Mon berceau/Le Palais-Royal est-il mort ?
LE PALAIS-ROYAL EST-IL MORT ?
Il y a des oiseaux de mauvais augure qui s’en vont répétant partout d’un air entendu que le Palais-Royal est mort ; j’ai voulu en avoir le cœur net et j’ai pensé que je ne pourrais pas mettre sous les yeux de mes lecteurs une meilleure preuve de la vitalité du Palais-Royal que la liste même des banquets de sociétés qui s’y donnent tous les soirs.
Cette liste est évidemment fort incomplète ; ou les restaurateurs ont négligé de me donner les renseignements demandés, ou ils ne fournissent que la liste des banquets suivis de bal et qui, par conséquent, restent plus tard que deux heures du matin.
Néanmoins, telle quelle, elle pourra encore jeter une vive lumière sur l’intensité de la vie et de l’activité commerciale qui régnent dans le Palais-Royal, quoi que l’on dise.
La plupart des restaurateurs m’ont fourni de fort bonne grâce les renseignements demandés ; un seul, l’associé de M. Laurent Catelain, directeur du Restaurant de Paris, dans la galerie Montpensier, m’a répondu qu’il se garderait bien de m’indiquer les banquets qui se font chez lui, car alors ses voisins iraient lui enlever ses sociétés !
J’ai salué ce monsieur très poliment et lui ai demandé si je ne pourrais pas voir ses ancêtres au Jardin des Plantes, parmi les momies du Muséum, ce qui a paru le scandaliser vivement.
Voilà pourtant où en sont encore certains de nos commerçants, en plein Paris ; c’est triste. Mais, malheureux, si l’on est bien chez toi, on y restera, et tu as tort de prêter des idées si noires à tes voisins : est-ce que le soleil ne luit pas pour tout le monde ?
Aussi bien, sans plus ample entrée en matière, voici la liste des banquets, par restaurant, avec le nombre de couverts, quand on me l’a donnée :
AU PALAIS-ROYAL
Et ce dernier n’est pas des moins amusants, car il n’est composé que de «fort jolies femmes.
Voici donc une liste de plus de 130 banquets mensuels, trimestriels, semestriels ou annuels qui ne représentent pas certainement le quart des banquets réguliers de sociétés qui tiennent leurs assises pantagruéliques au Palais-Royal chaque année ; du reste, je suis à la disposition des intéressés pour tenir compte de toutes les additions ou rectifications qu’ils jugeront à propos de m’adresser.
Il ne faut pas oublier qu’en dehors de tous ces banquets traditionnels, il y a tous les soirs au Palais-Royal, les bals avec soupers de sociétés, les noces, les banquets de particuliers et les milliers de provinciaux, d’étrangers et même de… Parisiens qui viennent dîner à la carte et à prix fixe, avant d’aller au théâtre, aux Français, ou au Palais-Royal.
C’est donc la vie dans ce qu’elle a de plus gai et de plus intense qui règne là en souveraine maîtresse, c’est la foule qui vit, s’amuse, mange ferme, boit sec et danse chaque nuit à jambes que veux-tu.
Aussi la musique sort-elle pimpante et entraînante par des centaines de fenêtres éclairées à giorno et tout le monde est-il content… sauf, l’austère architecte, l’honorable M. Chabrol, dont la vertu est bien connue de tous !
Cette jeunesse, cette gaîté l’affolent, cet homme, il est désolé de voir les locataires du Palais-Royal gagner de l’argent ; aussi il se venge en interdisant d’illuminer au 14 juillet.
Ce réactionnaire n’aime pas la République et l’on ferait bien de le renvoyer à ses chères études, car son maintien comme architecte du Palais-Royal est une insulte à nos institutions.
Si tant de sociétés — je crois rester dans la vérité en disant 5 à 600 — viennent chaque année et souvent plusieurs fois par an dîner gaîment au Palais-Royal, c’est qu’elles s’y trouvent bien et qu’elles y restent. Voilà comment on écrit l’histoire, en affirmant ex cathedra que le Palais-Royal se meurt.
Se mourir, le centre le plus vivant de Paris, allons donc, quelle bonne plaisanterie !
Et comme la lecture de cette liste est instructive pour le penseur, pour celui qui regarde à sa fenêtre passer la vie ; dans le même restaurant je vois le banquet des Allumeurs de gaz de Paris et celui de la Société théologique des pasteurs protestants, c’est-à-dire la lumière et l’éteignoir, ceux qui éclairent leurs concitoyens et ceux qui les abrutissent avec leurs fumisteries dogmatiques ; comme c’est amusant et comme c’est bien ainsi que va le monde !
Non, le Palais-Royal n’est pas mort ! il est plus vivant que jamais, c’est clair, c’est évident, c’est certain ; cependant personne ne s’occupe de lui, il prospère seul ; ce qu’il lui faudrait, c’est un homme de bonne volonté qui le défende, qui prenne en mains ses intérêts, qui les connaisse et soit à même de les défendre au sein des assemblées.
Voilà la vérité. Ce n’est pas son architecte qui soutiendra ses revendications, ses desiderata, et sur les autres terrains, il est, hélas ! aussi délaissé.
C’est là le malheur, car avec un peu d’activité et d’énergie, on pourrait en faire le centre le plus vivant du monde entier.
C’est aux intéressés à aviser en temps opportun et à savoir trouver la solution pratique que comporte une pareille situation.