Monrose ou le Libertin par fatalité/IV/37

Lécrivain et Briard (p. 209-215).
Quatrième partie, chapitre XXXVII


CHAPITRE XXXVII

PACOTILLE D’ASSORTIMENTS


Le soulagement du cœur est le meilleur de tous les remèdes quand les souffrances du cœur ont été cause d’une maladie : aussi Monrose fit-il de rapides progrès vers la santé. Tout vint à la fois comme par enchantement au secours de cette âme brûlante d’amour et d’amitié.

Salizy (cette femme à tête chaude qui d’abord craint de mourir de sa belle passion pour mon ensorcelant neveu) venait pourtant de s’enticher, à Londres, de certain virtuose émérite… très-aimable, mais de la part duquel il ne fallait pas attendre des preuves de valeur guerrière… C’était Géronimo[1] Fiorelli, frère d’Argentine, de cette Argentine autrefois ma rivale, mon amie depuis, sœur postiche de Julien Senneville. Cette Italienne, après avoir usé en peu d’années sa célébrité de chanteuse, comme c’est le sort ordinaire des talents de pur agrément ; Argentine, dis-je, avait terminé son roman par un mariage en bonne forme avec certain négociant du second ordre. De plus loin, elle avait attiré son frère chéri, vrai frère qui pour le coup n’avait point donné de scène publique avec elle. Géronimo, si l’on s’en souvient, était d’une charmante figure, d’un bon commerce et rempli de talents : il avait trouvé dans Londres l’agréable et l’utile. Le hasard avait fait prendre à Salizy son logement dans la maison d’Argentine, mistress Sidney pour lors. Géronimo, d’abord maître de musique de l’ex-amante de mon cher neveu, s’était rendu bientôt plus agréablement nécessaire à l’inflammable écolière. La taille fine, oubliée dans un moment d’accord parfait, avait recommencé de perdre ses proportions admirables : un mariage venait de décentifier cet accident. La très-fraîche nouvelle en était arrivée avec les lords Kinston et Sidney, qui, sans être annoncés, avaient trouvé bon d’apporter eux-mêmes leur ultimatum relativement à miss Charlotte. Ces messieurs, en passant par Abbeville, y avaient vu sir Georges Brown. Celui-ci se portait mieux ; son plus grand mal d’alors était le dépit et beaucoup d’impatience de se transporter en Angleterre, où déjà Sidney avait en sa faveur des vues pour un autre mariage, de politique, de convenance, qui n’était pas un trop désavantageux pis-aller.

À peine avions-nous eu le temps de fêter nos lords, qu’un nouvel événement vint ajouter au bonheur du cher Monrose. Cette belle charge pour laquelle Flore, avant de tomber malade, s’était déjà donnée quelques mouvements en faveur de mon neveu, cette place, vivement briguée, nous en enlevions l’agrément à nos concurrents : de peur qu’elle n’échappât, Sidney, sur l’heure, en avait déposé comptant le prix entre les mains d’un notaire.

Kinston, avec la même diligence, hâtait les affaires du généreux Senneville. L’Anglais ne le sut pas plutôt épris d’Aglaé, que celle-ci se trouva d’un coup, on ne pouvait deviner comment, trois mille louis en espèces sonnantes et une jolie petite terre dont elle-même ne savait pas encore le nom à l’instant de signer les articles. Voyant cela, madame de Garancey se piqua d’émulation, et ne voulut pas que, lorsque la protégée de son amie d’Aiglemont trouvait un état agréable, Armande, dont elle commençait elle-même à raffoler, demeurât à la merci des événements. Madame de Garancey se procura tout de suite pour sa chère lectrice (déjà riche de mille écus viagers que lui avait assurés le grand-chanoine) un coulant garde-du-corps, spécialement protégé de Garancey, son officier, et auquel on promettait, avec la femme, un bon surcroît de fortune. Mais la marquise se réservait d’avoir toujours près d’elle la vérsificatrice Armande ; ce qui comportait aussi pour l’époux de devenir commensal : ses cinq pieds onze pouces, son énorme carrure et ses muscles le rendaient infiniment digne de tant d’honneur.

L’hymen à cette époque planait avec complaisance sur mon tourbillon : c’était à qui se marierait. Ne prit-il pas tout à coup un vertige au Vulcain de mon amie Liesseval ! et malgré ce qu’il lui avait vu tolérer entre deux Mars, ne vint-il pas un beau matin tomber à ses pieds, lui jurer que, depuis qu’il vivait sans elle, il ne vivait plus, en un mot, la supplier de l’assurer pour le reste de ses jours du bonheur d’être son inséparable ! Liesseval avait demandé huit jours pour y réfléchir : dès le troisième, son brûlant esclave fit savoir qu’il n’y tenait plus. Comme Rose voulut bien promettre à sa maîtresse de se charger à peu près de toute la corvée matrimoniale, si on la laissait faire, aidée d’un joli jockey qu’on se procurerait ad hoc, la baronne céda. Bientôt elle fut madame la comtesse de…, très-légitime épouse d’un cordonné lieutenant-général.

Ce n’était pas aux maîtres seuls que le Dieu copulateur destinait des entraves. Il en laissa tomber une paire d’abord sur l’excellent Lebrun, qui s’y trouva pris avec cette jolie Nancy amenée de Londres par Senneville. Sidney et Kinston à l’envi firent un sort à ces époux, dont l’un, Lebrun, s’était violemment enflammé, et dont l’autre démêlait confusément que, par cette solide alliance, elle s’en préparait sans doute une infinité de légères, d’autant plus agréables. Ce fut à peu près aussi le raisonnement intérieur de Chonchon ; Chonchon, cette si douce victime d’un lubrique transport pour notre héros, ce jockey si serviable, cette fille de chambre si attachée à sa maîtresse, madame de Belmont ; c’est, dis-je, comme Nancy que raisonna Chonchon, quand, à la prière de Kinston, enchanté d’un impromptu dont la petite s’était tirée avec distinction, elle agréa pour époux certain Patrick, personnage essentiel que milord avait amené de Londres. Patrick était médiocrement aimable, mais le protecteur en fit un très-bon parti pour une orpheline dont tout le bien n’était pas même… un pucelage !

Un mariage encore qui se serait peut-être fait, s’il n’eût pas été totalement impossible, c’est celui de certaine jolie veuve. — De qui ? — De madame de Belmont. — Pour épouser qui ? — Sa Grandeur. Mais, de même qu’avec le Ciel, il est avec l’amour des accommodements. Monseigneur garda sa charmante conquête, à l’ombre de milord Kinston, qui, s’étant vivement épris de l’aimable Floricourt, et voulant surtout, par de bonnes et belles actions en tous genres, compenser un temps d’égoïsme qu’il se reprochait, se chargea de mettre sur le pinacle les deux amies, sans exiger qu’on les connût : il leur permettait même d’éviter cette célébrité dangereuse qui, dégénérant en opprobre, a bientôt empoisonné les plus douces jouissances.

Vivre mal avec celle dont on a fait sa compagne pour tout le temps qu’on doit exister, n’a pas moins d’inconvénient que le mauvais renom : on l’y trouve d’ailleurs. Pénétré de cette vérité, milord Sidney recommença de parfaitement traiter son épouse ; il alla même (tant l’air de Paris a de vertu !), il alla, dis-je, jusqu’à fêter l’aimable Garancey, dès qu’il put soupçonner que celui-ci pouvait le suppléer agréablement auprès de milady ma sœur : milord avait enfin la justice de sentir qu’elle ne devait pas être à jamais privée de ce qui plaît infiniment aux dames, parce que dans un moment d’humeur il se serait fait déviriliser par un tireur dangereux.


  1. Voyez depuis le chapitre XVIII, seconde partie des Fredaines, jusqu’à la fin, tout ce qui concerne Argentine et Géronimo.