Mosaïque/04
PAUVRE FOLLE
lle paraît ridicule, et l’est réellement pour
plus d’un. Jamais, elle ne s’arrête dans
la rue, allant d’un pas très pressé, ne tournant la tête ni à droite ni à gauche. Le
visage est constamment couvert d’une voilette jaunie
par les ans. Le corsage n’a plus d’âge et la jupe
écourtée, étriquée, à gros bouffants, est d’une nuance
qui ne saurait trouver place sur la palette d’un peintre. Cette partie du vêtement doit remonter, pour le
moins, à vingt ans en arrière.
« C’est une folle, » dit-on, lorsqu’on la voit passer dans nos grandes rues. Depuis la mort de son mari, elle n’a pas changé son costume, qu’elle a fait vœu de garder jusqu’à la mort.
« C’est une folle, » dit-on, et cependant, n’a-t-on jamais songé à ce qu’il y a de sublime chez cette femme, que la mort de l’être aimé a tellement affligée, qu’elle va, bravant la raillerie publique et le respect humain, plongée dans son incommensurable douleur.