Muses d’aujourd’hui/Jane Catulle Mendès
JANE CATULLE MENDÈS
PORTRAIT par gustave brisgand
La poésie de Mme Catulle Mendès est un jardin
plein de clarté, où les sentiments et les émotions
de l’heure se dessinent et se détachent
nettement dans les paysages, comme des fleurs
au bout des tiges et des branches. La vie de
cette Muse semble enclose dans ce parc harmonieux
où rêvent en jupe courte les tendresses
de la jeune fille, et où, demain, s’épanouiront
les sensualités hautaines de la femme. La poétesse
nous restitue, par ses vers, la lumière qui
accompagna chacun de ses gestes, avec les
nuances des instants, et cette lumière est la
reverbération même de son émotion. Avec quels
mots de fraîcheur, et comme mouillés de rosée, elle a su noter une matinée de son enfance :
toutes les fleurs du jardin penchent sous les pollens
du désir, et toute cette lourdeur d’amour
pèse sur elle. C’est le premier poème des Charmes :
Les lilas blancs piqués d’abeilles courageuses
Sentent une tiédeur sur les branches neigeuses
Comme un souffle d’amant sur un cou qui s’incline.
Et les pas de l’enfant qui rêve
S’alanguissent encor, encor
Tandis que sa traîne soulève
Plus doucement le sable d’or.
On dirait un matin de Monet ; mais ici la nature s’éblouit encore du rêve d’une enfant amoureuse et inquiète :
Quelle annonciation, qu’elle attente éperdue
Fait ce silence au cœur des plus vivantes choses ?
Les bourdons sont sans bruit sur les boutons de roses.
La jeune fille entre dans le jardin. Près des lys, les pivoines « semblent de grands péchés au pied de purs autels ». Elle cueille les lys, « parce qu’ils sont plus blancs que la clarté du jour », et les emporte dans ses bras :
Autour d’elle et des fleurs s’épaissit la buée
Et la grosse chaleur des parfums amollis,
Et longtemps, l’espéreuse adore, exténuée,
Le mal du rêve vain et de l’odeur des lys.
Les lys, comme les jeunes filles dont ils symbolisent l’innocence, enferment l’odeur de l’amour. Elle écoute :
Au dehors le jardin et le grêle tumulte
Est une sérénade au balcon déserté,
Et la pièce fermée où le silence exulte
S’emplit de frissons lents et de mysticité.
Mais cette orchestration d’odeurs et de couleurs, ce silence mystique où elle se développe, ne font que préciser le seul désir vivant au cœur des jeunes filles : l’amour. Elle l’attend ; elle sait qu’il va venir, et c’est une peur délicieuse : « Un jour il sera là. » Page:Gourmont - Muses d’aujourd’hui, 1910, 3e éd.djvu/204 Page:Gourmont - Muses d’aujourd’hui, 1910, 3e éd.djvu/205 Page:Gourmont - Muses d’aujourd’hui, 1910, 3e éd.djvu/206 Page:Gourmont - Muses d’aujourd’hui, 1910, 3e éd.djvu/207 Page:Gourmont - Muses d’aujourd’hui, 1910, 3e éd.djvu/208 Page:Gourmont - Muses d’aujourd’hui, 1910, 3e éd.djvu/209 Page:Gourmont - Muses d’aujourd’hui, 1910, 3e éd.djvu/210 Page:Gourmont - Muses d’aujourd’hui, 1910, 3e éd.djvu/211 Page:Gourmont - Muses d’aujourd’hui, 1910, 3e éd.djvu/212