Myrtes et Cyprès/À Mademoiselle Mina O***

Librairie des Bibliophiles (p. 17-19).


À MADEMOISELLE MINA O***


Chante toujours, oh ! chante encore !
Ton chant est l’hymne de ton cœur ;
Ton chant est la voix de l’aurore,
Et c’est l’écho de ton bonheur !

Quand la note mélodieuse
Part de ta gorge harmonieuse
Pour se dissiper dans les airs,
La voix de la harpe éolienne

Est moins touchante que la tienne,
Est moins douce que tes concerts…

Parfois, quand ta main blanche effleure
Le clavier qui tressaille et pleure
Sans oser dépasser ta voix ;
Quand, en extase suspendue,
Mon oreille suit dans la nue
La note partant sous tes doigts ;

Quand une roulade fébrile
Échappe à ton gosier fragile,
Où tu la faisais palpiter ;
Quand aussitôt, limpide et vive,
Elle paraît suivre une rive
Que le rêve aime à visiter…

Alors tu sembles plus que femme,
Tu t’approches du séraphin,
Tu disparais dans une autre âme,
Une âme au souffle plus divin,

Une âme semblable à la lyre
Dont l’amour a fait les accords,
Une âme au sublime délire,
Vaste comme une mer sans bords,

Et, comme la lyre d’Orphée,
Tu suspends l’haleine des vents :
La brise s’éteint, étouffée
Au fond de tes soupirs vibrants.

Et moi, qui t’écoute en silence,
Moi qui parfois, à tes côtés,
Suis les pages de ta romance,
Les yeux de larmes humectés,

Je crois m’élever de la terre :
Car, enivré par tes accents,
Ton chant paraît une prière
Qui monte au ciel avec l’encens !


Granges, canton de Soleure (Suisse), 11 octobre 1867.