Monsieur de l’Étincelle, tome II/Chap XXVI

Librairie de Charles Gosselin et Cie (p. 393-397).


CHAPITRE XXVI,


Où le héros retombe dans ses indécisions.




Refuse si tu peux, et choisis si tu l’oses.


M. de l’Étincelle, car Maurice, tout en renonçant à nier son identité, ne reprenait pas son véritable nom, M. de l’Étincelle raconta au général Mazade et à Paul comment il avait été entraîné à mettre de côté toute fiction avec Odille, et à remercier M. d’Armentières de l’avoir si bien lavée de tout soupçon, en se faisant contre elle un prétexte de sa fidélité même, pour se dispenser de tenir la parole qu’il ne lui avait donnée autrefois qu’avec l’intention d’éluder l’obligation qu’elle pouvait imposer à sa conscience. Paul écouta ce récit avec des larmes de joie, Mazade en souriant.

— Je m’attendais à cette conclusion, dit celui-ci, alors même que cette épreuve n’eût pas été aussi complétement triomphante pour la vertu d’Odille. Il faut avouer qu’il n’y a jamais eu d’absents plus heureux que toi et moi, Maurice ! revenir après douze ans d’exil, et retrouver, moi ma maîtresse fidèle au risque de mourir fille comme sa vieille tante, toi ta femme, ce qui est plus fort, non seulement justifiée d’une première calomnie, mais veuve encore lorsqu’elle te croyait mort, et restée aussi chaste et pure dans le monde que dans un couvent ! Vivent des cousins tels que les nôtres pour rivaux, M. Bohëmond de Tancarville avec son antipathie pour l’Indoustani et sa protubérance dorsale, M. d’Armentières avec sa peur du mariage qui le met en fuite chaque fois qu’une dame consent à l’épouser ! Mais, mon grave ami, pardonne-moi cette saillie militaire, et allons obtenir ma grâce d’Odille ; je la mérite pour t’avoir ramené à elle, sans savoir encore combien nous étions injustes à son égard. Adieu, à la Havane maintenant, j’espère !

— Tu parles bien vite, mon ami, répondit M. de l’Etincelle ; mon bonheur n’est pas pur comme le tien qu’aucune réflexion ne trouble : telle est la bizarrerie de ma destinée, que je n’ai plus que le choix entre deux ingratitudes et deux injustices… Ce matin encore, tout en déplorant ma facilité à croire aux torts d’une femme bien-aimée, tout en cédant à ton conseil de ne pas lui dire un éternel adieu sans lui avoir avoué mes propres torts, je me félicitais de pouvoir penser qu’elle ne m’aimait plus assez, après douze ans de veuvage, pour ne pas se contenter de la seule réparation que je venais lui offrir. Je ne croyais être moi-même indécis qu’entre deux devoirs, je le suis maintenant entre deux amours. Ma franchise exige que j’apprenne à Odille les secrets de mon exil ; tous les droits sont de son côté, mais je ne puis lui laisser ignorer ce qu’il m’en coûte pour les reconnaître : il faut qu’elle sache tout ce qui s’est passé dans mon cœur depuis douze ans, et quel changement s’est fait dans mon caractère ; il faut, quelle que soit sa détermination, que, cédant quelque chose à la fatalité, elle m’autorise à aller porter à une autre l’éternel adieu que je venais lui dire à elle ce matin. Je vous laisse donc, Mazade et Paul, pour décider avec Odille de mon sort : j’avais écrit une courte relation de tous les événements de ma vie depuis mon exil ; la voici : remettez-la-lui, et je ne reviendrai ici qu’après lui avoir accordé le calme de la réflexion. Mazade, je sais jusqu’où va l’égoïsme de ton amitié, qui met au-dessus de toutes les considérations le plaisir de finir nos jours ensemble ; mais n’oublie pas qu’il y va aussi de mon honneur… de mon honneur qui est ici le tien… Tu t’es engagé toi-même avec Dolorès à me ramener à elle… mort ou vif, ce furent les propres expressions. Adieu, mes amis, dites à Odille que je vais auprès de ma fille ; ce n’est pas là que j’oublierai le bonheur… mêlé, hélas ! d’amertume… que j’ai éprouvé aujourd’hui à la serrer dans mes bras.

Le général Mazade et Paul allèrent donc seuls trouver Odille, en convenant que, toujours jouet des circonstances, toujours poursuivi par sa capricieuse étoile, Maurice Babandy voyait chaque jour le roman de sa vie se compliquer d’un incident nouveau et d’un nouveau cas de conscience.