Musiciens Anglais Contemporains/Préface

Traduction par Louis Pennequin.
Le Temps Présent (p. v-viii).

PRÉFACE




Il est difficile d’exprimer la satisfaction que j’éprouve en présentant au public français ces courtes esquisses de la vie artistique de six musiciens anglais contemporains. Si je ne puis dire à quel prix j’estime le privilège qui m’est accordé, c’est du moins pour moi une tâche plus aisée d’adresser des remerciements sincères à ceux qui, par leur bon office, ont favorisé la publication de cette brochure, — à M. C.-Francis Caillard et à son successeur M. Jean Lœw, qui ont donné à ces études l’hospitalité aimable de la Revue du Temps Présent, — à M. Louis Pennequin qui a droit à tout mon éloge pour le soin intelligent apporté à la traduction de ma prose imparfaite en un admirable langage.

Le moment présent semble particulièrement favorable à un anglais pour appeler l’attention des dilettantes français sur la musique de son pays. Durant ces trente dernières années la musique anglaise a traversé une période d’atonie d’où j’ai foi quelle est actuellement sortie. La différence entre l’attitude des amateurs de concerts anglais d’il y a trente ans envers la musique de leurs concitoyens et l’accueil qui lui est fait par les connaisseurs de notre époque est intéressante à observer.

La visite que Richard Wagner fit à Londres en 1877 et la fondation qui s’ensuivit des concerts dirigés par le célèbre chef d’orchestre Hans Richter, destinés surtout à créer une plus large réclame à la célébrité du maître allemand, inauguraient une ère nouvelle dans la vie musicale anglaise. Wagner devint l’idole des snobs qui, avec l’étroitesse d’idée caractéristique de leur clan, n’avaient d’attention que pour l’art allemand et faisaient mine grise au seul nom annoncé d’un compositeur anglais.

Il me souvient d’un incident dont je fus témoin à un concert de l’année 1889. Afin de donner satisfaction au désir exprimé par plusieurs de ses abonnés, Richter avait consenti à faire exécuter une symphonie de Hubert Parry qui, jeune encore, venait d’attirer l’attention du monde musical. Les snobs, nombreux dans l’auditoire, se félicitaient du programme composé presque exclusivement de fragments importants des œuvres de leur favori Wagner pendant que la symphonie de Parry avait été reléguée à dessein au dernier rang. Quel fut le résultat de cette disposition perfide autant que digne de la diplomatie ? Dès que la partie du programme dévolue à Wagner fut achevée et sitôt que Richter fut près d’exécuter la symphonie, l’auditoire, — à l’exception d’un petit nombre de vaillants partisans de la musique nationale anglaise, — se leva avec affectation et quitta la salle du concert. Cet incident resté gravé dans ma mémoire doit être considéré comme le témoignage frappant de l’attitude de la société fashionable de cette époque et du peu d’intérêt que nos dilettantes portaient à l’art anglais. Après une manifestation au caractère hostile si peu douteux, il est étonnant que des compatriotes aient été soutenus par leur ardeur artistique pour se vouer à la composition musicale. À part une demi-douzaine de musiciens les plus en vue, la plupart des compositeurs avaient peu d’espoir de voir produire leurs œuvres, ou si, par hasard, ils parvenaient à l’exécution publique, d être accueillis autrement que par la froide indifférence.

Il n’est pas aisé d’indiquer le moment exact où une attention favorable commença à être témoignée en Angleterre à notre musique nationale. J’incline à croire que cette direction nouvelle du sentiment musical a dû coïncider avec le commencement de ce siècle, sitôt après que les éloges décernés à Edward Elgar par la critique allemande furent devenus l’argument primordial qui encouragea les dilettantes anglais à reconnaître la juste prétention de l’art musical dans notre pays. Quoi qu’il en soit, il est acquis que, de nos jours, la musique anglaise est aussi sûre d’un accueil bienveillant dans nos concerts que la certitude contraire existait il y a trente ans ; en sorte que le péril se retrouve aujourd hui avec une égale force du côté des snobs qui, — se plaisant toujours à exagérer leurs émotions, — sont tout disposés à s attribuer le rôle de mécènes et à prendre pour un cygne chaque oie qui va cahin-caha caqueter à l’entour de la pompe du village.

Il serait disgracieux d’assombrir l’aurore de la prospérité dont nos jeunes compositeurs jouissent à présent. Mais, ceux-ci sont peut-être trop enclins à oublier que leur faveur récente est due non à leur propre effort, mais à l’opiniâtreté de leurs prédécesseurs qui, durant de nombreuses années, ont défendu la cause légitime de la musique anglaise. C’est à cette dernière génération qu’appartiennent les six musiciens que je présente aujourd’hui aux lecteurs français. Quant à la jeune génération, ce sera pour elle faire preuve de vertu que d’attendre son tour avec patience et sa réserve sera comptée comme un hommage rendu aux six collègues que leur talent a placés au premier rang de l’art musical en Angleterre.

Je m’empresse de dire que ces six compositeurs ont été choisis parce qu’ils représentent d’une manière supérieurement caractéristique autant de phases différentes de la pensée et de l’expression musicales. Je ne prétends pas affirmer que ces musiciens soient les plus grands compositeurs vivants de notre pays. D’autres talents éminents que j’ai été forcé de négliger ont un égal droit à être mis en lumière, et, si l’espace me le permettait, je citerais des compositeurs remarquables comme sir Alexandre Mackenzie[1] dont la musique a la distinction et la robustesse du romantisme de l’Écosse, son pays natal et sir Frédéric Cowen[2], à qui une touche légère et incomparable pour traiter les sujets éthérés ou fantastiques, a fait décerner la souveraineté du royaume des Fées. Plus jeunes, — et, en fait, contemporains de Granville Bantock, — William Wallace[3] que sa maîtrise orchestrale a placé à un rang supérieur parmi nos symphonistes modernes ; Arthur Somerwell[4] dont les œuvres chorales tiennent de l’ampleur superbe de Parry et les chants possèdent l’inspiration vive de Stanford ; Walford Davies[5] qui soutient avec fidélité la tradition de l’oratorio anglais et Edward German[6], le successeur incontesté d’Arthur Sullivan[7] dans le domaine de l’opéra-comique.

L’occasion que je souhaite prochaine me permettra d’apprécier la génération nouvelle des compositeurs sur qui repose l’avenir de la musique anglaise. Nombreux et diversement doués, ces jeunes musiciens ont pris dans l’art des directions si différentes qu’il est impossible de les classer ici d’une manière même superficielle. Je suis forcé, toutefois, d’accorder quelque attention au groupe formé par ceux qui ont demandé une suggestion heureuse aux mélodies populaires anglaises. Le culte du folk-song a pris dans ces dernières années en Europe un développement important. En Angleterre, des centaines de mélodies recueillies auprès des chanteurs rustiques par d’enthousiastes collectionneurs, ont été transcrites sous des formes diverses et publiées en de volumineuses séries. Ces chants anciens ont inspiré nos jeunes compositeurs et les oeuvres chorales ou symphoniques puisées à cette source de sentiment national au suprême degré revêtent un caractère vraiment anglais auquel ne peut prétendre la musique de la génération précédente. Jusqu’à présent, il est impossible de dire si ce mouvement artistique est destiné à produire un résultat durable ; mais, sous l’intelligente direction de compositeurs tels que Vaughan Williams[8], Balfour Gardiner[9] et Percy Grainger[10], pour ne citer que ces éminents musiciens parmi tant d’autres, il a fait preuve de vitalité et accompli une oeuvre de renaissance pleine de fraîcheur et de charme qui a rendu un légitime attrait aux auditions musicales de notre vingtième siècle.

R. A. Streatfeild.

Mai 1913.

  1. Mackenzie (sir Alexandre). Né à Édimbourg, Écosse, le 22 août 1847.
  2. Cowen (Frederic). Né à Kingston, Jamaïque, le 29 janvier 1852.
  3. Wallace (William). Né à Greenoch, Écosse, le 3 juillet 1860.
  4. Somerwell (Arthur). Né à Windermere, comté de Westmoreland, le 5 juin 1863.
  5. Davies (Walford). Né à Oswestry, Shropshire, le 6 septembre 1869.
  6. German (Edward). Né à Witchurch, Shropshire, le 17 février 1862. Auteur de Merry England, 1902 ; A Princess of Kensington, 1903 ; Tom Jones, 1906.
  7. Sullivan (Arthur). Né à Londres, le 13 mai 1842 ; mort à Londres, le 22 novembre 1900.
  8. Williams (Vaughan). Né à Down Ampney, Gloucestershire, le 12 octobre 1872.
  9. Gardiner (Balfour). Né à Londres le 7 novembre 1877.
  10. Grainger (Percy). Né à Melbourne, Australie, le 8 juillet 1882.