Mon Amie Nane/III. — L’Apéritif chez la Marquise

Le Divan (p. 49-67).

==III - L’Apéritif chez la Marquise==

« Patribus cum plebe connubii nec esto. »
(Leg. XII Tab.)
Les mariages mixtes ne sont pas tous des unions modèles.


Ce ne fut pas un mariage d’inclination, que fit Jacques d’Iscamps. Il approchait de la trentaine, sans avoir pu décider encore, des tripots ou des hippodromes, où il est le plus aisé de perdre son argent. Du moins en avait-il avec ardeur embrassé l’occasion sur toutes les plaines vertes qui s’étaient offertes à ses yeux, pour ne rien dire de quelques-unes de ses contemporaines où il s’était plu coûteusement. Aujourd’hui, il songeait, la bouche amère, qu’enfin il était à la côte lui aussi : côte fâcheuse où tant de ses amis avaient déjà fait naufrage, côte inhospitalière où, parmi le roc, sous des huttes enfumées, rampent et se nourrissent huileusement de poisson des gérants de cercles, quelques notaires coriaces, et la puante tribu des fournisseurs au sourire mince.

L’idée du mariage flottait autour de Jacques : « Je ne puis pourtant plus taper maman », pensait-il ; de fait, la marquise d’Iscamps était bien capable de se ruiner toute seule et sans qu’on l’y aidât. Jusqu’ici le monceau de sa fortune avait résisté ; mais il semblait enfin qu’il s’entamât secrètement, et l’on y pouvait deviner des lézardes comme dans ces blocs de glace, au dégel, qui frissonnent à la base longtemps avant de s’abymer dans les eaux.

Mais des embarras où elle s’était trouvée sans doute, ayant depuis peu vendu des terres, elle n’avait rien marqué. Frivole, nonchalante, d’une naïveté un peu hautaine, il ne semblait pas qu’aucun chagrin pût altérer la bienveillance dont elle regardait la vie ; et son plus grave caprice aujourd’hui était de jouer à la douairière, se coiffant de dentelle et réclamant des petits-enfants à tout prix.

Le prix lui aurait paru peut-être un peu haut, si elle avait pu concevoir que l’amour n’entrait pour rien, et au contraire, dans la recherche que fit Jacques de la belle Mlle Blokh-Rosenbuisson, et qu’il n’y prétendait épouser autre chose qu’une fortune d’ailleurs mal acquise. Car M. Blokh en avait autrefois gagné le noyau en fournissant à l’armée russe des riz dont l’empire des Indes lui-même aurait refusé de nourrir ses administrés en temps de famine ; et même cela lui avait valu, au front de ces troupes qu’il avait failli affamer, une promenade du matin, en pyjama, et dont un knout rythmait l’allure. Paris, toujours ouvert aux martyrs de la politique, fit le meilleur accueil à ce fournisseur battu, comme à ses économies. Mais parmi les Français qui montrèrent le plus de cette hospitalité qui est une de nos grâces nationales, notre homme distingua surtout M. Rosenbusch, dit Rosenbuisson, jadis son coreligionnaire, et récemment converti au protestantisme par un groupe de libres-penseurs. Il poussa la sympathie jusqu’à en épouser la fille, ayant, du reste, peu de temps après son arrivée, trouvé, lui aussi, son chemin de Genève ; et, issue de tout cela, Georgette Blokh-Rosenbuisson faisait aujourd’hui une chrétienne très sortable, qui dédaignait sans doute le Talmud de Babylone ainsi que les crimes rituels, n’ayant gardé de ses ancêtres que l’habitude atténuée mais fâcheuse de se gratter hors de propos. Elle était enfin d’une beauté extrême, comme d’une extrême impudence.

Ce mariage, dès qu’elle y songea, lui plut. Très fine et parisienne, sinon Française, elle égrenait autour d’elle, depuis son enfance, tout un chapelet de parents et d’amis qui la dégoûtaient un peu. Il lui parut qu’une couronne de marquise, un château poitevin, un vieil hôtel rue de Bellechasse devaient, avec Dieu, suffire à la garder des siens ; et il n’était pas désagréable d’acheter le marquis avec, quand c’était comme celui-ci un beau gars, un peu massif, mais d’une vigueur élégante.

Elle sentait bien qu’il ne l’aimait pas, qu’il en était très loin, au delà même de l’indifférence ; et elle était assez pénétrante pour démêler sous sa politesse quelque chose qui ressemblait plutôt à de l’aversion. Mais ne pouvait-elle pas le conquérir plus tard ? Son imagination, déjà avertie, lui faisait voir, dans un corps aussi magnifiquement ordonné que le sien pour l’œuvre de la chair, les conditions secrètes d’un plaisir assez puissant pour faire oublier le bonheur.

Il y avait un motif moins pur encore aux projets de Georgette, et qui en dit trop long sur certaines vierges modernes pour ne le pas dévoiler. C’est qu’une de ses amies, plus âgée qu’elle et mariée, ayant pris, pendant quelques mois, Jacques pour amant, avait eu l’indiscrétion inusitée de venir le conter à la jeune fille : peu à peu elle avait fini par lui décrire tout le particulier de cette liaison, avec des détails tels que Georgette ne s’y plaisait pas toujours sans rougir. Il lui en resta du goût pour l’homme que sa pensée avait si souvent dévêtu, et comme des droits sur cette chair qu’elle n’eût pas mieux connue pour l’avoir pressée en tous sens de ses propres mains.

Quand Jacques se fut enfin décidé à sauter le pas, il ne resta plus qu’une difficulté, celle de religion, et qui se trouva légère. Georgette en effet n’hésita pas à pousser jusqu’au bout la conversion de sa famille, en sorte que Mme d’Iscamps n’opposa plus de résistance. D’ailleurs, pour le peu qu’elle l’avait vue, elle aimait presque Georgette et se réjouissait que cette âme de prix revint au giron de Rome. Jacques, d’autre part, lui avait juré que son bonheur dépendait de ce mariage ; et peut-être firent-ils bien de ne pas chercher à s’entendre trop exactement sur le sens du mot bonheur.

— Il me suffit, dit-elle, non sans dignité, d’être sûre que tu l’as choisie droite, au physique comme au moral.

Jacques songea avec un peu de mélancolie à la devise qui était la sienne : Droit ! et qui fut donnée par saint Louis à Hugue Poitevin d’Iscamps, guéri par miracle après avoir été laissé pour mort dans les sables de la Mansoure. Interrogé pourquoi il s’était mis si avant parmi les Sarrasins sans retourner, il répondit qu’on ne lui avait pas enseigné à faire virer son cheval.

— Moi, c’est les autos, pensa Jacques.

Son mariage décidément le laissait sans enthousiasme. Pour comble, il prévoyait, côté beau-père, des marchandages répugnants : l’homme l’était déjà, avec sa mine de chien qui se rappelle le fouet. Car il n’appartenait pas à la variété triomphante des Blokh, ayant l’air d’un cambrioleur qui vient de tomber sur un coffre-fort incrochetable ; et c’était une obsession pour Jacques, mais, aussitôt qu’il le voyait, une comparaison jadis entendue lui revenait en tête : Nous avons été volés, comme disaient les trois Juifs, retour d’Écosse. Et, dans ce milieu, qui allait être un peu le sien, où il se surprenait à compter les branches des chandeliers, sa fiancée lui semblait une chose sordide et magnifique, inventée, en haine de lui, par Rembrandt-van-Rhyn.

Il y avait autre chose où Jacques se trouva plus intéressé qu’il n’aurait cru : c’était sa maîtresse Hannaïs Dunois, plus connue sous le pseudonyme de Nane, et qu’il possédait en titre depuis que la mort de Bélesbat, l’homme des hauts fourneaux, avait affranchi cette belle personne d’une servitude d’ailleurs assez légère, et adoucie encore par des honoraires élevés. Jacques s’était attelé courageusement à cette succession : il avait tant de choses à pardonner à Nane qu’il ne savait plus rien lui refuser, et cela contribua à le ruiner comme aussi à le marier plus vite.

Car, juste retour, la courtisane, qui désunit certains ménages, en prépare d’autres, par l’obligation où tombent les célibataires qu’elle a mis à sac de rechercher dans un accouplement légitime les ressources qui commencent à leur manquer.

Mais Jacques souffrit à la pensée qu’il n’embrasserait plus ces membres souples et minces : que dans le petit hôtel de silence, où seul le rire faux de Nane perçait les tentures, sa chair d’ambre rayonnerait pour d’autres, sous les veilleuses. Et soudain il sentit de quel poids pesait sur son cœur la menue idole qu’il avait polie et parée de ses propres mains.

Car il fallait rompre : plusieurs siècles de convenance écrasaient Jacques de leur code héréditaire ; il fallait rompre, et sans l’espoir qu’on pût renouer plus tard. Car il savait aussi quel maladroit sacrilège c’est de reprendre une femme après un long intervalle ; et que le vin de Jurançon qu’on laisse, après en avoir bu, s’éventer dans la bouteille, n’est plus bientôt qu’une topaze insipide.

Jacques recula pourtant jusqu’à ses fiançailles, même un peu au delà. Déjà le mariage, sans avoir été annoncé, était connu un peu partout ; et il s’étonnait que Nane n’en fût pas encore avertie. Rien que sa mine à lui, et quelques précautions toutes nouvelles qu’il prit pour qu’on ne les vît pas trop publiquement ensemble, auraient dû la mettre en éveil. Mais il n’y parut rien, et quand Jacques enfin ne put pas reculer davantage, il n’osa affronter la scène prévue de désespoir : peut-être eut-il peur plus encore que Nane ne lui rît au nez en disant : « Je le savais. » Bref il prit le parti d’écrire.

La lettre était joviale, trop joviale ; et il y avait aussi le souvenir d’usage, mais assez gros pour consoler le plus solide désespoir de veuve. Jacques avait même éprouvé quelque joie en donnant par avance cette direction imprévue à l’argent Blokh.

Ayant lu la lettre de Jacques, qui décidément était maladroite, Nane, presque frénétique, cria, pleura, et cassa de la poterie. Peu s’en fallut même qu’elle ne déchirât le chèque propitiatoire où son nom était accompagné d’un gros chiffre : elle n’en fit rien pourtant, à la réflexion.

Ce courroux n’était pas raisonnable ; et il y avait longtemps que Nane connaissait les desseins de son amant, sans qu’elle s’en fût mise beaucoup en peine. Mais elle avait préparé pour la rupture tout un ensemble de pleurs, de langueurs, de pathétiques colères ; mais elle avait prévu la suprême étreinte, les caresses qu’on se donne encore une fois, qu’on ne se donnera jamais plus, et qui, d’être les dernières, semblent profondes comme la mort. Et voici que toute cette tragi-comédie ne serait pas jouée. Nane, après avoir écouté les pas de Jacques décroître à travers la porte ne retomberait pas brisée sur un sofa de couleurs assorties à son peignoir ; elle ne dirait pas d’une voix touchante : « Je connais les devoirs que votre monde vous impose » ; elle ne dirait rien, elle ne ferait rien, ou bien ce serait toute seule : Jacques renvoyait son rôle.

De tout cela il lui fallait une vengeance, sinon à la corse, au moins à la parisienne :

« Que pourrais-je bien faire, songea-t-elle, qui lui serait très désagréable ? » Et l’idée la plus saugrenue germa dans cette cervelle mousseuse.

Deux heures après, vêtue le plus sérieusement qu’elle avait su, elle descendait de voiture, rue de Bellechasse, devant l’hôtel d’Iscamps. Jusqu’au vestibule tout alla bien, et comme c’était justement le jour que Mme d’Iscamps recevait, elle allait être introduite tout de go, quand le hasard, qui avait voulu rire, fut déjoué dans ses calculs par le passage de Firmin, honnête domestique vieilli dans la maison, et tel qu’on n’en rencontrerait pas même dans les romans. Cet homme blanchi par l’âge, mais « à qui on ne la faisait pas », s’avança le plus vite qu’il put et dit poliment à Nane que « Mme la Marquise ne recevait pas ».

— Eh bien voulez-vous lui remettre ceci ? Et elle lui tendit une carte où elle avait d’avance écrit ces mots qu’elle jugeait propres à émouvoir : « C’est pour le bonheur de Jacques !!! »

La carte portait d’ailleurs, sous un tortil : Damoiselle Hannaïs Dunois, et Firmin, l’ayant prise sans paraître la regarder, di t à Nane le plus gravement du monde : « Mademoiselle la Baronne voudra bien attendre un instant : je vais m’assurer si Mme la Marquise est encore à l’hôtel. »

Entré au salon, sous prétexte d’arranger le feu, Firmin commença de faire à Mme d’Iscamps quelques-uns de ces signes discrets dont le destinataire reste en général seul à ne s’apercevoir point.

Ceux de Firmin devinrent plus énergiques : il trépigna doucement.

— Qu’a donc ce vieux ? se disaient les visiteurs. Quelqu’un aurait-il chapardé la pince à sucre ?

Enfin Mme d’Iscamps ayant regardé du côté du feu, Firmin lui fit une si effroyable grimace, qu’elle en fut toute saisie, et détourna les yeux, sans comprendre. Lui alors, ayant empoigné les pincettes, les précipita, non sans vacarme, sur la pelle, et, avec de nouvelles grimaces, se mit à balancer la carte de Nane vers la marquise, qui, ne tardant pas à se douter de quelque chose, passa dans un petit salon, où il la suivit.

Mise au courant, et fort épouvantée, car elle savait le nom de Nane et que cette fille passait pour bien tenir son fils : « Firmin, dit-elle, que faut-il faire ? Si je ne la reçois pas, elle va faire du scandale. On ne peut pourtant pas la faire entrer au salon — dans mon oratoire non plus — mon Dieu, mon Dieu ! »

— Si j’étais madame la Marquise, répondit Firmin (et cette hypothèse paraissait devoir être écartée), je la mettrais dans ma chambre à coucher. Personne n’entendrait rien, comme par exemple dans la salle à manger ; et on pourrait dire après que c’était une institutrice en commission.

— Eh bien, Firmin, décida la marquise avec un désespoir languissant, faites-la monter ; j’arrive tout de suite. Surtout n’en dites rien à M. le Marquis, s’il rentrait ; elle a peut-être du vitriol.


Dans la haute chambre Empire, qui depuis trois générations n’avait presque point changé sans doute, Nane se tenait debout, un peu intimidée tout de même, et consciente de n’être pas absolument à sa place. Autour d’elle des objets durs et magnifiques restaient hostiles ; des portraits aussi, pendus aux murailles, et en particulier le père de Jacques, feu le général marquis d’Iscamps, par Winterhalter, qui semblait lui darder une indignation militaire.

Mme d’Iscamps entra : elle était grande, paresseuse de gestes, avec des yeux étonnés et doux. Tout de suite elle parut aussi intimidée que Nane ; et elles restaient debout toutes deux, qui se regardaient en silence. Enfin la marquise dit :

— Qu’est-ce qui me vaut, Madame, ce... ce plaisir inattendu ?

Nane posa alors sur une table un ridicule assez gonflé :

— Voici, dit-elle, les choses... les lettres, enfin ; et puis d’autres bibelots qui sont à Jacques, des... des boutons de chemise...

Et elle éclata en sanglots ; c’était trop émouvant aussi, cette grande chambre, et cette mère si douce, si noble, et ce vieux militaire par Winterhalter. Déjà elle avait oublié les choses fines, désagréables, éloquentes, si bien préparées. Car elle avait décidé que cette grande dame « prendrait quelque chose pour son rhume » ; qu’elle s’entendrait dire, entre autres galanteries, que son fils était « le dernier des manants » (Vlan !) et que lorsque, perdant la tête, elle offrirait une grosse somme d’argent à Nane pour l’apaiser, celle-ci répondrait en propres termes : « Non, madame la Marquise ; ce qui m’a fâchée contre Jacques, ce n’est pas qu’il se choisisse une épouse, mais c’est le procédé. Et vous auriez beau m’offrir toute votre fortune, je ne suis pas encore assez croulante pour me faire entretenir par les familles de mes anciens amis. »

Mais voici que la mère ne se prêtait pas plus que ne l’avait fait le fils aux scénarios imaginés par Nane, et Nane elle-même, depuis un moment, avait changé de personnage ; elle se sentait « toute chose ». Appuyée à une table, comme pour ne pas tomber, et tandis que des pleurs inondaient ses joues qu’elle devinait pâlissantes, elle songea avec satisfaction qu’elle devait paraître tout près de s’évanouir.

— Calmez-vous, mon enfant, lui dit la marquise ; vous paraissez souffrir. Voulez-vous vous asseoir (Nane s’écroula sur une chaise), quelque chose pour vous remettre, de l’eau de mélisse, voulez-vous ? ou un peu de grenache, j’en ai justement ici.

Elle posa un verre à côté de Nane, l’emplit ; n’était-ce pas à cause de son fils, en somme, que cette malheureuse se désespérait. Elle s’assit elle-même, à un peu de distance.

Nane but, sembla se calmer. Quelques larmes encore coulaient dans son verre. Touchante et ridicule ainsi, elle parut moins belle à Mme d’Iscamps, qui ne se sentait plus jalouse ; et peut-être même eut-elle la fugitive pensée qu’elles étaient là deux que son fils allait abandonner et trahir, pour une étrangère.

Tout à coup, Nane éclata en de nouveaux sanglots, la face dans les mains :

— Voyons, voyons, lui dit Mme d’Iscamps, il ne faut point pleurer comme cela.

On vit, entre les doigts écartés de Nane, ses beaux yeux brillants de larmes :

— Ah ! madame, implora-t-elle enfin, c’est que vous soyez si bonne pour moi qui me fait pleurer... et de penser... si vous vouliez l’être encore plus... oui, si je pouvais croire que vous ne me méprisez pas tout à fait... au lieu de me faire boire comme ça toute seule, comme un pauvre... mais vous auriez honte... » et Nane retomba en gémissements.

Mme d’Iscamps eut d’abord comme un haut-le-corps ; mais elle avait tant fait : un peu plus, un peu moins..... Elle prit donc un second verre, et se versa du grenache ; mais elle n’alla pas jusqu’à trinquer.

(« Paris, dit Paul Féval dans sa préface à la seconde édition des Habits noirs, ville de boue et de perles, où le sang est cimenté de larmes ; où on ne sait plus quelquefois si les duchesses et les courtisanes ne sortent pas du même lit. » L’hermitte, 1855, page VIII.)

On causa ; et Nane, enfin calmée, avoua qu’elle était venue pour faire une scène, et qu’elle n’avait pas pu ; qu’elle avait été « impressionnée ». Les yeux candides de Mme d’Iscamps se voilèrent d’humidité une seconde.

— Je ne vous en veux plus d’être venue, dit-elle enfin ; et fouillant dans un coffret de bois dur : « je voudrais que vous emportiez un souvenir de cette visite, que vous n’aurez peut-être pas l’occasion de renouveler. Voici un mauvais petit dé d’argent, mais qui a été mon premier. Prenez-le, et si jamais il vous arrivait quelque chose de grave où je puisse vous servir, envoyez-le moi avec votre adresse et quelqu’un passera chez vous de ma part. »

L’émotion de Nane était décidément tout à fait évanouie ; elle songea même, en recevant le petit dé, à son ami S’en-Bat-l’Œil qui cherchait parfois au dessert celui de la conversation sous la table, et faisait crier les petites femmes.

On se sépara enfin, avec les regards les plus touchants, et Mme d’Iscamps sonna pour faire reconduire Nane.

Comme celle-ci était déjà dans le vestibule, Jacques y déboucha par un autre côté, et de voir sa maîtresse chez sa mère, demeura quelques secondes stupide d’étonnement. Mais déjà Nane avait passé, sans paraître le voir, majestueuse.

— Je ne pouvais pourtant pas lui dire, expliquait-elle plus tard : « Bonjour, je viens de prendre l’apéritif avec ta mère ».