Mon berceau/Les Diligences

Bellier (p. --208).

Les diligences


Lenteurs du passe — les baptêmes populaires — tuées par les chemins de fer — toujours en avant !


La grève des omnibus est terminée, heureusement terminée et, à ce propos, je pense qu’il n’est peut-être pas inutile de sacrifier ici même un peu à l’actualité rétrospective, si ces deux mots ne hurlent pas trop de se trouver accouplés, en parlant des diligences.

Aussi bien, la diligence de toute éternité a eu son berceau, a crû, est devenue grande fille et est morte dans le premier arrondissement ; c’est une enfant du quartier et je lui dois bien, à travers les récits charmants et déjà lointains de mes grands parents, ce souvenir attendri que l’on accorde à tous ceux qui ne sont plus.

Je relisais dernièrement quelques lettres de l’immortelle marquise, suivant le cliché consacré, et cette phrase m’a parue délicieuse d’archaïsme :

« J’ai vu passer les diligences ; je suis persuadée plus que jamais qu’on ne peut point languir dans une telle voiture ».

Eh ! la pauvre, que dirait-elle maintenant si on l’emmenait dîner à Bordeaux après avoir tranquillement déjeuné en train-restaurant ? et Napoléon Ier lui-même qui affirmait qu’ « on peut mesurer les progrès de la prospérité publique aux comptes des diligences », nous parait bien rococo ; en voilà un qui n’est plus dans le train !

Je ne veux pas faire ici l’histoire des diligences, il y aurait longtemps que la direction des ballons serait trouvée avant que je n’ai fini, mais simplement rappeler les noms des plus célèbres de celles dont les syllabes chantantes, sonores et pittoresques évoquent encore dans notre esprit les images d’antan, avec, en même temps, un bon et doux parfum de sympathiques vieilleries.

Les Turgotines, lourdes, lentes, laides, furent remplacées en 1794 par les diligences, lorsqu’une loi se décida enfin à déclarer libre l’industrie des messageries. Alors, pendant cette période tourmentée, beaucoup d’entreprises surgirent comme des champignons ; grandes et petites étaient les bienvenues, elles n’avaient qu’un faible inconvénient, celui de tuer les voyageurs dans de larges proportions et sur les routes.

Aussi le décret impérial du 20 mars 1805 — saluez le marronnier — soumet toutes les entreprises de diligences à une autorisation préalable, avec une indemnité aux maîtres de poste.

Il n’y allait pas de main morte, le Corse aux cheveux plats ; cette fameuse indemnité aux maîtres de poste atteignait 12 millions en 1840 et toutes les compagnies tombèrent comme des capucins de carte.

Une seule, fondée avant la Révolution, put résister aux exigences du nouveau décret, ce qui constitua pour elle une espèce de monopole de fait qu’elle garda longtemps. Elle était établie dans le deuxième arrondissement, rue Notre-Dame-des-Victoires, sous le nom de Messageries royales et, dans les villes de province, on l’appelait simplement : le grand bureau.

Vers ce temps, c’est-à-dire entre 1810 et 1845, un seul voyageur périssait sur 350 000 et l’on trouvait cela idéal ; aujourd’hui en chemin de fer il en périt un sur 16 millions et l’on se plaint.

Mais à part cette grande compagnie des Messageries de la rue Notre-Dame-des-Victoires ; toutes les entreprises similaires avaient leurs bureaux, leurs remises, leurs écuries, leurs points d’arrivée et de départ dans des cours immenses que nous avons tous connues, disparues depuis peu de temps, emportées en partie par la rue du Louvre et qui se trouvaient dans le premier arrondissement, c’est-à-dire rues Saint-Honoré, J.-J. Rousseau, du Bouloi, etc. Dans cette dernière rue la Ville de Paris avait même installé un bureau central pour la visite des bagages, et que l’on descendit des Messageries, des Laffitte et Gaillard, des Françaises ou des Gondoles, il fallait bien passer par là.

Toutes ces allées et venues des voyageurs inquiets, affairés, pressés, jetaient une animation extraordinaire dans ces rues étroites, où les postillons faisaient claquer leurs fouets et les chevaux sonner leurs grelots ; l’un attendait avec impatience la poule noire et celui-là venait assister au départ de la poule grise… Depuis les chemins de fer ont tué tout cela, les cours elles-mêmes ont disparu sous la pioche des démolisseurs et ont fait place à des maisons de rapport, mais cependant le premier arrondissement n’a point à se plaindre : il a les Halles Centrales, la Bourse du Commerce, la Poste et mille autres choses et les chemins de fer, en centuplant l’importance de Paris, en ont fait le premier arrondissement de la première ville du monde !… Je l’ai déjà dit, mais c’est une constatation utile qu’il est bon de refaire de temps en temps.

En 1870 l’ancienne Compagnie des Messageries royales avait encore son bureau dans l’immense local de la rue Notre-Dame-des-Victoires, occupé en majeure partie par les Messageries maritimes, et de là quelques employés géraient les derniers vestiges de diligences de la Compagnie qui existaient en Auvergne ou au Mont-Cenis… Aujourd’hui la dernière diligence est morte, aussi bien en province qu’à Paris, et les pataches que je suis allé voir l’année dernière au cœur même de la Bretagne ne méritent plus ce nom ; le chemin de fer passe partout et nous en sommes fort heureux.

Mais autrefois, à Paris, naissant toujours dans les rues du premier arrondissement, il y avait les voitures, moitié omnibus, moitié diligences, faisant le service de Paris et des environs, dont je dois dire aussi un mot ; si j’en crois les bouquins du temps, voici quelles étaient les principales entreprises de ce genre en 1835 : les Favorites, les Tricycles, les Dames Blanches, les Orléanaises, les Béarnaises, les Citadines, les Batignollaises et les Écossaises ; puis plus tard viennent les Hirondelles, les Gazelles, les Excellentes, les Constantines, les diligences proprement dites, etc., etc.

Parmi ces entreprises, beaucoup existaient depuis longtemps et un beau matin, dans un coup de joie, de folie ou d’enthousiasme, la population parisienne procédait au baptême de l’une d’elles ; c’est ainsi que les Constantines furent appelées de la sorte au lendemain de la victoire de 1837, et les Dames Blanches au lendemain d’un triomphe de Boëldieu ; ces dernières, toutes blanches, avec leurs chevaux blancs, étaient coquettes et fringantes au possible.

Du reste, toutes avaient leur livrée, leurs couleurs, si l’on peut dire, comme les jockeys d’aujourd’hui, les Parisiennes étaient vertes, les Béarnaises couleur chocolat, les Écossaises étaient rayées et bariolées comme le tartan d’une vieille anglaise, les Hirondelles étaient semées d’hirondelles sur un fond jaune, etc.

La correspondance entre les lignes de Paris fut inventée en 1836, ce fut un trait de génie.

Les impériales à 15 centimes furent créées en 1853.

La fusion des compagnies en une seule, telle qu’elle existe maintenant, s’est faite en 1855.

En voilà assez. Voulez-vous des renseignements sur les omnibus, les tramways, nord ou sud, d’aujourd’hui, allez trouver notre ami Mesureur ; c’est un homme charmant, tout à fait dans le… tram, comme disent les Belges.

Pour moi, j’ai constaté que l’histoire des diligences en France et celle du premier arrondissement sont intimement liées et ne forment qu’une seule et même histoire, j’en suis fier, comme étant né natif du quartier et ça me suffit.