Myrtes et Cyprès/Invitation

Librairie des Bibliophiles (p. 21-25).


INVITATION


La beauté, c’est le front ; l’amour, c’est la couronne
Laisse-toi couronner !xxxxxxxxxxxxxxxx
V. Hugo.

 
Voici venir la nuit, la nuit limpide et claire ;
Des parfums embaumés glissent dans l’atmosphère,
xxxxxxLe vent a suspendu ses voix ;
Le ciel mêle à l’azur une frange pourprée,
Et le soleil, rentrant dans sa couche éthérée,
xxxxxxSe cache derrière les bois.

Viens, le saule ingénu nous semble offrir ses larmes,
La vague dit un mot qu’elle n’ose achever ;

Allons nous enivrer de ces bruits pleins de charmes :
Un autre astre pour nous va bientôt se lever.

À cette heure où chacun, le regard vers les nues,
Contemplant l’horizon aux riches avenues,
xxxxxxFait sa prière au dieu du jour,
Nous quitterons aussi pour un instant la terre.
Puisque l’amour, enfant, est sœur de la prière,
xxxxxxC’est aussi l’heure de l’amour.

La lune a revêtu sa splendide auréole.
À ce signal Vénus a rallumé ses feux,
Les chastes nénufars ont fermé leur corolle
Aux baisers du zéphyr, amant voluptueux !

Oh ! viens au bord du lac confondre nos deux âmes,
Viens verser en mon cœur tes soupirs et tes flammes,
xxxxxxViens près du flot harmonieux ;
Nous pourrons voir au loin se balancer la voile,

Nous pourrons voir dans l’eau se refléter l’étoile.
xxxxxxViens, l’on admire mieux à deux.

Là, nous sentirons mieux la fraîcheur de la brise
Caressant ton visage et si pur et si beau.
Les flots, en te voyant sur ce rivage assise,
Viendront baiser tes pieds en courbant le roseau.

Nul ne viendra troubler notre doux tête-à-tête :
Nous n’aurons pour témoins que la forêt discrète,
Que les rochers à pic, que l’oiseau qui se tait.
Là, nous nous parlerons par l’éclair du sourire,
Par les élans du cœur, par l’amour, cette lyre
xxxxxxDont nous sommes l’archet…

Ne préfères-tu pas aux splendeurs d’une fête,
Au bal tumultueux que la fatigue arrête,
xxxxxxÀ l’éclat blafard des flambeaux,
À l’atmosphère ardente où le désir s’éveille,

Aux fleurs ornant les plis de la gaze vermeille,
xxxxxxAux feux superbes des joyaux,

Les belles nuits d’été, les nuits tièdes et pures,
Où le vent radouci n’a plus que des murmures,
xxxxxxOù l’onde ralentit son cours,
Alors que d’un amant la voix seule entendue,
Comme un concert céleste en ton cœur répandue,
xxxxxxLui dit : « Je t’aimerai toujours » ?

Nuit, prête-nous ton calme et prête-nous ton ombre !
Qu’importent à mes yeux un horizon plus sombre,
xxxxxxUn flot moins scintillant,
Si j’ai pour m’éclairer le feu de sa prunelle,
Si je sais qu’elle m’aime et que c’est toujours elle
xxxxxxQui me parle ou m’entend ?

En sentant ses cheveux frémir sur mon visage,
Oh ! je n’écoute plus les échos du rivage
xxxxxxNi l’Angelus lointain !

Si je puis respirer son souffle, son haleine,
Je ne regrette pas, nuit pure, nuit sereine,
xxxxxxLa clarté du matin.

Que me font ces vains bruits dont la cité fourmille,
Quand j’ai pour me bercer ton rire, jeune fille,
Quand ton regard profond interroge le mien,
Quand, ainsi qu’un oiseau léger sur une branche,
Je vois pendre à mon bras ta petite main blanche,
Et que nous nous perdons dans un doux entretien ?

Viens, il faut à l’amour les ailes du mystère…
Jouissons du présent, car l’heure est éphémère,
xxxxxxEt le temps la poursuit.
Viens, suivons le sentier que déjà l’ombre efface…
Le silence a fermé les bouches de l’espace.
xxxxxxViens… car voici la nuit.


30 août 1870.