Monrose ou le Libertin par fatalité/I/13

Lécrivain et Briard (p. 56-60).
Première partie, chapitre XIII.


CHAPITRE XIII

TRIOMPHE DE NATURE. JEUNESSE ET SANTÉ


C’est toujours Monrose qui parle, ami lecteur. « Minuit sonnait : l’abbé savait que madame de Folaise, qui se piquait de beaucoup d’ordre dans sa maison, ne veillait pas plus tard ; il se mit donc en devoir de sortir après m’avoir demandé très-poliment la permission de venir bientôt me faire visite. Je voulais aussi me retirer, et j’offrais même à l’abbé de le jeter à sa porte. « Non, non, chevalier, interrompit vivement madame de Folaise ; vous resterez, s’il vous plaît, un moment de plus, ayant à causer ensemble de nos affaires de famille. » Saint-Lubin tira sa révérence ; Adélaïde logeait dans la maison : d’après ce qu’elle venait d’entendre, son rôle était de nous laisser seuls.

« Imaginez alors, ma chère Félicia, la femme la plus tendre, la plus enflammée, se jetant dans mes bras et me dévorant de baisers : le marbre n’aurait pu, sans s’échauffer, recevoir d’aussi brûlantes caresses. « Pardonne, disait-elle, mais, ensorcelée de toi, je m’efforcerais en vain de paraître moins folle. Viens, bel ange (en rougissant : il faut bien vous répéter ses mots), viens donner une nuit de parfait bonheur à celle que poignarderait ton refus… » « — Je vous connais, interrompis-je, madame de Folaise ne sera point poignardée ! » Il sourit et continua :

« Au bruit de la sonnette, paraît un grand pendard de laquais. — Ah ! parlez avec plus de révérence de mons Milon, qui passe pour être aussi beaucoup de la famille : allez. « Qu’on prépare, lui dit sa maîtresse, un lit à mon cousin, dans le petit appartement… Je veux un demi-bain… Qu’on soit diligent… Lise, pour me déshabiller… Les gens de mon cousin, pour prendre ses ordres… » À l’air avec lequel je vis le laquais se retirer, à celui de la matoise femme de chambre, quand elle entra, je compris que ma chance n’était point, pour ces gens-là, quelque chose de neuf, et que plus d’un cousin à ma manière avait sans doute habité le petit appartement pour la même aventure qui m’était destinée. Je reconnus pleinement la vérité de cette conjecture, lorsque, dans mon nouveau domicile, je trouvai tout le nécessaire de nuit présenté par un intelligent grison, qui mettait de l’amour-propre à ce que, renvoyant mon monde avec la voiture, je voulusse bien agréer son seul ministère.

« Il pouvait y avoir environ une demi-heure que j’étais, sans lumière, étendu dans un lit, plus commode, il est vrai, pour veiller agréablement que pour dormir, lorsque, ma porte venant à s’ouvrir, je vis paraître Sylvina galamment coiffée de nuit, mais du reste totalement nue. Elle tenait, d’une main, une chemise ployée, et de l’autre un bougeoir. Son entrée m’avait offert la vue de toutes ses beautés de face ; le soin qu’elle eut de bien fermer après elle, me mit également en confidence de toutes celles de revers. Tout cela, je l’avoue, me parut étrangement conservé, et produisit sur mon ardente imagination l’heureux effet qu’on devait s’être promis de ce raffinement de coquetterie. À l’instant les flambeaux, les bras, les girandoles, tout est éclairé. Moins sûre du pouvoir de ses charmes, madame de Folaise les aurait-elle exposés au danger d’une si grande lumière ?

« Elle vient enfin à moi, brûlante et légèrement colorée, de la tête aux pieds, du vif incarnat de la lubricité touchant au moment du plaisir. « Monrose, dit-elle, je n’ai pas voulu te vendre chat en poche. Je me connais et sais trop bien que d’après mon pauvre visage, un peu disgracié, l’on pourrait supposer que le reste n’est pas plus digne de l’attention de ton sexe ; mais, vois, touche, mon amour… » Je voyais, touchais et baisais même avec un appétit inexprimable. Au plus léger mouvement qui l’assure que je vais répondre de toute mon âme à l’ardeur de son désir, elle s’élance sur le lit avec la vivacité de la plus agile danseuse de l’Opéra, m’étreint, m’enlace, frémit d’une tendre fureur et me fait partager les sublimes délices d’un moment qu’avait si bien préparé pour tous deux la magie combinée de l’illusion, du vin et de l’amour. »

Je ne voulus pas laisser remarquer au fripon certaine émotion que me faisait éprouver la chaleur de cette scène : il était très-capable de passer, sans dire gare, du récit à l’action ; je me hâtai donc de lui dire, affectant un peu de persifflage : « Si je vous demandais, monsieur, combien de fois vous vous prêtâtes à tempérer les fougueuses ardeurs de madame la baronne, vous feriez le modeste et n’oseriez vous vanter de la vérité ! Je suppose donc que, pour peu qu’il y eût de l’amour-propre sur jeu, vous voulûtes bien en user avec elle à peu près comme vous l’aviez fait avec moi ? — Vous permettiez, répondit-il, elle exigeait : trouvez donc bon que, cette fois-ci, les bornes se soient un peu plus étendues. — L’extravagant ! interrompis-je, tout de bon courroucée de voir qu’un être de cette perfection avait pu devenir la dupe d’une femme de trente-huit ans, furieuse surtout contre cette Sylvina, qui me semblait être bien criminelle de mettre de la sorte un trop complaisant jeune homme à des épreuves capables de l’abîmer. Et combien donc, malheureux ? lui demandai-je avec humeur. — Neuf fois complètes je lui prouvai la haute opinion que j’avais de sa beauté. — Neuf fois ! m’écriai-je ; ne faudrait-il pas proscrire de la terre des vampires de cette inhumanité ! Poursuivez. — Je vais donc augmenter votre humeur et m’attirer de nouvelles invectives. »