Monrose ou le Libertin par fatalité/I/18

Lécrivain et Briard (p. 83-87).
Première partie, chapitre XVIII.


CHAPITRE XVIII

MONROSE N’EN EST PAS QUITTE


« Je monte lestement : prêt à frapper, j’entends en dedans une conversation familière. Un homme était derrière la porte et riait ; Adélaïde, dont la voix grave et sonore ne pouvait être méconnue, disait gaiement : « Pour aujourd’hui, passe ; mais songe à faire mieux demain. » La porte s’ouvre : un fort joli coiffeur, excessivement étonné de me trouver là, face à face, salue, me laisse passer, s’esquive et referme, tandis qu’Adélaïde, tournant le dos et s’enfonçant chez elle, chante en sautillant : « Pour une fois, c’n’est pas la peine, pour une fois… » Mes pas l’avisent enfin ; elle se retourne alors ; cette créature au front d’airain accourt à moi, me jette les bras, et m’entraîne sans mot dire jusqu’au fond de son boudoir. Ainsi le chat happe à l’improviste une imprudente souris qui paraît, pour son malheur, à portée de la griffe meurtrière.

« Ô disgrâce ! un frac bleu-dauphin délicieux, dont je donnais l’étrenne à cette fatale visite, est en deux minutes totalement déshonoré : excepté la seule porte du carré, fermée, toutes les autres sont ouvertes. N’importe ; je suis embrassé, surmonté, pressé, dévoré, pillé. Ce que j’avais éludé là-bas, ici devient inévitable ; sauvé de Charybde, il faut, pauvre diable, que je tombe dans Scylla ; mais à la lettre, ma chère comtesse, car cette même Adélaïde, qui la veille, sans sa résignation prématurée, aurait pu se donner pour une vierge, est aujourd’hui… Dieux ! quel abîme !

— Que vous méritiez bien tout ce qui vous est arrivé, dis-je en éclatant de rire. Tombe-t-on aussi, le matin, chez une Folaise, chez une Adélaïde, sans les avoir fait prévenir ! Le jour de votre première visite elles se trouvaient sous les armes, parce que vous étiez attendu. La baronne, dès qu’elle avait appris votre retour, s’était baignée, frottée, rafraîchie au-dedans, et récrépie au-dehors de la tête aux pieds ; mademoiselle Adélaïde, en sa qualité de célibataire, s’était aidée de tout ce qui sert à tromper un faux connaisseur : vous avez été complétement la dupe de leurs artificieux apprêts. Mais aujourd’hui vous revenez tout juste pendant que Sylvina est dans les bras de son confesseur ! N’ayez peur qu’elle vous provoque tout de bon à des ébats qui peut-être ne l’indemniseraient point de ce qu’elle perdrait ailleurs, car, soit dit sans vous désobliger, s’il est vrai que vous n’êtes pas un homme ordinaire, il ne l’est pas moins qu’un gris-bourdon est bien quelque chose d’extraordinaire aussi. Mais vous montez chez une Adélaïde tout juste encore comme elle est mécontente du faible service de son coiffeur ! ce qui rend ici la situation totalement différente. D’abord, elle ne vous veut apparemment pas assez de bien, et n’a pas avec vous assez d’amour-propre, pour qu’elle désire d’entretenir votre illusion. La première fois vous étiez nouveau. L’on savait très-bien qu’on serait appelée, qu’on vous aurait. On vous a donc servi le petit plat de façons. C’était pour vous alors ; maintenant c’est uniquement pour soi qu’on vous a. Le coiffeur n’avait fait qu’émoustiller ; vous arrivez tout à fait à propos pour terminer solidement ce dont le polisson n’avait fait qu’une imparfaite ébauche : tout cela, mon cher, est dans l’ordre.

« Vous devinez les choses, répliqua-t-il, précisément comme elles se sont passées, et comme j’ai été moi-même forcé de me les définir ; mais ce que vous n’auriez cependant pas prévu, c’est que madame de Folaise, je ne sais comment ravisée, et venue à pas de loup par un petit escalier intérieur, nous surprend, trouve sa luronne d’amie trottant grand train à l’anglaise sur moi, m’excitant à partager sa lubrique fureur, et s’évertuant à convertir mon pauvre frac en casaque de garçon perruquier. Mais, grands dieux ! que j’eus bien d’autres souillures à déplorer quand cette poste fut courue ! Un accident féminin s’était déclaré pendant la fête ! J’en avais partout : il plaisait à ces dévergondées de rire de ce dont j’étais furieux.

« Il n’y avait pas moyen de quitter cette maison, à moins d’être rhabillé. Je fis courir quelqu’un à l’hôtel afin de m’amener Lebrun avec tout ce qu’il faudrait pour changer des pieds à la tête. Cependant mademoiselle Adélaïde, pour me prouver qu’elle ne m’avait pas oublié depuis notre première passade, me fit cadeau de deux pièces de ruban pour mes croix.

« L’heure du dîner était arrivée avant que mon désordre fût entièrement réparé. Ces dames me persécutaient pour que je fisse le quatrième, à table, avec mon collègue, le révérendissime cordelier. Vous connaissez madame de Folaise, et savez qu’un très-long séjour à Paris n’a pu la corriger de sa provinciale importunité ? Je restai donc : une chère de dévote et d’excellents vins me consolèrent de mon immonde bonne fortune. Vers cinq heures il vint de la société. Je profitai de la conjoncture pour m’évader après avoir fait agréer, non sans beaucoup de peine, mes excuses de ne pouvoir figurer le lendemain à l’assemblée où l’on m’avait fait l’honneur de m’inviter. « Je ne sais pas, me disais-je en m’en allant, ce que pourront me coûter les chevaux ; mais, parbleu ! je me crois déjà plus que quitte avec mademoiselle Adélaïde, pour ses largesses ! »