IX

LE SCOLASTICAT

(Suite.)
PRÉPARATION OFFICIELLE AUX MISSIONS. — LA PRÊTRISE

I

Depuis le départ du Barcelona, on peut dire que le Frère n’a pas cessé de vivre à bord du navire et de voguer à travers les océans. Que sont devenus les chers apôtres ? Où sont-ils ? Que font-ils ? Est-ce qu’enfin ils ont vu de leurs yeux la Nouvelle-Guinée ? Comment expliquer leur long et douloureux silence ? Au moindre bruit, le Frère prêtait l’oreille et son cœur tressaillait… Les premières nouvelles furent tristes. On croyait déjà les Missionnaires au milieu de leurs sauvages, et ils étaient, comme nous l’avons raconté, à Manille. Depuis lors, rien de certain. Des rumeurs poignantes. « Un Dominicain, à qui nos Pères ont confié, à Manille, leurs lettres pour Issoudun et pour Rome, aurait appris, en arrivant à Port-Saïd, le naufrage de deux navires partis pour Batavia. Or, nos Pères lui avaient assuré qu’ils allaient se mettre en route pour cette ville. Les naufragés du premier navire se sont tous sauvés. Une partie des passagers du second sont noyés. O mon Dieu, quelles cruelles incertitudes ! O Notre-Dame du Sacré-Cœur, est-ce ainsi que vous abandonnez vos enfants ? Souvenez-vous donc que vous êtes leur Mère, qu’ils sont partis pour vous, pleins de confiance en vous… Donnez-leur du courage et sauvez-les[1]… » — « La pensée que nos chers Missionnaires sont dans l’épreuve ne me sort plus de la tête. Pauvres Pères et Frères ! Que ne suis-je avec eux pour partager leurs souffrances et les adoucir, en me faisant leur serviteur bien aimant !… Oh ! oui, je les aime davantage, maintenant qu’ils sont contredits par le démon et que les moyens humains leur manquent. C’est au Cœur de Jésus à tout faire. Où vont-ils descendre ? Qui leur fera leur pauvre maison ? Que ne suis-je là-bas ! Je leur aiderais à la construire, à se nourrir, à se vêtir sur cette plage inhospitalière où ils sont peut-être. Mon Dieu, soyez leur Providence[2]. » Quelques jours plus tard, le bruit courait que quatre hommes de la colonie de Port-Breton avaient été mangés par des anthropophages devant un cinquième condamné à prendre sa part de l’horrible festin, et le frère Verjus écrit : « Mon Dieu, faites que cela ne décourage ni nos Pères, ni nos vénérés supérieurs. S’il faut que quelqu’un soit mangé, que ce soit moi ! Je ne suis guère bon qu’à cela[3]… » Le 19 février 1882, arrivé à Rome le frère Georges Durin. On se souvient qu’il accompagnait son oncle en qualité de Frère coadjuteur pour la Nouvelle-Guinée. Cette arrivée soudaine et absolument inattendue fut au scolasticat comme un coup de foudre. Le frère Verjus multiplie d’abord les questions ; mais le R. Père supérieur, jugeant à propos de ne pas répondre, le Frère écrit : « Je vais à la chapelle, je prie, je pleure, je conjure le Cœur de Jésus de ne pas nous abandonner, et je m’offre comme victime pour le salut de nos chères Missions. Le courage ne me fait pas défaut ; au contraire ! Je sens que les épreuves sont le signe du triomphe… » Et il conclut de la sorte : « Sois un saint et le Sacré Cœur hâtera ton bonheur. » Quelques heures plus tard, il apprend de la bouche du frère Georges que son oncle l’a quitté à Brindisi et qu’il rentre en France. Un supérieur qui abandonne son poste… — le lecteur n’a pas oublié par suite de quelles circonstances pour ainsi dire fatales, — est-ce que, du même coup, l’œuvre ne va pas crouler ? Le frère Verjus renouvelle son acte d’immolation complète : « S’il faut une victime, ô mon Dieu, me voici ! Faut-il du sang ? prenez le mien. Si notre chère Société doit payer le tribut avant d’entrer en Nouvelle-Guinée, oh ! prenez-moi, mon Dieu… Il vaut mieux que ce soit moi qu’un autre… Les autres convertiront et baptiseront les sauvages[4]. » Le 24 avril, c’est un prêtre, parti de Barcelone pour Port-Breton en qualité d’aumônier de la colonie, qui fait sa rentrée en France. Lui aussi apporte de mauvaises nouvelles. Rien ne trouble ni n’ébranle l’intrépide scolastique. Écoutons-le : « Pauvre prêtre, comme il a souffert ! Sa figure est pâle et amaigrie… Sa vue, loin de me décourager, m’a rempli d’un nouveau courage. Je cherche des souffrances pour expier mes fautes, sauver les âmes et réparer les outrages faits au Sacré Cœur. Mes chères Missions sont un bon moyen d’en avoir. On dit de tout côté : La position n’est pas tenable. La Nouvelle-Guinée n’est pas habitable. Le P. Durin revient. M. D*** revient. Qu’est-ce que cela prouve ? Rien. Le Sacré Cœur a ses vues. Tôt ou tard, elles se feront jour à travers tous ces événements. Mon Dieu, je ne puis croire que tout ce que vous m’inspirez au sujet de mes chères Missions, depuis que je sais penser et aimer, soit un pur effet de mon imagination exaltée. Vous avez vos desseins, mon Dieu ; je les sens, je les entrevois de temps à autre, et je veux les suivre, coûte que coûte, selon la sainte obéissance que je vous ai jurée[5]. » Le 1er mai, on reçoit une lettre du frère Mesmin Fromm. Les Pères sont toujours à Batavia, où ils attendent des ordres pour aller plus loin. Il paraît qu’autour d’eux on ne croit guère à la possibilité de la Mission. « Toujours le même refrain, écrit le frère Verjus. On ne sait pas encore ce que peut faire Notre-Dame du Sacré-Cœur, quand il s’agit de la gloire du Cœur de Jésus, recherchée, malgré tout, à travers les croix et les sacrifices. O mon Dieu, quand donc enverrez-vous à ces pauvres sauvages l’homme de votre Cœur ? Préparez-le, mon Dieu, et permettez que je sois son serviteur, que je le connaisse, que je le serve, que je l’aime et que je meure sous ses ordres[6] ! » Il est là-bas, ô cher et admirable enfant, l’homme du Cœur de Jésus, très humble, très doux, très fort. Vous l’avez entrevu au noviciat de Saint-Gérand ; vous le verrez de plus près, bientôt ; vous l’aimerez tous les jours davantage ; vous serez son serviteur et son fils bien-aimé. Hélas ! vous mourrez loin de lui ; mais, il me semble qu’éternellement, au milieu des tribus sauvages qu’auront baptisées vos mains entre-croisées, dans cette Nouvelle-Guinée agrandie qui est le ciel, éternellement vous reposerez sur son cœur.

Enfin, voici un peu de joie ! De la Propagande on a écrit, le lecteur ne l’a pas oublié, aux Missionnaires ballottés dans les vagues houleuses, de contourner l’Australie et d’attaquer leur Mission non plus par Manille, mais par Sydney, Brisbane et Cooktown. Le 6 juillet, arrive à Rome, de Sydney, un télégramme du P. Navarre : « Nous partons ! » — « Ils partent, écrit le frère Verjus, et je n’y suis pas ! Il est vrai que je ne le mérite point, mon Dieu ; mais ce n’est point pour mon mérite que je demande les Missions, c’est pour vous, mon Jésus ! Accompagnez nos Pères. Dirigez-les. Faites qu’ils demandent bientôt du secours, et que je sois prêt[7] ! » Nouveau télégramme à la fin de juillet, ainsi conçu : ce Voyage favorable. Arrivons à Cooktown. » Le P. Jouet réunit la petite communauté, et, après avoir donné lecture de la bonne nouvelle, il dit en substance : « C’est bien. Rendons grâce au Cœur du divin prêtre. Mais nos Pères ne sont pas immortels. Il faut prier pour que le Maître de la moisson envoie des moissonneurs. Puis, de la prière, passons à l’acte. Or, le frère Verjus, ayant demandé depuis longtemps (le Père aurait pu dire : depuis toujours) à se préparer aux Missions, nous lui en donnons l’autorisation officielle… »

Aussitôt, rayonnant et débordant, le Frère écrit : « O mon Dieu, vous m’avez donc enfin exaucé !… Quel bonheur de commencer officiellement ma préparation à mes chères Missions ! Oh ! oui, ce jour comptera dans ma vie. Je le veux noter dans mon livre de prières au nombre de ceux que je veux spécialement sanctifier par l’oraison et l’action de grâces. Merci, mon Jésus, merci de tout cœur[8] !

Le 1er janvier 1883, S. E. le cardinal Siméoni, préfet de la Propagande, est à la maison de la place Navone. Il est venu, au nom du Souverain Pontife, pour bénir la petite Société du Sacré-Cœur et plus particulièrement les Pères qui sont en Mission. En un clin d’œil, on a couvert les murs de grandes cartes océaniennes, dessinées par le frère Verjus. On a chanté dans toutes les langues, même en canaque. On a complimenté Son Eminence. Et voilà que le supérieur demande à faire à haute voix la lecture d’une lettre, qui, de Nouvelle-Bretagne, arrive à Rome par Issoudun. Aux premiers mots de la lettre : « Aimé soit partout le Sacré Cœur de Jésus ! Béridni (Blanche-Baie). Nous sommes enfin arrivés !… », un frémissement de joie indicible saisit tous les cœurs. Plus d’un a des larmes plein les yeux. Le cardinal n’est pas le moins ému : « Mes très chers enfants du Sacré-Cœur, dit-il, il y a bien longtemps que nous cherchions à reprendre les grandes et lointaines Missions de la Mélanésie et de la Micronésie, qui n’ont pas vu de Missionnaires catholiques depuis plus d’un quart de siècle ; et il nous a été bien agréable de voir Notre Très Saint Père le Pape les confier à la Société des Missionnaires du Sacré-Cœur dont nous connaissons le zèle pour la gloire de Dieu. Aussi, nous réjouissons-nous grandement aujourd’hui, avec vous, des premiers succès obtenus ; car c’en est un bien grand pour vos zélés confrères d’avoir pu aborder enfin dans la première île de leurs vicariats après tant de difficultés et tant d’épreuves. Nous avons la conviction qu’une grande moisson d’âmes vous attend là-bas ; et je suis sûr que le Souverain Pontife sera très touché de ces heureuses nouvelles, quand je pourrai les lui donner dans la prochaine audience. Sa Sainteté porte à ces Missions un intérêt tout spécial, et j’en suis d’autant plus heureux, que, depuis bien des années, j’ai l’habitude, tous les jours, dans mes prières du matin, de dire un Pater et un Ave, pour demander tout particulièrement à Notre-Seigneur d’envoyer des Missionnaires dans cette grande île de la Nouvelle-Guinée. Les protestants y sont déjà, eux les apôtres de l’erreur, et les Missionnaires catholiques n’y ont pas encore établi un centre d’évangélisation pour y faire connaître la vérité et prêcher l’amour de Jésus-Christ : et il y a dans cette seule île plus de cinq millions de sauvages !

« Mais, grâce à Dieu, il y aura maintenant parmi vous, nous l’espérons, des Missionnaires à qui il est réservé de planter la croix dans ces contrées idolâtres. Vous voyez, par la lecture de l’intéressante lettre du P. Navarre, que le Sacré Cœur a ouvert la Mission, que Notre-Dame du Sacré-Cœur protège ses enfants, et que le moment est venu de tout espérer.

« Quelles paroles pourrai-je maintenant vous dire, chers enfants, pour vous faire apprécier de plus en plus votre sainte et sublime vocation ? Je n’en trouve pas de meilleure à vous rappeler, dans une si belle circonstance, que celle de notre divin Maître à ses apôtres. Il leur disait, et il vous dit à vous-mêmes : « Non vos me elegistis, sed ego elegi vos, et posui vos, ut eatis, et fructum afferatis, et fructus vester maneat : Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais c’est moi qui vous ai choisis, et qui vous ai placés, afin que vous alliez, et que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure. »

Et le pieux cardinal, fortement et suavement, développe ce beau texte :

« C’est le bon Dieu, qui, sans aucun mérite de votre part, vous a appelés à la foi chrétienne, et de la foi à la vie religieuse et apostolique… C’est le Cœur de Jésus qui vous a voulus à lui…, et qui vous a fait entrer dans la Société de ses Missionnaires. Qu’il a été prodigue de grâces en vous amenant à Rome, dans cette ville où réside le successeur de Pierre, dans cette ville où vous trouvez tout ce qui fait l’apôtre et le Missionnaire ! Les ossements des martyrs ne vous prêchent-ils pas jusqu’à quel degré doit arriver votre dévouement ?

« Mais vous n’êtes pas ici pour y demeurer toujours : vous n’y êtes que pour recueillir abondamment la science et la piété. Et ces connaissances et ces vertus que vous acquerrez ne sont pas pour vous seuls ; souvenez-vous, chers enfants, que vous devez aller : Ut eatis. Des peuples nombreux vous attendent, auxquels vous serez envoyés, soit en Europe et dans les pays catholiques, soit dans les contrées étrangères et barbares. Il faut que vous soyez prêts à aller partout où l’obéissance vous appellera, à aller malgré tout, jusqu’au bout du monde ; et cela au prix de n’importe quel sacrifice, au prix même de votre sang et de votre vie.

« Et fructum afferatis : Et que vous portiez du fruit. » Le fruit, c’est le salut des âmes, c’est la conversion des infidèles, c’est l’extension du règne de Jésus-Christ. Répandre la lumière du saint Evangile, c’est devenir le coopérateur de Notre-Seigneur lui-même. Toutes les sciences ne vous seraient d’aucune utilité si vous ne vous en serviez pour faire connaître et aimer Jésus-Christ. Vos chers Pères, qui sont allés en Nouvelle-Bretagne, n’ont pas d’autre ambition que celle-là : ils veulent convertir des sauvages et en faire des enfants de Dieu et de l’Église.

« Et fructum vester maneat : Et que votre fruit soit durable. » Si vous devenez de saints Missionnaires, le Seigneur bénira vos œuvres de zèle en leur donnant la stabilité. Travaillez donc de plus en plus à la vertu solide, développez tous les germes d’humilité, d’obéissance, d’amour de Dieu, déposés dans vos âmes, et vous assurerez le succès à votre futur apostolat…

« Pour que chacun d’entre vous grandisse et persévère dans sa belle vocation, je vais tous vous bénir au nom de Notre Très Saint Père le Pape, qui vous aime tant. Que de fois il m’a parlé de vous ! Que de consolations il éprouve envoyant s’accroître tous les jours votre nombre, et en apprenant que vous êtes la joie de vos supérieurs[9] !…  »

Que sentait, que pensait, que disait le frère Verjus en entendant de telles paroles ? Demandons-le à son Journal : « Comme mon pauvre cœur palpitait ! Que de frémissements des pieds à la tête ! il est donc vrai que nos Pères sont arrivés, qu’ils ont été bien reçus et qu’ils ont commencé ! Quelles actions de grâces sont montées de mon cœur ! Les Pères veulent des aides. Ils préparent déjà une maison pour ceux qu’ils attendent. O mon Dieu, partira-t-on, cette fois encore, sans votre pauvre petit et indigne serviteur ? Que votre règne arrive ! N’importe comment. Pourvu qu’il arrive, je suis content. Que votre volonté soit faite et non pas la mienne ! » Quelques semaines plus tard, on apprend par les journaux qu’un navire hollandais s’étant hasardé sur les côtes de Nouvelle-Guinée, plusieurs matelots ont été massacrés et mangés. « Quel malheur, écrit le Frère, qu’il ne se soit pas trouvé là de Missionnaire. Son sang, du moins, aurait germé des chrétiens. Mon Dieu, j’irais dès maintenant, sans autre préparation qu’une visite au Très Saint Sacrement et à ma bonne Mère du Ciel. Vive Jésus ! Il y aura de l’ouvrage en Guinée. Demain, je communierai pour les bourreaux et pour les pauvres victimes[10]. »

II

Tout en se donnant à ce qu’il appelle « le noviciat des Missions », il se prépare aux ordres sacrés. Déjà il a reçu les ordres moindres à Saint-Jean de Latran ; les deux premiers le 5 février 1882, les deux autres, dans la même église, le 4 mars suivant. « Portier ! Me voici donc, de par Dieu, gardien des églises et de la sainte Église… Je les défendrai, s’il le faut, au péril de ma vie... Me voilà aussi, de par Dieu, lecteur du saint Evangile. J’ai grâce d’état pour comprendre et expliquer les divines lettres. Je veux m’y appliquer d’une façon spéciale... On devra lire désormais dans ma conduite le saint Évangile, comme mes Frères doivent lire en moi nos saintes Règles[11]. »

Le 25 août, il sera ordonné sous-diacre dans notre église par le cardinal Monaco. Le 16, sous la direction du R. P. Jouet, son supérieur, il est en retraite. Retraite brûlante. Approchons-nous du foyer quelques instants.

« Le seul attrait de mon âme, c’est Jésus, Jésus qui m’appelle à son Cœur. — Je lis avec bonheur la vie de Mlle Jaricot, fondatrice de l’Œuvre de la Propagation de la Foi. Oh ! comme j’ai bien vu que Dieu veut des instruments humbles, très humbles, pour ses grandes œuvres ! Sainte humilité, puissé-je vous mieux comprendre, vous aimer davantage et vous mettre en pratique plus sérieusement ! Je regarde, je ne sais pourquoi, tout ce que je lis dans cette vie comme une sorte de prédiction de ce qui m’arrivera en Nouvelle-Guinée. Mon Dieu, serai-je assez solide pour de pareilles épreuves ? Si je compte sur moi, certainement non ! Mais, ô Jésus ! tout en étant disposé « à payer de ma personne jusqu’au bout, je ne m’appuierai jamais que sur vous. — J’ai supplié le Cœur de Jésus de me procurer les humiliations nécessaires à ma formation.

— J’ai compris un peu mieux après la conférence mon beau titre de Missionnaire du Sacré-Cœur. Il signifie surtout Réparateur. Un Missionnaire du Sacré-Cœur doit dire tous les jours à Jésus : Bien des chrétiens vous méconnaissent ; bien des hommes ne soupçonnent même pas que vous les aimez. Bien des prêtres, bien des religieux, sont froids à votre égard. Mon Jésus, venez dans mon cœur, je vous aimerai pour tous. — Pour un sous-diacre, dit l’abbé Bonnet de Longchamp. c’est le Crucifix qui résume tout. Tant que j’aurai au cœur l’espoir de vous plaire, ô mon Dieu ! et avec moi l’Eucharistie, et avec moi le Crucifix, envoyez-moi où vous voudrez, je serai bien partout ; toujours je serai assez riche. — Le Cœur de Jésus, centre de tout. Quelle sublime contemplation ! Le plus loin possible, hors de la portée des rayons du Sacré Cœur, les damnés. Ma place était parmi eux ; mais Jésus ne l’a pas permis. Après les réprouvés, viennent tant de millions d’infidèles qui ne savent pas que Jésus les aime. J’aurais mérité d’être parmi eux. Jésus ne l’a pas permis. Il m’a dit : Viens à mon Cœur ! Je t’enverrai à ces brebis errantes. Viennent ensuite les fidèles. Que de froideurs et que d’offenses ! Mon Dieu, qu’ils sont rares ceux qui vous comprennent et qui vous aiment ! Voici les prêtres. Le Cœur de Jésus daigne m’appeler à ce rang si élevé. Quelle grâce ! Voici les religieux. Je le suis malgré mon indignité. Je vois autour du divin Cœur une place réservée à notre chère Société. O mon Dieu, qu’elle en soit digne ! Faites que jamais je ne la déshonore. Faites que mon sang versé pour elle soit la preuve de mon amour !…

— Et, dans mes élans, de tout cœur, j’ai demandé des martyrs pour notre petite Société. Je la voudrais voir tout entière, durant l’éternité, tout près du Sacré Cœur de Jésus. — Comme Missionnaires, nous sommes nés de l’Immaculée-Conception. De là l’obligation rigoureuse de conserver bien blanche l’aube de mon sous-diaconat. Le but de notre Société est de combattre le sensualisme et l’orgueil. Sensualisme et orgueil, c’est tout un. Le moyen de combattre, pureté et humilité. C’est tout un aussi… Nécessité de tout sacrifier au Sacré Cœur, jusqu’aux désirs formés pour sa gloire. Il n’est pas d’un bon religieux, disait le Père supérieur, de déterminer lui-même, d’une manière ou d’une autre, comment il veut servir le Sacré Cœur dans la Société. Il faut tout sacrifier… Merci, mon Dieu ! Je comprends… Vous savez si le désir de me consacrer aux Missions est ancré profondément dans mon cœur. Vous seul savez le pourquoi de cette conviction si intime et si énergique qui surnage à tout dans ma vie.

Vous savez ce que je voudrais faire et combien je paraîtrais extravagant aux hommes si je leur disais sur ce point tout ce que j’ai au cœur… Eh bien, mon Jésus, si j’ai trop manifesté ce désir, si j’y ai mis de l’humain, oh ! pardonnez-moi ! Si je dois par là contredire le moindre de vos désirs, s’il y a pour moi plus de perfection à ne rien désirer de ce que vous me faites aimer passionnément, si je dois être, en m’abstenant, un peu plus victime de votre divin Cœur, un peu plus Missionnaire, si je dois vous procurer un degré de gloire de plus en renonçant à tout, dès cet instant, ô mon Jésus ! je me jette à vos pieds, nu, pauvre, ignorant, sans préparation, sans lumière, sans rien,… résigné à tout ce que vous voudrez. Cela me coûte. Je sens mille objections qui surgissent. Je sens ma nature qui se révolte ; mais je tiendrai bon, et, je le répète, je renonce à tout ; je sacrifie tout. Je ne veux plus rien que votre très sainte volonté. Donnez-moi la force de ne pas vous trahir, et faites de moi tout ce que vous voudrez, excepté un homme qui ne puisse vous aimer de tout son cœur. — Il m’a semblé que l’enfer, pour le Missionnaire du Sacré-Cœur, serait de ne pouvoir plus dire notre chère et belle devise : « Aimé soit partout le Sacré Cœur de Jésus ! — Au ciel on se reposera ; mais, jusque-là, point de trêve ! »

Après l’ordination, l’heureux Frère reprend la plume et il écrit : « C’est le grand jour de mes noces spirituelles avec la sainte Église… La grâce me travaille comme jamais. Je tâche de ne pas lui mettre d’obstacle ; c’est ma seule occupation. Je suis par office le serviteur des serviteurs de Dieu. La Société m’a promis la « table commune » ; comme pour me dire : Ne le préoccupe pas de toi. Notre-Dame m’a donné mon aube, pour me dire : Sois pur. Mon bon ange m’a donné mon cordon pour me dire : Sois mortifié. Et moi, j’ai tout donné au Sacré Cœur par Notre-Dame. O sainte journée, non, jamais je ne vous oublierai. Vous resterez gravée dans ma mémoire comme le beau jour de ma première communion, en attendant le jour plus beau encore de la première messe et le triomphe final, le beau jour du martyre ! » Ainsi parlait, ainsi priait, ainsi chantait cette âme mélodieuse. Elle attendra plus d’un an la prêtrise. Jusque-là recueillons quelques menus faits de cette vie si précieuse et que nous avons dû négliger pour ne point rompre la trame du récit.

III

Le 2 février 1882, c’est la coutume à Rome que tous les procureurs généraux portent un cierge au Souverain Pontife, comme pour reconnaître que tout flambeau s’allume au foyer du Pontificat romain, qui est vraiment la lumière illuminant le monde. Le frère Verjus et le frère Neenan accompagnaient le R. P. Jouet. « Avec quelle émotion, dit-il, je montais les escaliers du Vatican ! J’allais voir pour la première fois celui qui tient ici-bas la place de Dieu… Il m’a semblé que Léon XIII était transparent. Je voyais en lui mon Jésus. Quels instants j’ai passés là ! Par deux fois j’ai eu le bonheur de baiser le pied du Pape et sa main. J’ai tenu sa main dans la mienne ! Mon intention était de demander une bénédiction pour ma mère et de faire bénir des chapelets. J’étais trop ému. J’étais extasié. » Il reverra le Pape, notamment le 13 février 1883, en compagnie de Mgr l’évoque de Tarentaise. « Ce sont des scolastiques du Sacré-Cœur, Très Saint Père, dit le prélat, et de futurs Missionnaires en Océanie. » A ces mots, Léon XIII s’anime et parle avec enthousiasme des Missions, du zèle des Missionnaires et de la nécessité de se préparer à un si bel apostolat. « Très Saint Père, dit à son tour le frère Verjus, bénissez nos Pères et nos Frères d’Océanie. — Oui, mon cher enfant, dites-leur bien que je les bénis de tout mon cœur. La Guinée ! La Guinée ! » — « Nous sortîmes du Vatican, écrit le bon Frère, le cœur plein de reconnaissance, profondément émus, et plus que jamais dévoués jusqu’à la mort au Saint-Siège et aux Missions. »

Une autre de ses joies fut une excursion à Ostie. Ce qui l’attirait, c’était moins la vaste et morne solitude où roulent silencieusement, entre de maigres broussailles, les eaux jaunâtres du Tibre et que traversent çà et là destroupeaux de bœufs et de chevaux conduits par des pâtres farouches ; c’était moins le souvenir à demi effacé de la grande ville, autrefois l’une des plus affairées du monde et des plus tumultueuses, et muette aujourd’hui et morte, que le souvenir toujours vivant de saint Augustin et de sa mère. Assis à la fenêtre d’une hôtellerie ; la main dans la main, les yeux au ciel et plus encore le cœur ; montant de la triste région des larmes, par delà les mers, les montagnes et les soleils, au pays de l’éternelle beauté, ils furent ravis. Là, sans doute, au seuil de l’église ou parmi les ruines, on relut la page d’Augustin. Elle est sublime. Pas n’était besoin du pinceau d’Ary Scheffer pour représenter cette scène idéale ; la plume du « fils de tant de larmes » y suffisait pour tous les siècles. Aussi bien la page des Confessions, seule de tout le passé, a survécu, dans son immortelle et radieuse jeunesse. « Vive Jésus ! écrivit le lendemain[12] le frère Verjus. Bonne journée. Mon âme s’est dilatée. J’ai parlé de mes chères Missions à cœur joie. »

Un jour, dans la crypte de Saint-Pierre, il assiste à la messe d’un Père du Saint-Esprit, Missionnaire à Zanzibar. Le Père était accompagné d’un naturel devenu prêtre. Il est heureux de leur baiser la main. « Quand donc aurons-nous, disait-il, un clergé indigène ? Mon Dieu, préparez-le dès maintenant[13]. » Ces rencontres de Missionnaires le transportaient. « Nous avions aujourd’hui la visite de Mgr Guillemin, évêque de Canton. C’est bien là le saint et zélé Missionnaire que je rêve, dévoué jusqu’à se dépouiller de tout pour son troupeau, ne désirant que la gloire de Dieu et l’oubli de soi-même[14]. » Quelques jours plus tard, c’était le tour du cardinal Lavigerie.

Le 27 juin, Léon XIII présidait au Vatican, dans la salle Ducale, une soutenance de thèse sur la différence réelle entre l’essence et l’existence. Les cardinaux et les évêques étaient en si grand nombre qu’on ne voyait pour ainsi dire que des calottes rouges et des calottes violettes, ce qui arracha à un séminariste romain cette exclamation : « O quanti zucchetti ! Oh ! que de calottes ! » Il y eut cette particularité qu’un scolastique du Sacré-Cœur avait pour contradicteur un nègre de la Propagande. Le cardinal Lavigerie était dans le cortège du Pape. Le scolastique de la place Navone argumentait, paraît-il, au gré du grand Africain. Il apprend le lieu d’origine de l’argumentateur, et, la soutenance à peine finie, il se lève, fend la foule, va droit au jeune homme, les mains ouvertes, et lui crie : « Bravo, Marseillais ! » Deux jours après, l’archevêque d’Alger visitait notre scolasticat.

Au compliment qui lui fut adressé sur son élévation au cardinalat, l’Évêque-Missionnaire répondit : « Le lendemain du jour où j’appris que Léon XIII me réservait les honneurs de la pourpre, je méditai sur cette parole de nos saints Livres : Potentes potenter tormenta patientur.[15] Puis il exhorte les scolastiques au courage. « Je ne vous souhaite pas, leur dit-il, le martyre, mais le courage des martyrs. » — « Comme mon cœur palpitait ! raconte le frère Verjus. Je voyais dans ces paroles l’invitation du Sacré Cœur. O mon Dieu, jusqu'à quand me torturerez-vous de la sorte ? Vous m’appelez. J’entends votre appel. Je voudrais y répondre. Tout s’anime, tout se soulève en moi avec enthousiasme pour vous dire : Me voici ! Et vous, mon Dieu, vous me faites attendre !… Son Éminence nous parla ensuite de ses chers martyrs. Sur les lettres d’obédience d’un de ses fils, Mgr Lavigerie avait écrit : Ad martyrium ! et, lui tendant la feuille : « Y consentez-vous ? « — C’est pour cela que je suis venu, Monseigneur… » O mon Dieu, vous savez que je n’ai pas non plus d’autre but. Lorsque j’ai promis, le jour de mes vœux, de vous suivre, ç’a été pour souffrir, pour être votre victime, ô mon Jésus, — pour le martyre[16]. »

Après le cardinal Lavigerie, ce fut Mgr Dufougeray, le directeur général de l’Œuvre de la Sainte-Enfance. « Aujourd’hui, 6 juillet, nouvelles joies pour mon cœur qui ne jouit plus que de ce qui se rapporte aux Missions. Tout le reste m’est insipide. Grandeurs, succès, honneurs, affections de la terre, que tout cela n’est rien près d’une âme à sauver ! Dire la joie que j’ai éprouvée en entendant parler Mgr Dufougeray, est impossible. Cet apôtre vénéré nous a parlé de son œuvre ; mais ce qui m’a fait surtout beaucoup de bien, c’est l’exhortation de la fin : « Voulez-vous faire du bien comme Missionnaires ? prenez ces deux moyens : la mortification qui fait observer la règle avec fermeté et rompt la volonté à chaque instant ; la charité qui attire les cœurs et convertit plus que la discussion et tous les autres moyens. La charité, voilà notre moteur tout-puissant. Nous seuls le possédons. C’est pourquoi nous sommes toujours vainqueurs. » Je n’oublierai pas cette délicieuse conférence. Il me semble avoir compris ce que c’est qu’un vrai Missionnaire : C’est un homme qui se renonce lui-même et qui sauve les âmes à force de les aimer[17]… » — « O mon Dieu, écrira, dans une autre circonstance, le fervent scolastique, des âmes ! encore des âmes, toujours des âmes ! Mais je ne suis pas prêt encore. Le bon Jésus est père pour moi. Il est mère. Il ne se décourage pas, malgré mon indignité. En vérité, je me fais peur. Que je suis peu religieux ! Sottise, ignorance, tiédeur, malice, inconséquence perpétuelle. Pas d’esprit. Un peu de cœur, mais juste pour m’inquiéter. Qu’est-ce que je deviendrai ? O mon Dieu, vous me connaissez, et cependant vous daignez m’appeler ! Je répondrai, mon Dieu, malgré tout. J’agirai, je me dépenserai, je vous aimerai de tout mon pauvre cœur.

Personne ne pourra m’empêcher de me dévouer, de souffrir et d’aimer. Et vous ferez le reste ! O mon Dieu, des âmes, encore des âmes et toujours des âmes[18] ! »

La pensée des Missions le hante tellement qu’il en rêve. Le 15 avril 1883, il a vu à Rome les pèlerins de Terre Sainte. Missionnaire aux pays sauvages, ne sera-t-il pas pèlerin perpétuel ? « Je ne veux plus, dit-il, me donner de repos ici-bas. Au ciel on se reposera. » La nuit suivante, il rêve qu’il part, à pied. L’Enfant Jésus vient à sa rencontre et lui dit : « Je m’en vais avec toi. » Et il prend dans ses bras le divin Enfant. « Il était, dit-il, très léger. À ce moment je pensais que j’avais le même bonheur que saint Stanislas. Ce n’était qu’un rêve. O bon Jésus, ce matin, à la communion, c’était la réalité. Comme je vous ai caressé[19] ! »

En tête de son Journal, au 30 juillet, le frère Verjus écrit : « Grand jour ! » Mgr Salvado, fondateur de la Nouvelle-Nursie, était à la maison. « Il y avait si longtemps que je lisais et relisais, en y trouvant un sel nouveau, les écrits, les lettres et les hauts faits de ce, grand Missionnaire. J’avais conçu un désir très ardent de le voir et de lui parler… J’ai eu ce bonheur. J’ai vu cet homme incomparable qui a vaincu autant de difficultés qu’il a passé d’heures en Mission et qui s’est si bien vaincu lui-même… Oh ! combien je désire imiter ce saint homme ! Sa parole est grave. Il rit peu. Les épreuves l’ont détaché de la terre. Il semble perdu en Dieu et ne penser qu’à sa chère Nouvelle-Nursie. Un sourire mélancolique où se peint cependant la douce joie de celui qui a fait le bien, effleure ses lèvres lorsqu’on lui parle de sa Mission, lorsqu’on lui cite des noms qui lui sont chers. Ses conseils sont pleins d’une sagesse admirable. « Ah ! s’écria-t-il, « lorsque je fis allusion à son aventure au milieu du marais où il perdit ses bagages, c’est beau à lire ; mais « quand on y est !… » Mgr Salvado revint à la maison et il fit aux scolastiques une conférence de trois heures sur sa Mission. On devine si le frère Verjus le harcelait de questions et s’il écoutait !

Voici, entre plusieurs autres, un curieux épisode de la vie du moine-missionnaire, tel que nous l’a raconté un auditeur de la place Navone. Avant de revêtir le froc de Saint-Benoît, Mgr Salvado, de nationalité espagnole, homme du monde, avait cultivé la musique avec grand succès. Plus d’un salon avait applaudi son merveilleux talent de pianiste et de chanteur. Peu après la fondation de la Nouvelle-Nursie, un incendie éclata et détruisit la presque totalité des maisons et des fermes récemment construites. Le P. Salvado, réduit au plus complet dénûment, se désolait, ne sachant à qui avoir recours pour réparer ce désastre, lorsqu’un de ses frères, compagnon de ses labeurs et confident de sa tristesse, lui dit, sous le coup d’une inspiration soudaine : « Père, cessez de vous lamenter. Vous avez dans vos dix doigts et dans votre gorge de quoi rebâtir trois ou quatre Nouvelles-Nursies. — Comment cela ? — Eh ! n’êtes-vous pas un pianiste hors ligne ? N’avez-vous pas une voix admirable ? Allez à Perth, la grande ville australienne la plus proche de notre colonie ; annoncez une séance musicale dont vous ferez les frais à vous tout seul. La nouveauté du spectacle ne manquera pas d’attirer beaucoup de monde, et vous nous reviendrez, les mains pleines d’or. » Le P. Salvado, d’ailleurs disposé à tout pour le bien de sa Mission, trouva l’idée excellente. Il alla à Perth, et, durant trois heures, seul au piano, tantôt jouant, tantôt chantant, il sut tenir sous le charme l’aristocratie de la ville qui, comme le lui avait prédit son confrère, s’était rendue presque tout entière à cette représentation point banale d’un moine bénédictin exécutant sur le piano et chantant tour à tour avec une virtuosité rare des fragments d’opéras célèbres. Quand il eut fini, l’apôtre-artiste fit lui-même la quête et recueillit cinquante mille francs. C’est ainsi que la musique, comme il se plut à le redire depuis bien souvent, sauva sa Mission.

Au cours de son entretien avec les scolastiques, comme il parlait de l’énergie nécessaire au Missionnaire, l’Évêque dit tout à coup avec un feu brûlant : « Io, io, e sempre io ! Aventi sempre !… Io, io… Poi, quando non posso piu (et il regarda le ciel), tocca Te ! Moi d’abord, moi, et toujours moi ! En avant toujours ! Moi, moi ! Puis, quand je n’en peux plus, à vous, mon Dieu ! C’est votre affaire. »

Citons enfin parmi les visites à notre procure romaine et dont le frère Verjus a gardé un long souvenir, celle de Mgr Bécel, évêque de Vannes, et surtout celle de M. Gabriel de Belcastel, sénateur de la Haute-Garonne. « Mgr de Vannes m’a embrassé avec effusion, à la nouvelle que j’étais destiné aux Missions. — M. de Belcatel nous a parlé des âmes et de l’amour de Jésus-Christ comme un saint Missionnaire[20]. » Ce sera une bonne fortune pour le Lecteur que d’apprendre de l’illustre orateur lui-même les impressions qu’il éprouva au milieu de cette vive jeunesse. Or, à peine de retour en France, il écrivit au T. R. P. Chevalier :

« J’ai hâte de vous dire, en revenant d’Italie, quelle respectueuse émotion m’a saisi, en voyant, si belle et si digne de ses fondateurs, dans votre grande maison de Rome, la jeune pépinière des futurs Missionnaires du Sacré-Cœur. Votre zélé collaborateur, le P. Jouët, que le Souverain Pontife, je le sais, honore d’une estime toute particulière, m’a donné la joie de passer, sous ce toit béni, une soirée de famille.

« Cette famille, bien française par l’inspiration, la direction et l’amour profond de la France, compte dans son sein de nobles rejetons de diverses patries : dans leur main généreuse, j’ai pu serrer la main de l’Alsace, dont l’âme nous appartient toujours ; de l’Irlande, invincible dans sa foi ; de la catholique Espagne ; de la Hollande, si hospitalière aux religieux proscrits ; de la province du Rhin, si fidèle à l’Église, et d’autres encore.

« Vos cinquante élèves, sous la diversité de leurs visages, de leurs langues natales, de leurs études, et même de leurs métiers, — puisque, dans le but de fonder aux antipodes une colonie se suffisant à elle-même et de répandre chez les sauvages les arts au service de la foi, il est parmi eux des apprentis tailleurs, menuisiers, etc., — vos cinquante élèves, dis-je, sont une petite phalange sacrée, pleine de charme, de sève, de vie et d’avenir. Son cœur bat à l’unisson du Cœur du divin Maître, et, sa chaleur, rayonnant autour d’elle, fait du bien à tous ceux qui l’approchent.

« La vieille église espagnole Saint-Jacques, achetée par une souscription, dont le Souverain Pontife lui-même tient généreusement la tête, est devenue sous cet auguste patronage, le siège à Rome de la dévotion si touchante dont vous êtes le fondateur et propagateur choisi par la Providence.

« Après avoir eu la douleur de voir fermer votre merveilleux sanctuaire d’Issoudun, c’est pour vous une consolation divine, d’avoir, au centre même de la catholicité, un foyer nouveau d’où rayonne sur le monde la grande dévotion à Notre-Dame du Sacré-Cœur. Cette dévotion peut bien, de même que Jésus et Marie en leur vie terrestre, avoir ses épreuves ; mais qui pourrait tenir au tombeau ce que Dieu anime de sa vie ? Et d’autre part, comment toute âme qui aime Dieu ne serait-elle pas saisie par la grandeur et la sainteté de la dévotion que vous prêchez ? Notre-Dame, unie au Sacré Cœur ! Ce qu’il y a de plus doux dans l’espérance, et ce qu’il y a de plus profond dans l’amour !…

« Ne serait-ce pas cette dévotion des causes désespérées qui est celle réservée par Dieu aux suprêmes épreuves de l’humanité ? On la dirait née, comme par une sorte de prophétie, au dernier acte du Calvaire. Jésus-Christ venait d’expirer sur la croix. La très sainte Vierge était debout au pied de ce trône sanglant. Un soldat, d’un coup sacrilège, perce le flanc de son bien-aimé et adoré Fils. Ce fut le dernier glaive qui perça aussi le cœur de la Mère de douleur. Souvent, dans le cours de la sainte enfance de Jésus, Marie avait senti le Cœur de son Fils battre contre le sien ; et sa chaleur divine l’avait pénétrée d’une inexprimable tendresse pour l’humanité dont elle devait être la Mère. Mais c’est au pied de la croix qu’elle a reçu, de la parole du Rédempteur, la consécration solennelle de sa sublime maternité ; et la blessure du Cœur divin, s’ouvrant sous son regard, en fut comme le sceau sanglant.

« Heureux êtes-vous, disais-je à ces jeunes prétendants du sacerdoce et du martyre, heureux êtes-vous de recevoir, sous de tels auspices et un tel patronage, la sève et la couronne apostoliques ! Et comme ils vous préparent à cette glorieuse conquête des âmes à laquelle la Providence vous destine !

« Deux de vos compagnons déjà sont morts, consumés en quelque sorte par le martyre de désir[21]. Quel gage pour vous-mêmes d’un apostolat généreux et fécond !

« Heureux êtes-vous donc, dans ces temps douloureux où tant d’âmes baptisées apostasient, d’être choisis de Dieu pour aller porter aux régions les plus déshéritées le baptême avec l’Évangile, et donner à Notre-Seigneur Jésus-Christ des âmes remplaçant celles qu’il a perdues ! Conquérir des âmes au divin Maître, préparer, au prix de la vie peut-être, l’avènement du règne de Jésus-Christ, c’est là l’idéal de la foi et de la gloire chrétiennes. Et cette grande œuvre en porte une autre avec elle. Par cette évangélisation nouvelle et lointaine, vous rachetez les fautes commises dans la vieille Europe par la Fille aînée de l’Église. Chaque âme que vous gagnerez en Océanie sera un gage de rédemption pour la grande et malheureuse nation que l’Esprit du mal tente si violemment ; car c’est grâce à l’apostolat français que la France gardera la foi catholique. Soyez-en bénie mille fois, jeunesse avide de fatigues et de sacrifices ! Que Dieu soit toujours avec vous, comme il l’est aujourd’hui, comme il fut avec ces glorieux martyrs dont les ossements sont là, devant vous, frémissant tous les jours sous l’ardeur de vos embrassements, et sous le sang éternellement fécond de Jésus-Christ !…

« Nous étions, en effet, tandis que j’adressais la parole à ces chers jeunes gens, devant un autel recouvrant des reliques des saints qui fondèrent le christianisme à Rome ; et tous nous nous sentions pénétrés de cette pure et chaude atmosphère qui enveloppe les cendres des martyrs [22]… »

Est-ce que le frère Verjus n’avait pas raison d’écrire : « M. de Belcastel parle comme un orateur, et surtout comme un saint » ?

III

Ordonné sous-diacre, le 25 août 1882, il reçut le diaconat, à Saint-Jean-de-Latran, le 19 mai 1883. Le 9 mai, il avait passé tout à la fois l’examen du diaconat et l’examen de la prêtrise, à l’« entière satisfaction des examinateurs ». « N’est-ce pas là, disait-il, un miracle de la grâce du bon Jésus ? » En cette circonstance, comme en beaucoup d’autres de sa vie, il avait fait des promesses aux âmes du Purgatoire ; il les tiendra. Le 10, il est en retraite. « Je suis de Dieu qui m’a créé pour faire de moi un saint diacre. Je suis à Dieu qui veut faire de moi un saint Missionnaire. Les trois grands diacres sont des martyrs. La vertu du diacre, c’est la charité. Il faut que je meure à moi-même avant de donner mon sang pour Jésus. Que si jamais je devais être un mauvais diacre, si jamais, o mon bien-aimé Jésus, je devais vous offenser, même véniellement, de propos délibéré, faites qu’au jour de l’ordination, quand je serai prosterné, je ne me relève pas. Faites-moi mourir au pied de voire autel. Si, au contraire, je dois être votre instrument pour le salut de mes chers sauvages, si je dois vous faire aimer, si je dois être un jour votre martyr, oh ! que je me relève, changé, transformé, converti, ne pensant plus qu’à votre gloire et aux moyens de la procurer par l’anéantissement de tout moi-même !… » Au cours de sa retraite, dans les moments libres, il lit la Vie de saint François Xavier. Elle le remue « profondément ». Elle lui fait du bien, « un bien immense ». Une fois diacre, il pourra souhaiter Dieu à ses frères : « Que le Seigneur soit avec vous ! » Il pourra aussi leur prêcher Dieu. Quel honneur et quelle joie ! En retour, le diacre doit être dans la disposition de donner sa vie pour Dieu. Oh ! que le Seigneur est bon, puisqu’en faisant du martyre une sorte d’obligation au diacre, il répond au plus intime, au plus ardent, au plus persévérant désir du cher retraitant !

Ces aspirations vers une fin sanglante ne seraient qu’un rêve de l’imagination, un rêve dangereux, si l’aspirant-martyr ne pratiquait les vertus de l’heure présente. Or, elles se peuvent ramener toutes à l’humilité. C’est donc l’humilité qui sera le fruit de cette retraite. « J’ai vu tomber, écrit le frère Verjus, les cèdres du Liban. J’ai vu disparaître de notre chère petite Société des hommes que j’estimais à cause de leur science et de leur vertu. Il faut donc, si je veux persévérer dans ma vocation sublime, que je m’attache sérieusement à la vertu d’humilité. À quoi me serviront mes études, mes travaux ? Le martyre même, à quoi me servira-t-il, si je ne suis humble de cœur ? » Il renouvela toutes ces résolutions et prières durant la prostration. Et maintenant, vive Jésus ! Le voilà diacre. Quand sera-t-il prêtre ?

Au matin du 17 octobre, en la fête de la bienheureuse Marguerite-Marie, il écrit : « Joies inexprimables ! Le bon Jésus seul qui les envoie peut les comprendre ! Aujourd’hui, le R. P. Jouet, au nom du T. R. Père supérieur général et de toute notre chère petite Société, m’a appelé au sacerdoce !… Malgré mon indignité notoire, me voici donc au terme de mes vœux les plus ardents !… Et tout cela, en vue de mes chères Missions ! Je ne sais plus que dire : Mon Dieu ! Mon Dieu ! » C’est là ce qu’il écrit dans son Journal sous le coup de la première émotion. Un mois plus tard, dans une lettre à son ami le plus intime, il donnera de familiers et charmants détails :

« Figurez-vous, mon bien cher Père, que, le 9 octobre dernier, toute la communauté se mit en retraite, excepté votre serviteur. Mon étonnement ne fut pas petit… Et, tout aussitôt, dans ma tête, je me mis à forger mille hypothèses ; mais, je suis mauvais forgeron, car la seule hypothèse que je ne forgeai pas était la seule vraie.

« Le 17 au matin, jour de la fête de notre chère Bienheureuse, pendant que j’étais à la cuisine à faire des brioches (vous saurez qu’en ma qualité de recteur des Frères laïques, je suis un peu professeur de cuisine), on me vint quérir au nom du R.Père supérieur. Je m’empresse, tout enfariné.

« C’était la grande nouvelle : « Mon cher enfant, me dit le R. P. Jouet, il faut vous préparer à être prêtre sous peu. »

« Cette parole me fit l’effet du glaive dont parle saint Paul : Pertingens usque ad divisionem anîmæ[23]. Elle marqua un point dans ma vie après lequel je soupirais, vous savez comment et depuis quand !

« Après l’avoir entendue, il me sembla que j’étais dans un monde nouveau et que tout mon passé était bien loin derrière moi. Mon premier mouvement fut d’aller remercier Notre-Seigneur et Notre-Dame du Sacré-Cœur. Cette grâce que j’avais attendue depuis si longtemps et, je l’avoue même, avec une sorte d’impatience, il me semblait qu’elle était arrivée trop tôt… Je retournai à la cuisine. Je fus tout étonné de retrouver mes brioches en place. C’était bien de brioches qu’alors il s’agissait !… On s’y remit pourtant, vous pensez avec quelle joie ! Il me semblait être plus près du bon Dieu que jamais. Je pensais à la sainte messe, à l’union intime du prêtre avec Jésus, et j’étais tout hors de moi ! Enfin, pour le moment, il s’agissait de fêter nos nouveaux profès…

« Son Éminence le Cardinal-Vicaire et Sa Sainteté elle-même contribuèrent à rendre cette fête des plus touchantes. Ce fut réellement une journée d’or.

« Mais, voici que commencent les difficultés. Il s’agit d’abord de fixer le jour de l’ordination. On confie l’affaire à la Providence, et le premier novembre est le jour déterminé. Quinze jours donc devant soi pour obtenir quatre dispenses et faire dix bons jours de retraite. Enfin, malgré les sages lenteurs de Rome, le R. P. Jouet mena tout à bonne fin. Il ne s’agissait donc plus que de la retraite. Je la désirais beaucoup. C’est vous dire qu’elle fut bonne. C’est certainement la meilleure retraite de ma vie… Les jours s’écoulèrent tantôt rapides, tantôt longs, selon que, suivant l’expression de sainte Thérèse, il me fallait tirer l’eau de la grâce à tour de bras ou que le Ciel arrosait lui-même le jardin de mon âme[24]. Que d’actions de grâces je dois au Sacré Cœur pour cette retraite ! »

Excellente retraite, en effet, et dont le Journal nous apporte des échos vibrants. Plus de raisonnements. Des élans, des soupirs, des coups d’aile, des feux et des flammes. « Être prêtre, c’est être Jésus. — Le bon Jésus (après ma confession générale) a signé la paix avec son pauvre serviteur qui a promis de ne plus vivre que d’amour. — Je me sens tout à l’aise avec le bon maître. Je voudrais lui parler continuellement. Je me sens de plus en plus attiré à l’esprit de recueillement, d’oraison, à la vie de foi. — Pour être bon prêtre, il ne faudrait vivre que pour dire la messe. » Pendant sa retraite, le Frère entend le supérieur demander à un évêque en visite à la maison[25] une bénédiction spéciale « pour un pauvre enfant qui va être prêtre et qui, sitôt après, doit partir pour les Missions lointaines ». « C’est alors, écrit-il, que j’éprouvai une émotion dont le souvenir restera toute ma vie gravé dans ma mémoire… Je vis, d’un coup d’œil, tous mes vœux exaucés ensemble. Je vis la bonté, la providence admirable du Cœur de Jésus. En un mot, j’étais en Paradis ! » Le frère remonta dans sa petite « chambre des Missions » et les larmes coulèrent à flots. « Je me mis à pleurer comme un enfant. C’était trop. Mon Dieu ! Bonne Mère ! Oh ! que je ne vous trahisse pas !… Mon cœur bouillonnait. Je me sentis comme transporté dans un nouvel horizon. O mon Dieu, je suis donc exaucé. Je ne vous demanderai plus rien que le martyre, désormais. Je n’importunerai plus vos oreilles par ma prière perpétuelle : La prêtrise et les Missions ! car je serai prêtre : on s’en apercevra en Purgatoire ; et je serai Missionnaire : le diable en aura des nouvelles en Mélanésie. Vive Jésus ! Lui seul est bon. Vive Marie ! » Dans ses entretiens avec le Père supérieur, le retraitant médite quelques-unes des paroles du Pontifical, celles-ci par exemple : « Accedant qui ordinandi sunt : Qu’ils s’approchent, ceux qui doivent être ordonnés ! » Paroles bénies, depuis si longtemps attendues, elles vont retentir. Accedant ! Et qui donc ose m’appeler à ce ministère terrible ? C’est Jésus ; c’est le Cœur compatissant de Jésus. C’est Marie qui, depuis douze ans, me poursuit de ses grâces. C’est la Société des Missionnaires du Sacré-Cœur ! Oh ! que j’aime cette pensée. C’est notre chère petite Société qui m’appelle. C’est aussi la Nouvelle-Guinée qui m’appelle. O mon Dieu, c’est assez ! c’est assez !

Ma joie est ineffable. Cette retraite sera pour moi la retraite des retraites, la retraite de l’amour. » Nous savons, par une note de son Journal, qu’il a écrit presque en entier toutes les méditations de cette « retraite de l’amour ». Malheureusement, ce manuscrit, comme beaucoup d’autres, n’est pas entre nos mains. Où est-il ? Encore une citation : « Je commence à comprendre (il est temps !) que Jésus-Christ Notre-Seigneur est le centre de tout, que le prêtre est son lieutenant sur terre, qu’il doit surtout prier pour ceux qui ne prient pas… O mon Dieu, faites-moi comprendre ce que c’est qu’un prêtre. J’aurai beau lire et méditer ; si vous ne parlez vous-même, temps et peine perdus. O Jésus, grand prêtre, autel, victime ! Dites-moi ce que vous êtes. Dites-moi ce que je serai par votre grâce dans un jour… La crainte envahit mon cœur ce soir. Si j’allais devenir un mauvais prêtre, ou seulement un prêtre médiocre ! Oh ! non, mon Dieu ; plutôt mourir ! »

Le lendemain, 1er novembre, il fut ordonné dans la chapelle du Vicariat général. Le soir, il écrivait :

« 1er novembre 1883 !

« A Domino factum est istud et est mirabile in oculis nostris ! — De stercore erigens pauperem ! — Fecit milii magna qui potens est ! — O Domine, quia ego servus tuus ! — Da, Domine, quod jube et jube quod vis ! — Fac ut istud portare sic valeam quod consequar tuam gratiam[26] ! »

« Mon Dieu, voyez ce que vous avez fait ! Mon cœur tourbillonne en ce moment. Je ne puis rien écrire. Demain, je serai plus calme. Ecce ego, Domine, ut faciam voluntatem tuam.

« Ce sont les premières lignes écrites par mes doigts consacrés. »

Le 18 novembre, dans cette lettre à un ami, à laquelle nous avons déjà fait de larges emprunts, il épanchait ainsi son âme :

« Enfin le 1er novembre arriva. Vous souriez à l’idée d’une ordination le jour de la Toussaint. C’est singulier, en effet ; mais ici, à Rome, rien ne nous surprend.

« Comment vous décrire, bien cher Père, les dernières paroles de préparation ! Cette dernière nuit passée sans pouvoir dormir ! cette aurore impatiemment attendue !… Le R. Père supérieur, les Pères, les Frères, voulurent assister à l’ordination.

« Vous savez le reste, et vous savez que ce reste ne peut se dire.

« Je ne pouvais plus réfléchir ni penser. Je me sentais attiré si fortement à Notre-Seigneur ! L’union intime qui doit exister entre le Prêtre et Jésus Notre-Seigneur me frappait surtout. Je ne pouvais concevoir comment Notre-Seigneur consentirait à s’unir ainsi à moi ; mais je lui en étais profondément reconnaissant. Et ne sachant faire autre chose, je m’efforçais de lui exprimer combien j’aurais voulu lui rendre quelque chose pour tant d’amour. Je ne vous dis pas que j’étais heureux… J’étais hors de moi.

« Un horizon tout nouveau s’ouvrait. Accedant qui ordinandi sunt ad presbyteratum[27]. Comme j’attendais avec impatience ces heureuses paroles ! Enfin, elles furent prononcées. Je crus entendre notre chère petite Société, la Petite-Œuvre, qui, heureuses, m’appelaient à la prêtrise. Il me sembla surtout entendre la voix de ces millions de pauvres âmes qui, sans le savoir, sont cause de mon appel. Chères Missions ! elles furent ainsi cause de mon ordination, après avoir fait ma seule vraie joie, mon bonheur et ma consolation durant toute ma vie ! Vous imaginez bien, bon Père, que cette pensée doubla pour moi la joie de ce beau jour.

« Lorsqu’après la question : Scis illos esse dignos[28] ? et la réponse si prudente de l’Eglise, le Pontife dit : Deo gratias[29]! il me sembla entendre notre chère Nouvelle-Guinée chanter à sa manière ce Deo gratias !

« O bon Père, priez plus que jamais, je vous en conjure, pour que ces vœux ne soient pas vains, et que jamais nos chères Missions n’aient à se repentir d’avoir demandé mon ordination !

« On consacra mes pauvres mains. Je fus bien ému en ce moment, et je priai le Sacré Cœur de les accepter pour qu’elles ne soient jamais employées qu’à son divin service.

« Enfin je fus prêtre !

« O bon Père, vous qui avez éprouvé tout ce que l’on sent dans son cœur, alors que l’on peut se dire : Je suis Prêtre ! dites, n’est-ce pas qu’il vaut mieux se taire que parler ?

« Le lendemain, jour de la fête des Ames, j’eus le bonheur de célébrer. Le bon Jésus daigna descendre dans mes mains !

« Quel doux souvenir me laissera toute ma vie cette première messe que je célébrai pour mes chers défunts, dans notre petite chapelle, assisté de nos vénérés supérieurs et entouré de mes frères bien-aimés ! Que le Cœur de Jésus soit béni et remercié ! »

C’était en effet un spectacle émouvant que la vue de ce jeune prêtre qui montait pour la première fois au saint autel dans les vêtements funèbres de la messe des morts.

Le soir dans sa cellule le P. Verjus écrivait :

« O mon Dieu, je veux être vôtre, autant que vous êtes mien. Je veux vous rester uni comme vous vous êtes uni à moi au moment de la communion. Quelles grâces ! Je n’ose en parler. Au fait, il est mieux que je me taise. Me decet silentiuum.

« Que de mystères ! Pauvre cœur ! Quid est homo[30] Jésus ! Et vous êtes venu ! Et j’ai senti votre sang sacré couler sur mes lèvres, et votre corps si pur descendre entre mes mains ! Et je vous ai donné à mes frères, et vous m’avez laissé faire, ô Jésus !

« Saintes âmes du Purgatoire, comme je les aime ! Elles auront été contentes de moi aujourd’hui.

« Demain je dirai la messe ! encore ! Ce sera en rouge (couleur du martyre)…

« Le cœur me fait mal à force de battre. Quelles émotions[31] ! »

Le lendemain, nouvelles grâces et nouvelle fête. Pour répondre aux désirs de nos bienfaiteurs de Rome, le Père dut célébrer une messe solennelle à l’autel de Notre-Dame du Sacré-Cœur, dans l’église. Le P. Jouet prit la parole. « Jugez de mon émotion, lorsque ce vénéré Père, s’abaissant jusqu’à moi, daigna me montrer les trois Églises de Jésus-Christ Notre-Seigneur attentives à mon ordination. L’Église triomphante célèbre la consécration. L’Église souffrante jouit des premiers fruits, et, c’est au centre de l’Église militante et tout près du Souverain Pontife que je célèbre aujourd’hui. Le bon Père daigna aussi rappeler le souvenir des Missions. Certes, il n’en fallait pas tant pour m’enflammer. Aussi toute la journée ne fut qu’une joie et un acte d’amour et de reconnaissance. »

Au jour de sa première messe, le P. Verjus — nous l’appellerons ainsi dorénavant — signa un acte, bien cher au vénérable Grignion de Montfort, et qu’il avait préparé pendant sa retraite : l’acte d’esclavage à Marie. Le voici tout entier, tel que nous l’avons trouvé dans ses papiers :

« O Mère, puisque, par votre grâce, me voilà prêtre, il faut que je le sois réellement et toujours, par votre secours. Faites, ô Mère, que je comprenne la grandeur et l’étendue des obligations et des devoirs du prêtre. Vous qui m’avez donné Jésus, enseignez-moi avec quel amour, quelle vénération, quelle adoration je dois traiter ce même Jésus qui daigne descendre entre mes mains. Faites-moi comprendre Jésus victime, prêtre, médiateur et sauveur. Faites-moi comprendre son amour, son zèle pour les âmes, et alors, ô Mère, pour vous témoigner ma reconnaissance, aujourd’hui même, je me donne, me voue et me consacre à vous comme votre esclave, afin que, me moulant vous-même sur vous-même, vous me fassiez ce que Jésus me veut : saint prêtre, saint Missionnaire et martyr de son divin Cœur. Je vous consacre tout, ô Marie, et m’enlève tout droit sur toutes mes œuvres pour que vous les appliquiez à la plus grande gloire de Dieu que vous seule connaissez, de sorte que, quand je voudrai prier pour quelqu’un, j’irai vous dire, ô Mère, de lui faire l’aumône, n’ayant plus le droit de rien donner moi-même. C’est mon intention, ô Mère, de faire désormais tout pour vous, par vous et en vous, afin de faire mieux pour Jésus, par Jésus et en Jésus. Je m’unirai à vous en tout ; et toujours par vous j’irai à Jésus.

« Tous les ans, je renouvellerai ce pacte du jour de ma première messe. (Tous les jours) j’y penserai au second Suscipe.

« La fête de ce pacte sera l’Annonciation.

« J’ajouterai tous les jours une dizaine à mon chapelet pour vous renouveler la consécration de toute ma vie sacerdotale et de mes chères Missions.

« De plus, ô Mère, pour vous témoigner ma reconnaissance de ce que vous m’avez obtenu la grâce d’être prêtre et d’aller en Mission, je vous promets de faire tout mon possible pour créer un pèlerinage en votre honneur dans le Vicariat et de ne jamais prêcher ni confesser sans parler de vous.

« Bonne Mère, puisque aujourd’hui je suis vôtre, je vous renouvelle mes trois vœux. Que je vous ressemble, ô Mère ! Que je sois toujours pur ! Donnez-moi l’esprit de pauvreté ! l’obéissance jusqu’à la mort ! Oh ! si je pouvais mourir pour mes vœux ! O Mère, vous savez mon désir du martyre. Je sens que vous m’exaucerez. Je vous en remercie. Grandissez-le toujours, et faites qu’il soit bien caché, bien à la gloire du Sacré Cœur et en expiation de mes péchés. Je compte sur vous pour cette grâce, ô Mère. Je n’ai plus que celle-là à vous demander. Elle contient la persévérance finale. Je suis prêtre par vous. (J’irai) en Mission pour vous. Que je sois martyr pour vous, et cela me suffît !

« Voyez, aujourd’hui, ô Mère, et tous les jours de ma vie, ces pactes que je porte sur mon cœur. Je désire que chaque battement de ce pauvre cœur soit pour vous et qu’il vous dise : Mère, je renouvelle tous mes engagements. Je vous aime. Je suis heureux d’être votre esclave.

« Encore une prière, ô Mère, pour mes chers défunts. Je vous ai tout donné autrefois par le vœu héroïque. Par la consécration présente, je vous les confie. Oh ! qu’ils ne se repentent pas de m’avoir fait du bien ! soulagez-les, bonne Mère. Glorifiez-les. Donnez-leur une joie de plus, parce qu’ils vous ont procuré un esclave de plus.

« J’ai fini, ô Mère. Dites à Jésus que je l’aime ! que je veux vivre pour lui ! mourir pour lui !… Oh ! que je voudrais comprendre Jésus, le Prêtre, le Sacré Cœur, les âmes ! Dites-lui cela, ô Mère. Je vous le rappellerai toutes les fois que j’aurai le bonheur de célébrer la sainte messe. Que je les célèbre toutes comme la première ! et que jamais je n’offense de propos délibéré ce bon Jésus qui nous aime tant !

« Votre esclave, au beau jour de sa première messe.
« H. V. »

Chaque matin des jours suivants, le P. Verjus s’en allait dire la messe dans quelque sanctuaire privilégié : à la Confession de Saint-Pierre, à Saint-Paul, à Sainte-MarieMajeure, à la Prison Mamertine, à Saint-Louis de Gonzague, dans la Chambre de Saint-Stanislas, à l’autel de Saint-François-Xavier au Gesù, à Sainte-Agnès, à Saint-Laurent…

« Toutes mes journées se marquent au cachet du sang de Jésus. Oh ! comme je sens le besoin de bien dire la messe ! Comme je suis heureux de m’unir au bon Maître tous les matins ! Je n’ai pas besoin d’autre chose. Jésus me suffit.

« Ce matin, j’ai eu le bonheur de célébrer au milieu des malades de la Consolation. Il y avait longtemps que je désirais ce bonheur. Je les aime tant, ces chers malades[32] ! »

« Vive Jésus ! J’ai célébré ce matin le saint sacrifice au fond de la prison de Mamertine. Quelles pensées de zèle et d’immolation généreuse de tout moi-même ont pénétré mon cœur !… Je me sentais transporté au temps où saint Pierre et saint Paul, enfermés dans ces murs ou plutôt ensevelis dans ce cachot, baptisaient leur geôliers. O mon Dieu, et moi aussi je serai martyr ! La Nouvelle-Guinée aussi aura ses martyrs ! On y parlera de vous, bon Maître. Mon sang vous y rendra témoignage, et mes bourreaux vous adoreront un jour[33]. »

« Vous pensez, écrit-il à son cher correspondant, si je prie pour vous dans ces sanctuaires vénérés… Ô mon bien cher Père, oserai-je vous faire une prière en terminant ? Par amour des âmes et de nos chères Missions, accordez à votre pauvre frère quelques mémento, afin que ses vœux les plus ardents soient bientôt exaucés !…

« Allons, bien cher Père, c’est assez pour le moment. Je voulais simplement vous dire mon bonheur et j’ai fait un journal. C’est réellement ex abundanlia cordis[34] … Quand vous douterez de la puissance et de la prodigieuse miséricorde du bon Dieu, pensez que le bon Maître est arrivé à faire un prêtre de ce pauvre frère Verjus que vous avez connu et aidé autrefois, et qui compte toujours sur vos prières… Oui, priez pour moi. Priez beaucoup. Je n’estime plus que la prière ! »

V

Cependant, de douloureuses nouvelles arrivaient d’Océanie. Une secousse de tremblement de terre avait d’abord renversé la pauvre maison des Missionnaires. Courageusement, ils s’étaient remis à des constructions nouvelles, non plus à Béridni, mais à Kinigounan, au centre même de Blanche-Baie. C’était presque fini quand, au milieu d’une nuit, en un clin d’œil pour ainsi dire, tous leurs travaux devinrent la proie des flammes. La chapelle avec son petit mobilier, les ornements sacerdotaux, les vêtements, les vivres, les livres, les bréviaires eux-mêmes, tout fut consumé. On acquit la triste certitude que l’incendiaire n’était pas un sauvage, mais un Européen, un catholique apostat. Presque nus, les pauvres Missionnaires s’en allèrent à Matoupi quérir des habits quelconques. Il fut convenu que le P. Cramaille resterait au milieu des Canaques et que le P. Navarre s’embarquerait avec le frère Fromm pour Sydney. Là il se ravitaillerait de son mieux. Il écrirait à Issoudun pour avoir des secours en hommes et en argent, réorganiserait, comme il pourrait, la Mission et rentrerait le plus tôt possible.

Nous n’avons pas à raconter ce voyage de Matoupi à Mékéo et de là à Sydney. Après la fureur du feu, ce fut littéralement la fureur des flots. Jetés d’une vague à l’autre, perdus dans une mer démontée, grelottants de froid sous une pluie torrentielle, vaincus par la fatigue, tordus par la faim, le Frère tomba malade à mourir, le Père ne pouvant plus que se plaindre doucement au Cœur de Jésus et à Notre-Dame du Sacré-Cœur ; recueillis enfin à bord d’un navire de guerre anglais[35], ils arrivèrent à Sydney le 4 octobre. Ils avaient quitté Béridni le 30 juin.

Au récit de tous ces malheurs, le P. Verjus n’avait plus qu’une idée en tête, qu’une aspiration au cœur : aller rejoindre le P. Navarre. C’est le 15 novembre qu’il apprend ces nouvelles. On lui dit en même temps qu’il y aura un départ de Missionnaires le 21 décembre. À coup sûr, cette fois, il en sera. C’est pour cela qu’il a été ordonné prêtre. Il n’a plus qu’à faire ses derniers préparatifs, à recueillir ses trésors : son catéchisme, ses notes, ses cartes, ses outils. « Voilà huit jours, écrit-il à l’aumônier d’un monastère de religieuses italiennes vouées à la pénitence, que j’ai eu l’immense bonheur et l’honneur sans égal d’être ordonné prêtre… Maintenant je puis quelque chose pour le Cœur de Jésus. Il ne me reste plus qu’une grâce à obtenir, c’est de m’en aller aux pays sauvages pour y travailler, et pour y verser, s’il le faut, tout mon sang. Vous comprenez que, pour obtenir une telle grâce, je ne veux rien moins que toutes les prières de nos chères Victimes. Oh ! si vous pouviez voir combien mon désir est ardent et combien ma confiance est grande dans les prières des Victimes du Cœur de Jésus, vous n’auriez pas de repos avant de m’avoir obtenu cette grâce[36] ! » Enfin l’heure vers laquelle son âme courait, comme il n’y a, dit l’Ecriture, que les géants qui courent, l’heure dont on peut bien assurer qu’il avait faim et soif, l’heure du départ va sonner. Le 19 novembre, à la lecture spirituelle, le P. Jouët proclame les noms des Missionnaires qui vont aller au secours du P. Navarre et de ses compagnons. Le P. Verjus sent battre dans sa poitrine son cœur, comme jamais peut-être il n’a battu. Le P. Verjus n’en est pas. Le P. Verjus restera à Rome, à l’église, en qualité de prêtre-sacristain. Pendant plusieurs jours, il ne fit que pleurer, nous écrit un témoin. On avait beau lui redire que son bonheur n’était que retardé et qu’il partirait l’année suivante, rien ne le consolait. « C’est fini ; le bon Dieu ne veut pas de moi. Je ne suis pas digne d’aller en Mission. » Telle est l’impression du dehors. Voici celle du dedans, telle que nous la trouvons dans les écrits du Père. Elle ne contredit pas la première, Elle la complète. « Je suis allé (après la lecture spirituelle) remercier le Sacré Cœur du peu de confiance qu’il a en moi. Le bon Maître m’a fait comprendre beaucoup de choses, ceci en particulier qu’il est très facile de se rechercher soi-même jusque dans le désir du martyre. J’ai vu pourquoi je suis refusé pour la deuxième fois. J’aurais dû comprendre plus tôt[37]. » Le lendemain et les jours suivants : « Ce n’est pas bien : j’ai été un peu triste aujourd’hui… Cependant je suis arrivé à remercier de tout mon cœur Notre-Seigneur de cette épreuve. Oui, mon Jésus, je vous aime davantage depuis que vous me frappez dans l’endroit le plus sensible de mon âme. Je n’ai de précieux que les Missions : il est bien juste que je vous fasse le seul sacrifice que je puisse vous faire… Je suis consolé lorsque je pense à la messe de tous les matins[38]. »

Dans une lettre à l’aumônier des Victimes, il s’épanche plus longuement : « Demandons ensemble l’union de plus en plus intime avec l’Enfant Jésus. Demandez cette grâce pour le pauvre P. Verjus, pauvre mendiant plus pauvre que jamais… J’étais destiné à partir pour les Missions. Tout était prêt. L’ordination était faite. Tout était réglé. Je ne me possédais plus de joie. Bravo ! disais-je, elles ont bien prié, nos chères Victimes ! Et voilà qu’au moment de partir arrive un contre-ordre. Et le pauvre P. Verjus qui déjà se voyait un pied sur le navire et déjà s’envolait vers les chers sauvages, il lui faut rester et attendre. Vive le Cœur de Jésus qui sait, si bien frapper à l’endroit sensible ! Aidez-moi à le remercier. Mon désir va s’enflammer de plus en plus, comme si Notre-Seigneur voulait augmenter ce sacrifice que je dois renouveler à tout moment. Vive Jésus ! Je ne puis croire que je ne serai pas exaucé. Ô bon Père, dites ! quel bonheur de donner un jour tout son sang pour faire connaître à quinze millions de sauvages qui ne savent pas même son nom, notre religion sainte !… Quatre des nôtres vont partir après-demain. Qu’ils soient autant de charbons bien embrasés pour allumer le feu sacré en ces terres glacées où règne en souverain l’ennemi de notre bon Jésus[39] ! » — « Il me semble certain, quand je bois le Précieux Sang, qu’un jour je serai martyr. Mes chères Missions, mes chères Missions, toujours elles s’éloignent. Fiat, de tout mon cœur[40] ! » Et le cœur saignait, et, « cent fois par jour[41] », il renouvelait son sacrifice.

VI

La fin de l’année 1883 et la plus grande partie de l’année suivante, le frère Verjus les passa dans les fonctions de sacristain, comme nous venons de le dire, ou, si on le préfère, de chapelain de l’église de Notre-Dame du Sacré-Cœur. Pour orner le temple, qui était très pauvre, il déploya tout son zèle ; il mit en œuvre les ressources de son imagination. Mais, comment le succès aurait-il répondu à sa bonne volonté ? Il eût fallu de l’argent, et il n’en avait pas. À telle solennité où les « richesses » de la sacristie s’étalaient sur les autels, sur les colonnes et sur les murs, l’église eût paru aux primitifs Océaniens magnifiquement décorée sans doute ; mais les Romains, accoutumés qu’ils sont aux splendeurs de leurs basiliques, se montraient froids, quelquefois même un peu railleurs.

Le P. Verjus fut plus heureux dans les fonctions spirituelles, notamment dans la prédication. Avant d’être prêtre, il avait dû, comme ses condisciples, composer des sermons en français, les apprendre et les débiter. Il lui fallait, disait-il, quatre mois pour ces sortes d’exercices : deux mois pour faire le discours et deux autres mois pour l’apprendre. « Heureusement, ajoutait-il, je n’aurai jamais à prêcher qu’aux sauvages ; sans quoi il faudrait désespérer. » Une fois prêtre, il en va tout autrement. Sans doute la préparation lui coûtera toujours ; il écrira même que de monter en chaire c’est un martyre[42]. Toutefois il acquerra vite assez de facilité pour prêcher d’abondance au gré et au profit de ses auditeurs. La veille d’une fête, le supérieur l’appelle et lui dit : « C’est vous qui prêcherez demain. » Le Père vit tout de suite que c’était sérieux. Il en pleura, tant la chose lui paraissait invraisemblable et impossible. Quand il eut bien pleuré, il s’en alla aux pieds de la statue de Notre-Dame du Sacré-Cœur. Là, il pria longuement, puis rentra à la sacristie. Une fois assis à la petite table où les fidèles, à chaque instant, venaient le déranger, il laissa tomber sa tête entre ses mains, réfléchit un peu ; puis, soudainement, la plume courut sur le papier avec une rapidité vertigineuse. Les idées s’agençaient comme d’elles-mêmes, dans une correction suffisante. Le sermon était fait. Le Père eut à l’apprendre la même facilité qu’à l’écrire. Il n’en revenait pas et disait : « C’est à n’y rien comprendre. J’ai prié la sainte Vierge. Tout coule de source, et ma mémoire est excellente. » On dit qu’il garda cette facilité depuis lors. Voici comment l’appréciait un de ses confrères de Rome : « Dès le commencement, la parole du P. Verjus se distingua entre toutes. Plusieurs des nôtres connaissaient mieux que lui la langue italienne et mieux que lui savaient ordonner un discours ; mais aucun ne prêchait avec cette foi, cette chaleur, cette onction. La phrase était souvent rude, même incorrecte et sentait l’étranger ; mais elle pénétrait dans les âmes, et un geste vif, presque impérieux, achevait de l’y enfoncer. Difficilement on aurait soupçonné dans ce jeune prêtre un débutant. » Il prêcha souvent dans cette année 1884, presque tous les jeudis d’abord aux réunions de l’Archiconfrérie de Notre-Dame du Sacré-Cœur, puis, très souvent, les dimanches, une partie du mois de mai et une partie du mois de juin. En peu de temps les habitués de l’église l’apprécièrent. On venait à la sacristie le consulter. On se recommandait à ses prières ; non pas seulement les gens du peuple, mais aussi des personnages. La princesse Massimi, belle-sœur de la comtesse de Chambord, aimait à s’édifier auprès de lui en de pieux entretiens.

Ainsi passa la première année de sacerdoce du P. Verjus. Il n’oubliait certes pas les Missions dans cet humble et laborieux ministère de chapelain. Il attendait, parmi des épreuves que le temps n’est pas venu de raconter, en des alternatives de sainte impatience et de résignation amoureuse, l’heure des supérieurs, qui est toujours celle de Dieu.



  1. 13 janvier 1882.
  2. 14 janvier.
  3. 20 janvier ; 10 février.
  4. 19 février.
  5. 24 avril.
  6. 1er mai 1882.
  7. 2 juillet.
  8. 31 juillet.
  9. Voir dans les Annales de Notre-Dame du Sacré-Cœur, mars 1883, tout le discours du cardinal.
  10. 14 et 15 février 1883.
  11. 5 février.
  12. 13-14 février 1882.
  13. 23 mars 1182.
  14. 16 juin.
  15. Sap. vi, 7. — On a plus de compassion pour les petits ; mais les puissants seront tourmentés puissamment.. »
  16. 3 juillet.
  17. 5 et 6 juillet.
  18. 10 et 11 août 1883.
  19. 15, 16 et 17 avril.
  20. 6 février 1883.
  21. Octave de Brinon et William Neenan.
  22. On trouvera toute la lettre dans les Annales d’avril 1883.
  23. Il atteint jusqu’à la division de l’âme.
  24. Dans cette même lettre, il dit son contentement d’avoir un peu compris M. Olier et le P. de Condren sur le sacerdoce ; puis il apprécie en ces termes une nouvelle Vie de sainte Thérèse : « C’est, sous tous rapports, un vrai chef-d’œuvre. Elle fait aimer la sainte autant que les autres la faisaient peu comprendre. On ne peut la lire sans être captivé… Je prétends, mon bon Père, ne pas pouvoir vous témoigner plus d’attachement pour votre avancement spirituel qu’en vous souhaitant de lire un jour cette Vie. Puisse-t-elle vous faire autant de bien qu’elle en a fait à notre petite communauté et à votre frère en particulier ! Je la relis avec grand profit, selon notre méthode d’autrefois, la plume à la main. » Nous avons lieu de croire qu’il s’agit de l’Histoire de sainte Thérèse d’après les Bollandistes, ouvrage anonyme qui a pour auteur, si nous sommes bien informé, une religieuse du Carmel de Caen. Paris, Retaux.
  25. Mgr de Périgueux.
  26. C’est le Seigneur qui a fait cela, et la merveille est sous nos yeux. — Du fumier il a élevé le pauvre. — Il a fait en moi de grandes choses, Celui qui est puissant. — O Dieu, je suis votre serviteur. — Donnez, Seigneur, ce que vous ordonnez, et ordonnez ce que vous voudrez. — Faites que je puisse porter mon sacerdoce de manière à obtenir votre grâce.
  27. Qu’ils s’approchent, ceux qui doivent être ordonnés prêtres ! (Paroles du Pontifical.)
  28. Savez-vous s’ils en sont dignes ?
  29. Remercions Dieu.
  30. Qu’est-ce que l’homme ?
  31. Le soir, mes bons Frères voulurent, suivant la coutume, fêter le nouveau prêtre. Les enfants de la Petite-Œuvre me rappelèrent ces années passées à Chezal-Benoît, années si pleines et si consolantes qui, toutes, m’étaient données pour me préparer à ce beau jour. Mes chers Frères voulurent aussi me dire leur bonheur en vers, en prose et en musique. J’étais profondément ému. Aussi je ne pus que balbutier quelques paroles de remerciement. »
  32. 8 novembre.
  33. 10 novembre.
  34. De l’abondance du cœur.
  35. L’espiègle
  36. 8 novembre 1883.
  37. 19 novembre.
  38. 20 novembre.
  39. 18 décembre.
  40. 2 décembre.
  41. Journal, au 9 décembre.
  42. 10 janvier 1884. — Ce qui ne l’empêchera pas de prendre la résolution de ne jamais refuser de prêcher.