Monsieur le Marquis de Pontanges/Ch. 4

Monsieur le Marquis de Pontanges
Œuvres complètes de Delphine de GirardinHenri PlonTome 2 (p. 262-265).


IV.

COMMENCEMENTS.


M. de Marny n’eut qu’un regard à jeter sur madame de Pontanges, et dès l’instant son plan de campagne fut arrêté.

« C’est ce qu’il me faut ; pensa-t-il : jeune, belle, mariée… et à un imbécile ! cœur novice, santé parfaite, vie de province, quinze lieues de Paris, imagination exaltée, nature passionnée, s’ignorant soi-même, sensibilité romanesque, on peut jouer de tout cela à merveille. Madame d’Auray me fait attendre six mois ce que d’autres ont obtenu depuis des années ; elle me fait languir pour la forme, mais je l’attraperai en me résignant ; d’ailleurs, cela peut la décider, et j’aurai les deux… »

Et comme, malgré nous, notre pensée, même la plus cachée, agit sur la personne qui l’inspire, madame de Pontanges se sentit affreusement troublée à l’aspect de M. de Marny. Elle éprouva ce saisissement, ce coup au cœur, ce tremblement inexplicable… — d’un amour subit et foudroyant ?… Non, elle éprouva cet effroi, cet instinct d’une âme superstitieuse qui sent qu’on vient de lui jeter un sort.

Lionel, fat et présomptueux comme un homme indifférent, interpréta ce trouble en sa faveur ; il n’attendit pas que madame d’Auray l’eût présenté ; il prit la parole de lui-même, et, s’approchant de Laurence comme s’il la connaissait depuis longtemps :

— Nous avons bien des excuses à vous faire, madame ; je crains que ces messieurs et moi n’ayons été fort indiscrets, l’autre jour, en interrompant vos méditations…

— Mes méditations étaient celles de M. de Lamartine, reprit Laurence en souriant de la réponse facile, du jeu de mots que lui avait, pour ainsi dire, préparé M. de Marny.

— Ah ! c’était de M. de Lamartine, ce morceau que vous déclamiez ? dit M. Bonnasseau.

— Je ne déclamais pas, je lisais ; mais j’ai vu que vous vous moquiez de moi, et je me suis enfuie bien vite, car j’ai eu plus peur de vos moqueries que de vos coups de fusil.

— Et vous aviez raison, ma chère ; ces messieurs sont de bons moqueurs et de mauvais chasseurs ; ils n’ont le coup d’œil juste que dans les salons : aussi, prenez garde à vous.

Madame d’Auray prononça ces mots insignifiants avec tant d’humeur, que Laurence en fut étonnée.

Lionel, au contraire, se sentit tout joyeux de la subite jalousie de madame d’Auray. « Elle m’a deviné, pensa-t-il, elle connaît madame de Pontanges, elle voit que je veux lui plaire… Elle s’inquiète, — donc c’est possible ! »

Rempli de confiance, Lionel jeta sur madame de Pontanges un regard qu’il croyait tendre, mais qui n’était que séduisant. M. de Marny avait les plus beaux yeux du monde.

— Nous abusons de vos moments, madame, dit tout à coup madame d’Auray que ce regard impatientait ; je vous rends votre liberté, et me charge de faire voir le château à ces messieurs.

En disant ces mots, madame d’Auray se leva pour sortir. Il y avait à peine dix minutes qu’elle était assise, et rien n’était plus singulier que cette manière précipitée de terminer une visite. Chacun en parut confondu. Les amis de madame d’Auray ouvraient de grands yeux et ne semblaient pas du tout disposés à la suivre. Le bon curé et la tante étaient stupéfaits et ne pouvaient se décider à se lever de leurs fauteuils pour la saluer. Il y avait quelque chose de si comique dans la manière polie dont madame d’Auray se débarrassait de Laurence en l’empêchant de faire les honneurs de sa maison, cette visite en compagnie de trois personnes était si courte et le motif qui la faisait abréger était si visible, que Laurence elle-même, malgré le peu d’habitude qu’elle avait du monde, ne put s’y méprendre. Elle s’efforçait de ne pas rire ; mais, par malheur, elle leva les yeux sur M. de Marny, et l’expression maligne du visage de Lionel voulait si bien dire « C’est moi qui vous vaux cela, » — que madame de Pontanges ne put s’empêcher de sourire.

C’était déjà beaucoup que de s’entendre si vite ! Sourire en même temps d’une même idée qu’on ne dit pas… c’est déjà presque de l’intimité ; il est de vieux amis qui ne vous comprennent pas si bien. Madame d’Auray remarqua cette prompte intelligence, et elle tomba dans le tort commun à tous les jaloux, celui de faire cent maladresses qui servent les coquetteries.

— Ma chère, restez, ne vous dérangez pas, dit-elle, vous devez être cent fois par an tourmentée par tous les admirateurs de Pontanges. Vous devez être lasse de votre rôle de cicerone et de répéter toujours : « C’est là que, François Ier s’est reposé ; — ici, Diane de Poitiers s’est promenée… ; » et vingt autres souvenirs qui sont intéressants pour nous, mais qui ne seraient que du rabâchage pour vous. Rentrez, je vous en conjure.

Laurence obéit. Elle rentra dans le salon après avoir reconduit madame d’Auray jusqu’à la porte du jardin ; elle revint en riant s’asseoir à la place qu’elle avait quittée ; mais tout à coup elle jeta les yeux sur la table… et rougit extrêmement.

— Pourquoi ?

C’est ce qu’on verra dans le chapitre suivant.