Mon berceau/L’Hirondelle d’Horace Vernet

Bellier (p. 236-242).

L’HIRONDELLE

D’HORACE VERNET

le café de foy — la jeunesse d’un grand homme — trois légendes — authenticité douteuse.

Si vous voulez voir cette hirondelle simple, modeste, aux lignes arrêtées comme une esquisse de Puvis, mais célèbre dans le monde entier, indiquée dans tous les guides et faisant courir les anglais de loin, allez galerie Montpensier, entrez dans le magasin de bijouterie qui porte l’Hirondelle pour enseigne et vous pourrez la contempler tout à loisir.

Mais ceci demande une explication, aussi bien puisque le bijoutier a remplacé le célèbre café de Foy, la cage est aussi célèbre, aussi historique que l’oiseau et c’est pourquoi je veux parler des deux, à seule fin d’instruire sur ce grave sujet mes concitoyens du premier arrondissement qui ne sont pas si ferrés sur la matière que Messieurs les Anglais.

Le café de Foy, fondé dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, n’a disparu qu’en 1863 ; c’est surtout à la fin du siècle dernier, au lendemain presque de sa fondation, alors que Camille Desmoulins en sortait, entraînant à sa suite ses compagnons, grâce à ses paroles enflammées, que le café de Foy jouit d’une réputation européenne.

Cependant, à côté de cette grande figure, c’est par milliers qu’il faudrait compter les hommes célèbres, ou simplement originaux, qui y ont passé et ont laissé des traces dans le souvenir des vieux du quartier.

C’est le marquis de Ximénès toujours en gestation d’une tragédie ; Baculard d’Arnaud, toujours sans le sou ; Lebrun le nouveau Pindare, sobriquet qui n’a guère été confirmé par l’ingrate postérité ; Martin le Cynique, un toqué qui ne manquait ni d’esprit ni de courage ; Carle Vernet, le père d’Horace ; l’architecte Célérier ; le directeur du Vaudeville Barré ; le peintre Thévenin ; le fameux fabricant de bronze, Ravrio ; l’écuyer de l’empereur de Lourgès ; de Gontaut, et enfin Horace Vernet qui, tout enfant, y passait une partie de son existence au milieu de ses grands amis et était déjà la gloire et l’étonnement du cénacle.

C’est également du café de Foy que partit la première souscription en faveur de la tentative aérostatique de Montgolfier ; comme ami de la famille de Montgolfier et comme président des Aérostiers civils de la Seine, je ne saurais vraiment passer sous silence un fait aussi capital.

Donc, dans cette boutique carrée de la galerie Montpensier, pas bien grande, qui était autrefois le café de Foy et qui est aujourd’hui le magasin ouvert à tout venant d’un bijoutier, se trouve au plafond la fameuse Hirondelle d’Horace Vernet ; mais comment y est-elle venue et comment y est-elle restée ? voilà le problème posé et il ne semble pas facile à résoudre.

Mon premier soin a été de courir l’arrondissement en tous sens, à la recherche d’un médaillé de Sainte-Hélène ; celui-là, du moins, serait un témoin vivant, mais partout on m’a répondu : Il n’y en a plus, le dernier des vieux de la Grande-Armée, qui habitait le quartier, est mort il y a dix ans, il y a cinq ans, moins ici, plus là ; mais de témoins, pas l’ombre d’un. J’ai bien été obligé de me contenter des trois versions qui circulent discrètement sous les arcades du palais.

La première affirme qu’un beau matin, pendant que les deux ouvriers qui repeignaient le plafond étaient allés déjeûner, le jeune Horace, pour leur faire une bonne farce, s’était emparé de leurs pinceaux et avait jeté là, avec toute la fougue de ses vingt ans, l’Hirondelle qui devait faire bientôt un si joli chemin dans le monde, grâce aux ailes de la Renommée qui remplaçaient les siennes.

Naturellement, les malheureux barbouilleurs et le patron de l’établissement, ravis et esbrouffés, la conservèrent avec la vénération due au génie naissant.

Et d’une.

Si j’en crois la seconde, le dit plafond venait bien d’être remis à neuf, mais il était terminé et la fresque représentait un paysage plein de fraîcheur et de charme que le cafetier estimait en raison des pièces de cent sous qu’il lui avait coûté.

Un jour on déjeûnait gaîment, tout le monde était émoustillé par la verve de Carie Vernet et par quelques bonnes bouteilles de Champagne quand, tout à coup, Horace en débouche une maladroitement et crac ! le beau plafond tout battant neuf est maculé par le bouchon profanateur ; là-dessus pleurs, cris, lamentations du propriétaire, qu’Horace calme séance tenante en peignant dans l’azur du ciel une mignonne hirondelle à la place de la trace indécente, laissée par le bouchon mal appris.

Toujours d’après la tradition, le propriétaire passa du désespoir le plus sombre à la plus folle des joies et l’Hirondelle fut pour lui un coup de fortune.

Et de deux.

Enfin la troisième — apocryphe sans nul doute — veut qu’Horace ait simplement payé ainsi un bon déjeûner avec des camarades un jour de dèche noire.

Maintenant, lecteur, à toi de choisir entre les trois hypothèses, si tu l’oses.

Ce qu’il est bien curieux de constater, en tout cas, c’est que l’histoire du café de Foy et celle d’Horace Vernet, l’une contenant l’autre, sont intimement liées ensemble.

Ils naquirent, grandirent, connurent la gloire et moururent à peu près aux mêmes heures.

En effet, le café de Foy venait d’ouvrir ses portes quand Horace Vernet naquit au Louvre, le 30 juin 1789, et lorsque le grand peintre mourut, le 17 janvier 1863, le café de Foy ne devait pas tarder à plier bagage.

Tout cela est très joli, me dira peut-être un lecteur méticuleux, mais dites-nous en quelle année a été peinte l’Hirondelle.

Je répondrai à cela tout uniment :

1o Que la question est indiscrète ;

2o Que je n’en sais rien ;

3o Que d’après les souvenirs du quartier on peut estimer qu’elle a été perpétrée de 1810 à 1820 environ.

L’hirondelle, toujours jeune, vivante et pimpante, que l’on admire encore aujourd’hui au dit plafond, est-elle authentique, est-elle la vraie, la seule, l’incomparable, peinte dans un coup de folie, de joie ou de misère d’Horace Vernet ?

Ah ! pour le coup, voilà encore une question bien plus indiscrète. On sait que M. Lenoir, le dernier propriétaire du café de Foy, a laissé toute sa collection — merveilleuse — au Louvre et qu’il aurait bien eu soin d’y comprendre l’Hirondelle d’Horace, détachée de la fresque avec un morceau du plafond.

Est-elle au Louvre ? Il doit être facile de le savoir ; en tous cas, qu’elle y soit ou non, il est certain que l’Hirondelle actuelle occupe exactement l’emplacement de celle de Vernet — c’est déjà quelque chose — et en admettant qu’elle soit bien la primitive, elle a dû être tant de fois retouchée et repeinte qu’il serait bien malaisé d’y reconnaître l’œuvre du maître.

— Mais, sapristi, me disait hier le propriétaire actuel du magasin, le bijoutier, n’allez pas raconter tout cela surtout, vous enlèverez la foi aux Anglais qui viennent ici par milliers chaque année et vous savez, après avoir admiré l’oiseau, ils achètent un petit souvenir, ce n’est pas à dédaigner.

— Baste, la discussion est ouverte, le doute est permis, les Anglais peuvent conserver la foi et continuer à venir chez vous acheter le petit souvenir de l’Hirondelle et puis, vous savez, la conscience de l’historien avant tout.

— Tiens ! ça existe donc encore ?

— Impertinent !