Monrose ou le Libertin par fatalité/II/03

Lécrivain et Briard (p. 11-13).
Deuxième partie, chapitre III


CHAPITRE III

QUIPROQUO. CHÂTIMENT. POSITION
SCABREUSE


Monrose continue : « Certain jour M. l’abbé (se méprenant apparemment lorsqu’il en fut à suscrire sa correspondance du matin)[1] eut l’étourderie de m’adresser un billet écrit pour l’une de ses commettantes[2]. J’y découvris toute la trame du complot de me tirer, comme on l’articulait, une plume de l’aile. L’insolent billet finissait par ces mots familiers : « Si tu peux lui persuader que tu l’adores, et que jamais qui que ce soit ne t’a… (je vais changer un mot par décence) servie comme lui, tu peux compter que j’accrocherai pour toi le solitaire, et, Dieu aidant, peut-être jusqu’à son dernier écu. Joue bien ton rôle ; je réponds du mien. Adieu, friponne. »

« Outré de me voir ainsi traduit en ridicule, et devinant que le perfide écrivain ne se montrerait plus chez moi, puisqu’il ne pouvait ignorer longtemps sa bévue, je me mets à le chercher de tout mon pouvoir. Le troisième jour enfin je le rencontre sortant de chez Nicolet, son théâtre de prédilection, où d’ailleurs il savait qu’on ne me voyait presque jamais. Le drôle, à ma vue, qui le foudroie, veut se jeter dans un café ; je le préviens, l’atteins, et comme je n’ai ni l’envie, ni le loisir de m’expliquer, je lui détache, de ma canne, une douzaine de coups bien assénés. Cent témoins de cette expédition[3] ne font qu’en rire ; plus d’une voix murmure : « C’est Saint-Lubin : on fait bien ; il doit l’avoir mérité ! » Je remonte sans obstacle dans mon fiacre.

« Cependant ma vivacité me fait, auprès de certain monde, une détestable réputation. Madame de Folaise, chez qui, toujours de plus en plus économe de ma personne, je me maintenais d’ailleurs assez bien, me consigne à sa porte, et me réduit à n’y plus mettre que des cartes. Madame Popinel (veuve dès le temps où j’étais en voyage à la chaussée d’Antin, et chez qui certaines circonstances m’avaient forcé de paraître), criait publiquement tollé contre moi, prenait fait et cause pour l’estimé Saint-Lubin, et bénissait tout haut le ciel de ce que mon affreux caractère s’était assez à temps démasqué pour qu’elle ne fît pas la sottise de me livrer sa main et sa fortune…

« — Jour de Dieu ! interrompis-je, vous, chez madame Popinel ! et cette vieille folle rêvant encore mariage ! Vous aviez donc perdu l’esprit ? — Moi ? point du tout : je n’étais pour rien dans les chimères de madame de Folaise et de son amie ; mais voici ce qui m’était arrivé. »


  1. À Paris plus de vingt mille individus des deux sexes, proxénètes, catins, parasites, joueurs, courtiers, bulletinistes, etc., font chaque matin un travail qui leur assure le nécessaire du jour, ou qui fixe la marche d’un projet, d’une intrigue, d’une mystification. Quelques gens du métier nomment cela monter leurs montres, Ces montres sont des agents, ou les dupes. Du déluge de billets qu’engendre cette singulière industrie, naissait ci-devant à peu près un tiers du revenu de la petite poste. Maintenant que chacun régne, sans doute on est servi par ses coureurs. (Note du correcteur d’épreuves.)
  2. Un de ces mots nouveaux dont la bienfaisante révolution a si fort enrichi notre langue. Autrefois le seul dérivé un peu familier du mot commettre était commis : il n’y en a plus qu’en style de négoce. Les commis d’autrefois sont aujourd’hui commettants, et leurs commis sont législateurs. (Id.)
  3. L’ancien régime subsistait et cette bâtonnade n’était point alors un crime de lèse-majesté. (Note du même.)