Monographie ornithologique/Les nids curieux

André Philipon
Monographie ornithologique
Les nids curieux des petits oiseaux
Tome 17 et Tome 18 (p. 332-334).

LES NIDS CURIEUX DES PETITS OISEAUX

Quand le soleil de juin crible de ses flèches les taillis et les champs, un hymne de bonheur et de reconnaissance plane sur la terre en fleur, s’épand en notes graciles et fraîches, harmonie divine dont les exécutants invisibles sont les petits oiseaux. En cet heureux temps, chaque buisson, chaque trochée recèle un nid, les touffes d’épine noire, les jaunes cytises deviennent le rendez-vous préféré des chanteurs ailés, et c’est dans un concert perpétuel que se bâtissent et s’élèvent ces édifices fragiles éclos chaque année au souffle ardent du renouveau.

Qu’ils sont coquets et légers, ces nids qu’un inéluctable instinct suggère à l’oiseau ! Quelle merveilleuse entente des sciences dont l’homme, présomptueux, croit être seul à détenir les secrets ! Tour à tour charpentier et maçon, menuisier, tisserand, décorateur de goût, il semble que cette petite âme emplumée se hausse, sous l’empire de l’amour maternel, au degré d’intelligence dévolu aux êtres les plus haut placés dans l’échelle naturelle.

En juin, une promenade à la campagne n’est pas seulement un plaisir, une leçon de choses instructive, c’est encore matière à rêveries et à problèmes déconcertants par leur variété et leur profusion.

Un coup d’œil, hâtivement jeté sur les demeures des oiseaux, va nous renseigner sur leur originalité.

À tout seigneur, tout honneur : j’entends là-bas, sur ce grand frêne, le chant flûté du loriot. Sa voix grasseyante et moqueuse semble encore obstruée par les noyaux des cerises dont, l’an dernier, il s’est gavé. Certainement le nid n’est pas loin. Tenez, voyez là-haut, à l’intersection d’une maîtresse branche, un amas de menues herbes sèches qui, de loin, affecte la forme d’un minuscule bénitier. Si l’arbre était d’un abord plus facile et qu’on y pût grimper, voici ce que nous y verrions : une coupe circulaire, merveilleusement tressée, exempte pourtant du confort superflu et habituel à beaucoup d’espèces, tel que lits de plumes et de crin, canapés rembourrés de duvet ou de coton. Non, rien autre que de souples libres ; mais quelle entente de la construction et quelle solidité de l’ensemble ! Les bordures du nid s’enroulent autour des branches de telle sorte que, pour l’en arracher, il faudrait briser l’édifice tout entier. Quant aux fondations, elles sont souvent quelconques. L’élégant compère loriot, vêtu d’or et de soie noire, est un éclectique : ramasseur de n’importe quoi, n’importe où, j’ai bien souvent rencontré dans les fondations de sa demeure de larges morceaux de papier ou de chiffons glanés au hasard de ses courses… Peu lui chaut, pourvu que ses œufs blancs piquetés de noir reposent sous les ailes de sa compagne, au bercement du zéphyr !

Devant nous vient de s’envoler un oiseau de même taille que le loriot, mais de costume plus effacé. À son cri d’alarme, j’ai reconnu la grive, la gentille grive chanteuse au plastron semé de larmes brunes. Dans ce lierre gît son nid. Cette fois, ce n’est plus un tisserand que je vous présente, c’est un habile architecte, et sou travail force notre admiration. C’est une bâtisse de bouc durcie, lissée intérieurement, entrelacée de brindilles au dehors. De fragiles œufs bleuâtres reposent sur la terre nue et dure comme l’aire d’une grange. La grive ne dorlote pas ses petits dans du coton ; elle préfère les élever à la bonne école et ceux-ci ne s’attardent pas à une mollesse coupable…

On imagine, non sans surprise, en voyant le volume de boue que l’oiseau a aggloméré pour sa construction, quelle persévérance a demandée un pareil résultat. Je m’en suis un jour rendu compte. Ayant découvert un nid à demi terminé sur une tête de vieux saule, je le détruisis. Le lendemain, voyant, vers les mêmes parages, le propriétaire dépossédé multiplier les allées et venues, je le guettai patiemment. Courageux comme un oiseau, il s’était remis à bâtir. Trouver remplacement me fut facile. Je suivis les progrès de la nouvelle maison, et, trois jours après, c’était chose terminée.

Les buissons d’aubépine, les échevellements de clématite sauvage sont le lieu de prédilection de la plupart de nos oiseaux chanteurs. Sous les épaisses frondaisons où l’œil a peine à pénétrer, dans l’ombre discrète des rameaux, les chères couchettes sont à l’abri des rapaces et des petits carnassiers. Là encore, nous rencontrerons de merveilleux chefs-d’œuvre d’amour maternel. Voici d’abord le nid du troglodyte, fabuleux amas de feuilles de chêne reliées par des brindilles de bouleau, dont l’imposante masse représente quarante ou cinquante fois le volume de son constructeur. Véritable boudoir de petite maîtresse, l’intérieur se capitonne de plumes et de laine que le troglodyte va glaner le long des chemins. Une fenêtre est ménagée sur le côté, par laquelle les jeunes, dans la quiétude du jour, montrent leurs délicates frimousses qu’éclairent une paire de grands yeux étonnés.

Plus loin, sur ces pommiers en fleur, voici deux charmantes corbeilles qui, quoique d’aspect un peu différent, sont l’une et l’autre de même style. Chardonnerets et pinsons font bon ménage et souvent le même arbre les abrite. C’est une merveille de confort et de grâce que la maison du pinson, tissée d’un fin coton arraché aux graines du peuplier, qu’une épaisse couche de plumes et de crin garnit à l’intérieur. L’extérieur, tout givré de mousse et de lichen, se confond avec le ton de l’arbre auquel il s’accote. Rien n’égale la mollesse et la tiède chaleur qui règnent à l’abri de ce chaud manchon.

Quand les jeunes s’endorment, leur bec ourlé de jaune faisant saillie parmi les plumes qui commencent à poindre, il semble qu’ils aient conscience du bien-être dont les parents les entourent !

Mais nous voici au bord de l’eau. Là aussi, le concert bat son plein parmi les joncs fleuris et les saules éplorés bordant le ruisseau tour à tour calme ou tumultueux. Le même alléluia d’amour monte parmi les âcres parfums des « reines des prés » et des glaïeuls mouvants. Sur de flexibles sommités de roseaux, balancé au moindre souille, se cramponne le nid de la fauvette effarvatte. Quel fragile édifice ! Et quelle audace il faut à l’oiseau pour bâtir au-dessus de l’abîme ! Une rafale, un brusque mouvement des oisillons, et voilà l’équilibre détruit, la couvée précipitée dans l’eau, un désastre complet en perspective !…

Eh bien, non, l’architecte a le coup d’œil si sur, la couche est si profonde et si stable, que ni la colère de l’aquilon, ni les évolutions des jeunes ne viendront compromettre leur sécurité. Leur seul ennemi, celui qui ne désarme jamais, c’est l’enfant cruel et désœuvré qui brise distraitement ces précieuses existences lorsque l’instinct de l’effarvatte n’a pas mis entre sa convoitise et le nid une suffisante barrière.

En continuant notre promenade, nous aurions cent occasions de nous extasier devant les œuvres de nos oiseaux chanteurs. Dans nos jardins, à l’abri de nos toits aussi bien qu’au plus profond du bois, il y aurait sujet à études et à émerveillement. Que dire des nids de l’hirondelle familière que chaque printemps ramène aux lieux qui l’ont abritée la saison passée ? Et celui de ce maître chanteur qui s’appelle le rossignol, n’est-il pas admirable d’élégance simple, tout feutré de feuilles mortes et de fibres de chiendent ? Et celui du beau merle noir, et ceux des diverses fauvettes, constructions aériennes et ajourées qu’un souffle semble devoir anéantir, et qui trouvent cependant la résistance nécessaire à l’élève d’une nombreuse couvée ! Il les faudrait tous citer, mais bornons-nous à signaler aux amants de la nature les nids qui viennent d’être passés en revue ici, souhaitant que, devant tant d’ingéniosité, tant de rudes labeurs, l’enfant fasse grâce à ces mignons et laisse croître en paix nos meilleurs auxiliaires contre l’invasion redoutable des insectes nuisibles.

André Philipon.