Monrose ou le Libertin par fatalité/IV/14

Lécrivain et Briard (p. 77-81).
Quatrième partie, chapitre XIV


CHAPITRE XIV

DÉVELOPPEMENTS NÉCESSAIRES


Nos éclaircissements nous avaient conduits bien avant dans la nuit. Ma sœur désirait que je l’achevasse avec elle ; mais, dans un moment d’entretien à part, je lui fis aisément comprendre qu’il valait mieux qu’elle me laissât retourner chez moi, pour que je ne perdisse pas un instant de vue son fils, dont il était bien intéressant de surveiller désormais les moindres démarches. Déjà nous voyions, elle et moi, fort clair dans un certain point du quiproquo de la nuit fameuse. Ce vaut mieux tard que jamais proféré par milord Kinston, dans une étrange circonstance, prouvait évidemment qu’il avait pris pour Monrose ce docile jeune homme qu’il venait de violer. L’idée de risquer ce crime était justifiée par l’impossibilité qu’un galant, surpris au lit de sa propre mère, pût se permettre aucun éclat. D’après le billet de sir Georges (je venais d’en faire le précis à ma sœur), il était clair que cet ami de Kinston avait conté à celui-ci son malheureux duel et nommé son adversaire, et que, dans sa réponse, Kinston avait imprudemment compromis mon neveu : c’était la source d’une affaire nouvelle inévitable, et qui ne finirait peut-être que par la mort de l’un des deux ennemis.

Je voulais aussi sonder, dès le lendemain matin, les sentiments de Monrose au sujet de miss Charlotte, et juger, d’après ce qu’il m’en dirait, s’il convenait qu’il sût ou qu’il ignorât qu’on se proposait de la marier avec sir Georges. La position de tous les intéressés était bien critique.

Quittant enfin ma sœur, je la priai de ne rien faire que de concert avec moi. Quant à la jeune personne, j’étais d’avis qu’au plus tôt on la mît dans un couvent jusqu’à nouvel ordre. Charlotte était catholique ; son père, Irlandais et de cette religion, avait obtenu à Bruxelles que sa femme, protestante, abjurât : leur fille avait été baptisée selon le rite romain. Sidney, quoique cela ne lui plût guères, avait respecté les dispositions d’un père et d’une mère, et sa nièce avait été élevée (autant que son séjour en Angleterre le comportait) dans la pratique de la religion de ses auteurs. Disons tout de suite que cet enfant si faible à douze ans, quand l’amour et le plaisir la séduisirent, n’avait depuis cessé de montrer un caractère d’une énergie et d’une constance admirables. Elle s’était dès lors vouée dans le cœur à l’aimable Monrose… Si cet invariable choix, qu’elle n’avait jamais pris la peine de dissimuler, ajoutait beaucoup aux déplaisirs de son oncle, du moins celui-ci se félicitait-il secrètement de tant de vertus. Lecteur, je vous vois sourire ! Sachez d’abord que milord ignorait parfaitement à quel point sa nièce et Monrose s’étaient engagés. Il ne croyait qu’à quelques étourderies réciproques, suffisantes pour lui avoir fait dire dans le temps que Monrose avait mis le déshonneur et le désordre dans sa maison. Quant à ces extrémités criminelles où l’ingrate et parjure gouvernante avait eu la lâcheté de se vanter d’avoir surpris les deux enfants, Sidney renvoyait cette accusation à la masse des horreurs supposées qu’avait en effet à moitié démenties la vérification du crime de milady. N’était-ce pas Monrose, son propre fils, qu’on avait promis de faire surprendre avec elle ? Il ne s’y était cependant trouvé que Julien ; et dans quel état voisin de la mort n’était pas cette épouse qu’au fond du cœur Sidney jugeait plus malheureuse encore que coupable ! Un anéantissement d’où ne put la tirer la scène telle que nous l’avons décrite, ne prouvait-il pas qu’un puissant narcotique la privait ainsi de tous ses sens ? Qu’avait désiré l’atroce Brumoore ? Perdre la mère et le fils. Ne semblait-il pas que ce fût par suite de ce plan odieux qu’elle achevait de noircir Monrose en l’accusant d’une double séduction ? Tels étaient, même à travers l’orage des passions, les raisonnements d’un époux, d’un ami philosophe. Sept ans n’avaient point changé ses idées à cet égard. Pendant ce long intervalle, la sage conduite de miss Charlotte avait tout réparé. Milord ne lui reprochait que d’avoir fait d’un jeune homme immoral, à peu près ingrat, et surtout devenu l’ennemi des Anglais, le dieu de ses pensées, le centre de ses secrètes affections. Quant à Kinston, qui avait accordé dans le temps asile et faveur à l’exécrable gouvernante de Sidney, sans aucune explication il avait rompu net avec lui ; jamais leur amitié ne s’était renouée. Mais cessant de se voir, ils n’avaient point affiché d’être ennemis ; Kinston se fût déshonoré ; la gloire de Sidney eût été compromise… Nous vous apprendrons bientôt, cher lecteur, quelle convenance avait enfin décidé celui-ci à contrarier ouvertement le vœu de sa nièce par le projet de la marier avec sir Georges, tandis que pendant sept ans elle n’a cessé de répéter que, sans désirer d’appartenir jamais à l’objet errant que son second père ne pourrait agréer, elle ne lui préférerait cependant de la vie qui que ce fût, même un monarque.