Nécrologie de M. Aignan

Nécrologie de M. Aignan
Revue pédagogique, second semestre 190037 (p. 110-112).

Nécrologie

M. Aignan

La Revue pédagogique vient de perdre un collaborateur dont nos lecteurs avaient pu apprécier récemment encore la haute valeur[1]. M. Aignan, inspecteur d’académie à la Rochelle, est mort, le 4 juillet, d’une maladie qui avait pris soudainement un caractère très grave.

Né en 1861 à Castéra-Verduzan, dans le Gers, ancien élève de l’École normale supérieure, M. Aignan avait tenu à joindre au titre d’agrégé de physique celui de docteur ès sciences. Même lorsque l’administration ne lui laissait plus guère de loisirs, il ne délaissa pas ses anciennes recherches et il adressa plusieurs fois à l’Académie des sciences des notes et des mémoires qui ont été publiés dans les comptes-rendus de cette Compagnie. Il enseigna d abord au lycée de Mont-de-Marsan, de 1884 à 1894, et son enseignement était aussi apprécié de ceux qui avaient mission de le juger qu’il était goûté de ses élèves. Il aurait pu songer à entrer dans l’enseignement supérieur. Mais le goût de l’action, de fortes convictions républicaines et démocratiques le poussèrent vers l’inspection académique ; il estimait avec raison que s’occuper de l’éducation populaire était le meilleur moyen de servir les idées qui lui étaient chères ; à cette tâche nouvelle il se donna sans réserve. Il débuta dans le Morbihan, poste difficile où il fallait de l’initiative, du courage et du cœur. Tous ceux qui l’ont vu à l’œuvre savent avec quelle ardeur il dirigeait ses instituteurs, encourageait leurs efforts, les défendait et les soutenait à l’occasion contre des attaques imméritées, et en retour combien il en était aimé. Les adversaires de l’enseignement public savaient aussi que sa vigilance et sa fermeté n’étaient jamais en défaut, mais ils rendaient hommage à sa droiture et à sa loyauté.

Il avait en outre un sens très exact des intérêts du pays où il administrait. Lorsque, il y a deux ans, des notions maritimes élémentaires prirent place dans les programmes des écoles du littoral, Aignan se préoccupa aussitôt d’organiser ce nouvel enseignement. Avec ce besoin d’action qui le poussait à dépenser ses forces sans compter, il redevint professeur, il se chargea de préparer les élèves de l’école normale de Vannes à l’enseignement maritime. De ces conférences sortirent deux volumes excellents et qui doivent être recommandés à tous nos maîtres des écoles du littoral[2].

En mars 1900, Aignan fut nommé à la Rochelle, sur sa demande. Il était déjà souffrant, mais rien ne permettait de soupçonner qu’il fût gravement atteint. En quittant le Morbihan, il eut la pensée touchante de publier pour les braves instituteurs qu’il quittait (en me l’adressant, il avait écrit sur la couverture, a publié uniquement pour les instituteurs publics du Morbihan »), avec qui il avait vécu pendant six ans dans une si complète communion d’esprit et de cœur, une brochure : Notes et documents sur l’enseignement de la morale. Il leur montrait ainsi que la préoccupation de l’éducation morale est celle qui dominait toutes ses pensées, tous ses efforts, comme elle doit dominer toutes les pensées, tous les efforts de ceux qui ont l’honneur de collaborer à l’enseignement primaire. Il y reproduisait ses instructions, celles de ses inspecteurs primaires ; il relevait les actes de dévouement et de probité très nombreux accomplis par les enfants des écoles. C’était, selon lui, la meilleure des réponses à ceux qui s’obstinent encore à contester à nos maîtres le droit de former au bien, aux vertus morales et aux vertus civiques l’âme de nos enfants. La Revue pédagogique publiera prochainement des extraits de ce petit livre, dont la lecture m’avait vivement ému. Sans s’en douter, Aignan a écrit là son testament moral : il a ainsi bien terminé sa trop courte carrière et prouvé quelle noble idée se font de leur tâche nos inspecteurs d’académie.

Aignan était en outre un modeste. Récemment, à propos d’une lettre de lui qui avait amené une polémique dans la presse pédagogique, il m’écrivait pour s’excuser, comme d’une faute, de ce bruit autour de sa personne. Sur ces notices où les fonctionnaires sont invités à indiquer l’avancement qu’ils désirent, il écrivait une année : « S’en remet à la bienveillance de ses chefs », et l’année suivante : « Celui dont mes chefs me jugeront digne ». Il avait raison, et ceux qui le connaissaient le jugeaient digne en effet d’arriver aux plus hautes fonctions de l’enseignement primaire. S’il meurt trop tôt, du moins peut-on dire simplement et sans phrases qu’il a bien rempli sa tâche, donné le bon exemple, et fidèlement servi la cause de l’école.


  1. L’enseignement des premiers principes de navigation à l’école primaire (Année 1900, 1er semestre, page 229.)
  2. Aignan et Guillard Premières notions sur la pêche, la navigation à la mer. — Aignan Introduction à l’étude de la navigation (Paris Gedalge 1899),