Myrtes et Cyprès/Invitation
INVITATION
Laisse-toi couronner !
Voici venir la nuit, la nuit limpide et claire ;
Des parfums embaumés glissent dans l’atmosphère,
Le vent a suspendu ses voix ;
Le ciel mêle à l’azur une frange pourprée,
Et le soleil, rentrant dans sa couche éthérée,
Se cache derrière les bois.
Viens, le saule ingénu nous semble offrir ses larmes,
La vague dit un mot qu’elle n’ose achever ;
Allons nous enivrer de ces bruits pleins de charmes :
Un autre astre pour nous va bientôt se lever.
À cette heure où chacun, le regard vers les nues,
Contemplant l’horizon aux riches avenues,
Fait sa prière au dieu du jour,
Nous quitterons aussi pour un instant la terre.
Puisque l’amour, enfant, est sœur de la prière,
C’est aussi l’heure de l’amour.
La lune a revêtu sa splendide auréole.
À ce signal Vénus a rallumé ses feux,
Les chastes nénufars ont fermé leur corolle
Aux baisers du zéphyr, amant voluptueux !
Oh ! viens au bord du lac confondre nos deux âmes,
Viens verser en mon cœur tes soupirs et tes flammes,
Viens près du flot harmonieux ;
Nous pourrons voir au loin se balancer la voile,
Nous pourrons voir dans l’eau se refléter l’étoile.
Viens, l’on admire mieux à deux.
Là, nous sentirons mieux la fraîcheur de la brise
Caressant ton visage et si pur et si beau.
Les flots, en te voyant sur ce rivage assise,
Viendront baiser tes pieds en courbant le roseau.
Nul ne viendra troubler notre doux tête-à-tête :
Nous n’aurons pour témoins que la forêt discrète,
Que les rochers à pic, que l’oiseau qui se tait.
Là, nous nous parlerons par l’éclair du sourire,
Par les élans du cœur, par l’amour, cette lyre
Dont nous sommes l’archet…
Ne préfères-tu pas aux splendeurs d’une fête,
Au bal tumultueux que la fatigue arrête,
À l’éclat blafard des flambeaux,
À l’atmosphère ardente où le désir s’éveille,
Aux fleurs ornant les plis de la gaze vermeille,
Aux feux superbes des joyaux,
Les belles nuits d’été, les nuits tièdes et pures,
Où le vent radouci n’a plus que des murmures,
Où l’onde ralentit son cours,
Alors que d’un amant la voix seule entendue,
Comme un concert céleste en ton cœur répandue,
Lui dit : « Je t’aimerai toujours » ?
Nuit, prête-nous ton calme et prête-nous ton ombre !
Qu’importent à mes yeux un horizon plus sombre,
Un flot moins scintillant,
Si j’ai pour m’éclairer le feu de sa prunelle,
Si je sais qu’elle m’aime et que c’est toujours elle
Qui me parle ou m’entend ?
En sentant ses cheveux frémir sur mon visage,
Oh ! je n’écoute plus les échos du rivage
Ni l’Angelus lointain !
Si je puis respirer son souffle, son haleine,
Je ne regrette pas, nuit pure, nuit sereine,
La clarté du matin.
Que me font ces vains bruits dont la cité fourmille,
Quand j’ai pour me bercer ton rire, jeune fille,
Quand ton regard profond interroge le mien,
Quand, ainsi qu’un oiseau léger sur une branche,
Je vois pendre à mon bras ta petite main blanche,
Et que nous nous perdons dans un doux entretien ?
Viens, il faut à l’amour les ailes du mystère…
Jouissons du présent, car l’heure est éphémère,
Et le temps la poursuit.
Viens, suivons le sentier que déjà l’ombre efface…
Le silence a fermé les bouches de l’espace.
Viens… car voici la nuit.
30 août 1870.