Société Parisienne d’Éditions (p. 9-12).

CHAPITRE II

Annette s’habillait avec des gestes fébriles. Elle voulait quitter la maison, partir, échapper à son tourmenteur, se désintéresser de la peine qu’aurait Jacques. Une sorte de panique s’était emparée
Alors ? siffla-t-il entre ses dents serrées. As-tu réfléchi ? (page 10).

d’elle. Elle était incapable de raisonner…

Juste à ce moment, le téléphone sonna dans la maison déserte. Elle décrocha l’appareil d’une main tremblante. Si c’était Jacques, elle sentait qu’il lui serait impossible de lui répondre… Mais la voix qui lui parvenait, éloignée par la distance, était celle d’un inconnu.

— Madame Annette Dejean ? demandait-elle.

— Oui, c’est moi.

— Je suis venu de Paris pour vous voir. Mais à la gare on me dit que je ne peux atteindre votre maison que ce soir par le service d’autocar. Avez-vous une voiture ?

— Oui.

— Pouvez-vous me rejoindre tout de suite. Je suis Gil Ray, le metteur en scène. Je veux votre accord pour tourner « Mon premier crime ».

— Impossible !

— Ce mot n’existe pas au cinéma. Votre prix sera le mien.

— On a assez parlé de ce livre. Je ne veux plus qu’il en soit question.

— Vous ferez ce que vous croyez devoir faire. Mais consentez seulement à me voir… Je serais désolé d’avoir fait ce voyage inutilement.

Annette hésita. Gil Ray ajouta :

— Je suis dans le hall de l’hôtel Régina. Je vous attendrai jusqu’à ce que vous veniez…

Déjà il avait raccroché.

Annette était indécise. Mais son idée de partir fut la plus forte. Elle grimpa dans sa petite Peugeot ; démarra et se dirigea vers la ville. En désordre, ses pensées se heurtaient dans sa tête. Si Jacques n’allait plus l’aimer… le supporterait-elle ?… Pourquoi pas tout de suite. Un coup de volant plus fort et elle irait briser la voiture contre un arbre. Plus que sa jeunesse et l’instinct vital la retint l’idée de sa haine pour Gardaire. Il fallait lutter. Tout reconquérir. À cela il n’y avait qu’une issue. Raconter à son mari ce qu’elle avait cru bon de lui cacher. Il comprendrait. Il finirait par lui pardonner… Elle connaîtrait encore auprès de lui des minutes ineffaçables.

Cette décision prise, elle se sentit soulagée.

En arrivant à la ville, son premier soin fut de s’arrêter pour téléphoner à Jacques.

La secrétaire de celui-ci lui affirma qu’il était absent.

— Mais voyons… je croyais qu’il devait rester là toute la matinée…

— Il est venu à l’heure habituelle et il est reparti tout de suite…

— Bon !

— Y a-t-il un message à lui laisser ?

— Non, je retéléphonerai.

La jeune femme resta pensive. Encore une fois, tous ses plans étaient changés. Que s’était-il passé pour que Jacques, qui attendait ce jour là un gros client — il lui en avait longuement parlé la veille — se fut absenté ? Cela avait-il un rapport avec son attitude de la veille. À nouveau, l’angoisse l’habita.

— Je vais attendre, soupira-t-elle.

Pour faire passer le temps il ne lui restait qu’à aller voir Gil Ray. Après tout, le metteur en scène la distrairait de sa peine pour un moment. Et, puisque le mal était fait, puisque le passé était ressuscité, autant profiter de la chance qui s’offrait. Si son mari refusait de se réconcilier avec elle, elle aurait besoin d’argent pour vivre. Dans le cas contraire, elle utiliserait cette somme pour dédommager Robert. Vis-à-vis de lui elle avait contracté une dette.

Brusquement, celui auquel elle pensait surgit devant elle. Il n’y avait rien d’étonnant à cela car la ville était très petite et toutes ses rues tombaient comme des fleuves dans la mer dans une artère principale où les mêmes gens passaient et repassaient.

Annette avait arrêté sa voiture devant un de ses fournisseurs et se rendait à pied à l’hôtel Régina. Quoi d’étonnant à ce qu’elle rencontrât Robert !

Sans la saluer, Gardaire emboîta le pas à la jeune femme.

— Alors, siffla-t-il entre ses dents serrées. As-tu réfléchi ?

— Oui. Ma décision est prise.

— Bravo. Nous pouvons partir tout de suite pour Paris.

— Il n’en est nullement question. Bien au contraire. J’ai l’intention de tout avouer à mon mari.

— Joli cadeau à lui faire à cet homme ! Et que penses-tu qu’il décidera ?

— S’il me garde, je passerai ma vie à lui faire oublier celle que j’ai été et que tu me forces à lui découvrir maintenant.

— Et s’il te quitte ?

— Jamais je ne reviendrai vers toi.

Il sut qu’elle était sincère. Il jura à haute voix, faisant retourner vers lui deux paisibles promeneurs. Mais Annette ne broncha pas, insensible au scandale qu’il pouvait faire. Elle avait atteint un point où tout lui semblait indifférent.

Elle n’avait plus peur de l’homme qui marchait à côté d’elle. En supprimant ses possibilités de chantage, elle croyait l’avoir désarmé. Si à cet instant elle eut regardé l’expression qui déformait son visage elle eut changé d’avis.

Mais elle marchait droit devant elle, comme un automate et c’est avec une réelle surprise qu’elle s’aperçut tout à coup qu’il l’avait quittée en chemin.

Elle eut un soupir de soulagement.

De ce côté-là, l’affaire était réglée.

C’est d’un pas plus léger qu’elle franchit la porte du Régina. D’un fauteuil confortable surgit Gil Ray. Selon les meilleures traditions, il portait une culotte de golf et des lunettes cerclées d’écaille. Il l’interpella joyeusement :

— Hello ! Je savais bien que vous vous décideriez.

— En effet. Je vous écoute.

— Cinquante mille « casch » pour l’achat de votre œuvre. Le double pour faire les dialogues.

— Est-ce tout ? rit-elle, ahurie par l’énoncé de ces chiffres extravagants.

— Non !

Il la regardait avec une étrange fixité. Elle était plus que jolie, curieuse, très personnelle, merveilleusement proportionnée. Et son regard était le plus chaud, le plus expressif, le plus étrange aussi qu’il eut jamais vu.

— Non, continua-t-il. Ce n’est pas tout. Je vous offre un beau contrat si vous voulez tenir le rôle de l’héroïne.

Elle sursauta :

— Moi ! Quelle idée ridicule !

— Pas tant que cela ! On a dû vous dire souvent que vous ressembliez à une petite fille, on a dû voir en vous la femme-enfant rêvée. Mais je suis certain que vous êtes autre chose. Vous seriez une criminelle rêvée.

Elle se leva, réellement en colère cette fois.

— Cela suffit, Monsieur. Cette conversation me semble déplacée…

— Voyons, je parle cinéma. Vous feriez une criminelle pour l’écran. Ne soyez pas choquée.

— En tout cas, laissons votre dernière proposition de côté… Pour le reste, je suis d’accord.

— Parfait. Vous n’avez qu’à signer ce contrat.

Elle s’étonna :

— Vous étiez si sûr de mon acceptation ?

— Certain. Vous voyez que j’avais raison. J’ai même préparé un chèque.

Cinq minutes plus tard, l’affaire était conclue, ils échangèrent une poignée de main.

Annette sentit qu’elle avait très faim.

Depuis longtemps l’heure du déjeuner était passée. Elle se dirigea vers le salon de thé vide à cette heure. Elle finissait de se restaurer lorsqu’elle vit son mari arrêté devant l’éventaire de la fleuriste qui se tenait dans le hall. Il choisissait des œillets pourpres… des œillets, les seules fleurs pour lesquelles Annette se sentait une véritable répugnance. C’était donc pour une autre femme ! Mais laquelle. Est-ce possible qu’il eut une maîtresse !

Non, elle le connaissait trop bien… Il était incapable de mensonge. Il devait y avoir, à son geste, une raison toute naturelle. Une politesse à faire…

Jacques, ayant réglé son achat, se dirigeait vers l’ascenseur et disparaissait dans l’étroite cage.

Annette eut envie de courir derrière lui, mais elle eut honte de son manque de sang-froid. Elle se contenta d’attendre à la même place, incapable de bouger…

Les minutes s’égrenèrent lentement… Une heure se passa sans que Jacques fut redescendu…

— Il vaut mieux rentrer, décida-t-elle… Ce soir il m’expliquera…

Mais elle sentait une sorte de bête cruelle qui la mordait au creux de l’épigastre…

Elle ne sut jamais comment elle rentra chez elle.

À peine était-elle revenue qu’un orage éclata avec une terrible violence.

Martine n’était pas rentrée. Seule dans la vieille maison, Annette guettait le retour de son mari.

Plus qu’une demi-heure et il serait là… Elle irait à sa rencontre, se blottirait contre lui et se confierait. À son tour, il dissiperait son angoisse. Et fout en serait au même point qu’hier…

Le bruit familier de l’auto la fit bondir vers la porte.

— Annette ! criait la voix de Jacques.

— Me voici, mon amour ! répondit-elle.

Elle ouvrait le battant, s’élançait.

— Brigitte m’a accompagné. Elle est trempée… Occupe-toi d’elle… dit-il brièvement.

Et elle vit Brigitte Hallier, blonde, grande, un peu dédaigneuse, sûre d’elle-même et de son pouvoir sur les êtres, qui s’avançait.

Contre son manteau ruisselant, elle tenait une botte d’œillets pourpres dont l’odeur poivrée et vivace monta vers elle.