine, sur lequel il donna deux articles dans la Revue des Deux Mondes des 15 juillet et 15 septembre 1848.
  30. Deux opéras-comiques : Piquillo (1837) et les Monténégrins (1849), ce dernier en collaboration avec Alboize ; quelques traductions ou adaptations : Misanthropie et Repentir, de Kotzebue ; le Chariot d’enfant, drame indien du roi Sondraka (en collaboration avec Méry) ; Jodelet ou l’Héritier ridicule, d’après Scarron, etc.
  31. — 1856, Michel Lévy. J’ai sous les yeux un exemplaire appartenant à M. de Spoelberch et corrigé d’après le texte original et incomplet publié en 1849 par le journal le Temps. Les différences sont considérables.
  32. — 1888, Calmann Lévy.
  33. L’Artiste, 13 juillet 1845.
  34. La Presse, 10 août 1845. Gérard de Nerval faisait le feuilleton dramatique à la Presse pendant les absences du titulaire, Théophile Gautier.
  35. La Presse, 13 avril 1845.
  36. Les Nuits d’octobre, Promenades et Souvenirs. Ce sont des souvenirs personnels. Les Petits Châteaux de Bohême, Mes Prisons et Angélique sont également des réminiscences. Octavie ou l’Illusion est un souvenir de voyage.
  37. Voir Jemmy, Émilie, la Main enchantée, et en général toutes les nouvelles qui ne sont pas des mémoires plus ou moins déguisés.
  38. Il avait réuni sous ce titre Sylvie, trois petites nouvelles et un essai sur le culte d’Isis (1854).
  39. J’en dois le relevé à l’obligeance du Dr  Meuriot, successeur du Dr  Blanche. Gérard de Nerval est entré le 21 mars 1841 dans la maison du Dr  Blanche père, rue de Norvins, à Montmartre, et en est ressorti le 21 novembre de la même année. Il a séjourné dans la maison de Passy, dirigée par le Dr  Blanche fils, du 27 août 1853 au 27 mai 1854, et du 8 août 1854 au 19 octobre suivant. Gérard de Nerval a aussi passé deux mois à la maison Dubois, au printemps de 1853.
  40. D’après l’original ; collection de M. de Spoelberch de Lovenjoul. Cette lettre a été imprimée à la suite d’Aurélia, mais avec des inexactitudes. Bien qu’elle ne soit point datée, on peut, je crois, la placer en 1837 ou 1838.
  41. Le Rêve et la Vie, ou Aurélia. Gérard de Nerval n’appelle jamais Mlle Jenny Colon autrement qu’Aurélia.
  42. Théophile Gautier, Notice.
  43. Publiée par M. Louis de Barre dans la Nouvelle Revue internationale du 15 juin 1894.
  44. Cette date est inconciliable avec celle du 21 novembre, qui a été relevée par les soins du Dr  Meuriot sur le livre même du Dr  Esprit Blanche. Avec Gérard de Nerval, il faut prendre son parti des dates fausses ou incertaines, soit qu’il se trompât effectivement, soit que les copistes et les imprimeurs n’aient pu déchiffrer son écriture, qui est tantôt très belle et tantôt illisible.
  45. Les Oubliés (Nouvelle Revue internationale, 30 juin 1895).
  46. Fonds Arsène Houssaye.
  47. La Presse, 2 décembre 1862.
  48. Les Scènes de la vie orientale ont paru d’abord dans la Revue des Deux Mondes (1846 et 1847).
  49. Le 5 juin 1842.
  50. Théophile Gautier, Notice.
  51. Selon d’autres, dans les premiers mois de 1844.
  52. Georges Bell, Gérard de Nerval.
  53. Paul de Saint-Victor, préface de la Bohème galante.
  54. Grandes figures, etc.
  55. Lettre à Arsène Houssaye, du 30 septembre 1855.
  56. La Petite Presse, 26 octobre 1866. La Petite Presse l’avait elle-même empruntée au Sport.
  57. Le Livre moderne, 10 septembre 1891. La lettre n’est datée que par le timbre de la poste : 20 novembre 1851. La suite du texte indique que Gérard de Nerval venait d’être malade.
  58. Voyage en Orient (1851) ; les Illuminés (1852) ; Petits Châteaux de Bohême (1852) ; Lorely (1853) ; les Filles du Feu (1854) ; la Bohème galante (1855), etc. Les livres de Gérard de Nerval ont été remaniés ou fondus ensemble au fur et à mesure des réimpressions.
  59. Revue des 15 août, 1er et 15 septembre 1850.
  60. Le Rêve et la Vie.
  61. La Presse, 22 septembre 1862.
  62. Collection de M. de Spoelberch de Lovenjoul.
  63. La Presse, 22 septembre 1862.
  64. Gérard de Nerval, par Georges Bell.
  65. Lettre à l’éditeur Sartorius. Collection de M. de Spoelberch de Lovenjoul, de même que la suivante.
  66. Gérard de Nerval, par Alfred Delvau.
  67. Théophile Gautier, Notice.