Société Parisienne d’Éditions (p. 28-32).

CHAPITRE VI

Martine était certaine que son maître était innocent. Elle s’en était ouverte à Annette revenue à la gentilhommière depuis la veille.

— Puisque ce n’est pas moi, avait gémi la jeune femme, ce ne peut être que lui. Il a avoué.

— Vous aussi.

— Je voulais le sauver !

— Et s’il s’était accusé pour vous sauver, lui aussi.

— Mais qui aurait tué Brigitte ?

Qui ? Martine se posait à nouveau la question.

Le matin même, en jardinant, elle avait trouvé, enfoui dans la terre qui entourait un cactus géant, le revolver qu’elle connaissait bien. Elle n’en avait rien dit à personne.

Bribes par bribes, elle avait arraché à sa maîtresse le récit détaillé de la journée tragique. Cela ne lui apprenait pas grand-chose. Martine n’avait jamais lu de roman policier. Ses seules lectures étaient celles du journal local. Mais elle possédait un ferme bon sens qui lui servait de logique. Et c’est pourquoi elle décida de mener elle-même son enquête. S’étant habillée comme pour aller à la messe, elle partit à la ville, le revolver dans le sac.

La plume de son chapeau au vent — elle adorait les plumes — elle se rendit à l’hôtel Régina.

Entrée par la porte de service, elle déjeuna à l’office avec la cuisinière qui était de son village. On parla de Brigitte Hallier. Et elle apprit que Pierre Barral était son amant et que tous deux avaient eu, la veille du meurtre, une dispute dont les échos n’avaient pas été muets pour la domesticité.

— Et s’il l’avait tuée, dit-elle.

— Impossible, affirma un maître d’hôtel. Il a mangé dans sa chambre à huit heures et a joué au bridge toute la nuit avec trois autres amis qui l’ont rejoint. J’ai été, à plusieurs reprises, leur servir à boire.

La valeur de l’alibi s’imposait entière à la servante. Le meurtrier de Brigitte l’avait suivi à la campagne. Donc Barral était innocent.

Alors, qui ? Elle repoussait l’idée d’un vagabond tuant pour rien, gratuitement. Il ne restait qu’un élément étranger à l’affaire : Robert Gardaire. Mais pourquoi aurait-il voulu se débarrasser de Brigitte alors que c’est à Annette qu’il en voulait ?

Poussant un soupir insatisfait elle se mit à sa recherche, sans même savoir s’il était encore là. Vers la fin de la soirée, pénétrant dans un hôtel de quatrième ordre — elle avait visité tous ceux de la ville — elle s’entendit répondre :

— Monsieur Gardaire ? Troisième étage. Chambre 23.

Martine monta l’escalier sans tapis, aux marches usées par les pas. Arrivée devant la porte où s’inscrivait le numéro donné, elle frappa.

Personne ne répondit. Sans hésitation, elle entra et elle aperçut un homme très pâle couché dans un lit en désordre. Il semblait avoir perdu connaissance.

Martine était prompte à se
En jardinant, elle avait trouvé, enfoui dans la terre, le revolver qu’elle connaissait bien (page 28).

décider. Avec des gestes précis, elle le ranima. Puis ayant appelé la souillon qui desservait l’étage, elle fit mander un médecin. En l’attendant elle rangea la chambre, tout naturellement et refit le lit du malade. Celui-ci ouvrait les yeux.

— Ne parlez pas, ne vous fatiguez pas, chuchota-t-elle en se penchant sur lui. Je vous soignerai.

— Pourquoi êtes-vous là ? demanda-t-il.

Elle haussa les épaules. Il n’y avait pas de pourquoi ! Martine était humaine voilà tout. Et elle avait déjà oublié la tâche qu’elle s’était imposée pour ne penser qu’à celle qui la sollicitait maintenant : porter aide à celui qui avait besoin d’elle.

Le docteur ausculta Gardaire, lui fit une piqûre et rédigea son ordonnance.

Sur le palier il expliqua à Martine :

— Crise d’angine de poitrine. Le cœur flanche. Je ne crois pas qu’il tienne longtemps. Ne voulez-vous pas le faire transporter à l’hôpital ?

— Non. Je m’occuperai de lui.

— Je reviendrai demain.

Ayant fait prévenir à la gentilhommière qu’elle ne rentrerait pas, Martine s’installa au chevet du mourant. Était-il coupable ? Allait-il, dans son délire, laisser échapper une phrase qui trahirait son secret. Mourrait-il sans qu’elle sache !

Mais l’homme ne délirait pas : Il la suivait des yeux avec, parfois, une lueur d’angoisse.

— Qui êtes-vous, lui demanda-t-il alors qu’elle l’aidait à boire.

— Martine. La servante d’Annette Dejean.

Il repoussa la tasse d’un geste si brutal qu’il lui arracha un cri de douleur.

— Elle est… elle est morte !

Martine le regarda étonnée, crut qu’il divaguait, mais il n’avait pas de fièvre. Devenait-il fou ?

Elle ne répondit rien. Gardaire, les yeux exorbités, haletant, une main sur ce cœur dont il semblait vouloir retenir les battements, réussit à bégayer :

— Elle est morte… Et c’est moi qui l’ai tuée.

De grosses larmes glissèrent sur ses joues. Il retomba sur l’oreiller, à bout de forces.

Martine s’affola : il ne fallait pas qu’il succombe… pas avant d’avoir avoué. Elle comprenait tout… Gardaire était l’assassin. En tirant sur Brigitte il avait cru supprimer Annette. Il s’était glissé dans la pièce… Il avait pris le revolver… Un corps de femme dans un lit… Ce ne pouvait être qu’elle… Il avait visé. L’orage avait repris de plus belle. On n’avait pas entendu le coup de feu dont le bruit s’était confondu avec celui du tonnerre.

Rentré dans son hôtel il était tombé malade. Déjà son cœur était usé par la vie qu’il avait menée et par ses années d’emprisonnement. Son geste meurtrier l’avait achevé. Il n’avait pas lu les journaux, malade et délaissé comme il l’était.

Pour elle, il n’y avait plus de mystère. Mais il fallait des preuves pour délivrer Jacques. On ne la croirait pas sans cela.

Gardaire semblait mort. Tout était donc perdu.

Juste, à ce moment, on frappa. Elle courut ouvrir la porte et accueillit le médecin comme un sauveur :

— Il faut le prolonger de quelques minutes… Il doit parler. Je vous expliquerai.


Martine s’installa au chevet du mourant (page 30).

L’homme de science fit une piqûre sans rien demander.

Il s’éloignait quand Martine lui fit signe de rester. Il s’immobilisa près de la porte, toujours silencieux.

Gardaire reprenait connaissance. Alors la servante prit le revolver qu’elle tenait dans son sac à main et le lui montra :

— C’est avec cette arme que vous avez tiré ? N’est-ce pas, interrogea-t-elle.

— Vous l’avez retrouvée dans le jardin, où je l’ai enterrée.

— Oui.

Il reprit son souffle puis d’une voix plus forte :

— Je sais que je suis fichu. Je suis content qu’elle soit morte. Je vais aller la rejoindre…

Martine eut, une seconde, l’idée de laisser le mourant s’illusionner. Mais ce n’était pas possible.

Elle fut cruelle. Penchée sur lui elle lui expliqua sa méprise. Il s’était trompé de victime.

— C’est affreux ! soupira-t-il.

— Maintenant vous pouvez la sauver, lui rendre le bonheur.

— Et pourquoi serait-elle heureuse… Je n’ai jamais eu de chance, moi.

— Finissez bien votre vie, supplia-t-elle.

— Cela m’est égal.

Martine prit son chapeau et, d’un ton décidé :

— Dans ce cas, je pars.

— Non. Restez !

Il avait peur d’être seul pour mourir.

Cette présence bonne et attentive l’aidait. Il ne voulait pas la perdre.

— Je ferai ce que vous voudrez, dit-il enfin.

Le chapeau emplumé rejoignit le porte-manteau.

La douce main de Martine glissa sur le visage du moribond.

— Vous allez tout raconter au docteur, il l’écrira et vous signerez le papier.

En bonne paysanne elle savait la valeur des papiers duement signés.

Gardaire s’exécuta. Martine avait deviné juste. Elle n’apprit que quelques détails. L’assassin était venu par l’autocar, mais s’était arrêté à un village éloigné de dix kilomètres. Il avait fait le reste du chemin à pied sous la pluie. S’étant couché dans le garage il s’était endormi. Vers trois heures du matin, il s’était dirigé vers la maison dont la porte d’entrée n’était pas fermée. Sur le seuil il avait enlevé ses chaussures pour ne laisser aucune trace de pas.

Une veilleuse donnait une faible lumière. Il avait vu une forme endormie. Ayant trouvé sans peine le revolver dans le secrétaire, il avait tiré. Et il était reparti à son point de départ. Après il était tombé malade et il serait mort sans parler et sans rien savoir de sa méprise si Martine n’était venue.

Martine rentra trois jours plus tard au village. Elle venait de suivre, seule et attristée, l’enterrement de Gardaire.

Il était mort réconcilié avec les hommes et avec Dieu car le prêtre, qu’elle avait amené à son chevet, avait su trouver les mots simples qui touchent ceux qui vont quitter la vie.

Un double cri de joie accueilli son arrivée. Annette et Jacques libéré depuis peu, l’embrassèrent à tour de rôle.

— Vous m’avez sauvé, Martine, fit Jacques.

— C’est vrai, Monsieur. Mais pourquoi avez-vous voulu vous perdre ? Vous auriez mieux fait de vous expliquer avec Madame. Avec tous vos mensonges, l’un croyant l’autre coupable et s’accusant pour lui, je n’arrivais plus à m’y reconnaître. Que s’est-il passé au juste ?

— Annette voulait tuer Brigitte. Elle n’en a pas eu le courage au dernier moment. Je suis descendu dans le salon, peu de temps après elle, pour chercher les lettres. En tâtonnant — la veilleuse éclairait à peine — j’ai trouvé le revolver sur le divan et l’ai remis à sa place. Je suis remonté sans rien avoir trouvé. Quand ma femme m’a dit qu’elle avait tué — ou quand plutôt j’ai arrêté ce que je croyais être un aveu sur ses lèvres — j’ai cru comprendre qu’à ce moment Brigitte était déjà morte. Au contraire, elle m’empêchait de parler pour ne pas entendre de ma bouche que j’étais coupable.

— C’est bien embrouillé tout ça, soupira la servante. J’espère que vous et Madame vous tiendrez tranquilles maintenant.

— Nous promettons d’être sages, dirent-ils en même temps.

— Et puis, continua-t-elle d’une voix ferme, il y a encore une chose que je voudrais vous demander.

— Ce que vous voudrez, Martine.

Eh ! bien, que Madame n’écrive plus de romans policiers. Vous voyez où ça mène de fréquenter des assassins, même sur des livres !

Michèle NICOLAI.
FIN