Monsieur des Lourdines/Chapitre XVI

Bernard Grasset (p. 287-289).
◄  xv

Le soleil commençait à décliner. Un rose pâlissant effleurait les lointains de ce jour gris et tiède. L’automne couronnait toute la campagne, mouillée, brumeuse. Par toutes les terres on charruait. Partout, au haut des collines, se découpait sur le ciel le profil lent des bœufs, et une lumière argentée jouait dans les nuages.


Par un chemin creux de la forêt s’en allait le meunier du moulin de la Bigne, Suire, assis de côté sur son petit cheval, et bien affainéanti entre deux sacs de farine.

Il se rendait de ce pas à la Charvinière.

Il n’était pas pressé et il sifflotait tranquillement…

Le chemin entre les deux talus s’enfonçait dans un anneau d’ombre, sous les larges feuilles jaunies des châtaigniers.

Il arriva à l’orée de la forêt. Au bas du coteau se bossuait le vieux toit roux de la Charvinière. Par-dessus, au loin les moulins de Saint-Michel, de Fouchaut, des Aiglonnières, tournaient ensemble, minuscules et tout blancs, dans les bleus étagés de l’horizon. Suire jeta un coup d’œil à ces moulins, dont il connaissait les meuniers. Chevauchant le long du bois, il cherchait à voir si quelque lapereau ne bondissait pas dans les taillis. Des merles s’enfuyaient à la débandade.

Comme il tournait, deux chiens, un fort mâtin, puis un lévrier blanc, sortirent du fourré. Ils se mordillaient l’un l’autre, en jouant.

Un peu plus loin, il enleva son bonnet pour saluer, mais les deux hommes ne l’avaient pas vu. Ils lui tournaient le dos ; ils avaient pris une autre allée ; ils s’en allaient côte à côte, tout doucement. S’il ne les eût pas connus, il n’aurait su dire lequel des deux était le plus vieux. Et, tirant de son côté, nonchalant entre ses sacs, il les regardait s’éloigner, devenir tout petits, là-bas, dans la forêt…