Libraire d’Action canadienne-française (p. 237-253).


XXVIII




JACQUES Beauvais était gravement malade. Vu le manque d’hôpital, en attendant l’arrivée de sa famille, monsieur Rivard put le faire transporter dans le dernier étage de l’hôtel, inoccupé à cette saison.

Le médecin de l’endroit trouvait le cas grave, mais sans danger immédiat. Comme infirmier, le jeune homme eut les services du factotum de l’hôtel, Tom Libbey, qui sollicita lui-même cette charge, disant qu’il voulait soigner m’sieur Jack, à qui il devait la vie !

Depuis le jour où Jacques l’eut repêché de la rivière, Tom continua d’être très sobre. Il s’aperçut au bout de quelque temps que Jacques semblait malade, ne mangeait pas, se plaignait de frissons et de maux de tête… Lorsqu’il le vit aux prises avec la fièvre, il raconta au médecin, avec des soupirs de regret, le sauvetage d’octobre.

— C’est ma faute ! C’est ce sacré bain glacé qui l’aura trop saisi ! Un brave enfant comme ça ! Ça ne valait pas la peine de prendre son coup de mort pour un ivrogne comme moi !… Mais il n’en mourra pas ! Foi de St. Patrick, je le soignerai de mon mieux jour et nuit !

Le médecin et le gérant conseillèrent à l’hôtelier de remplacer Tom pour quelque temps afin de lui permettre de rester auprès du malade et il finit par consentir.

Lorsque l’auto des St-Georges arriva, ils entrèrent tous à l’hôtel et on fit avertir le médecin, auprès de Jacques à ce moment. Pendant qu’ils attendaient dans le petit salon, monsieur Rivard entra. Il serra la main de monsieur St-Georges et celui-ci le présenta aux autres.

— Mon frère, monsieur ? questionna Marthe d’une voix tremblante.

— Pas trop mal aujourd’hui, mademoiselle. Il a toute sa connaissance et sait que vous devez venir.

— Puis-je monter tout de suite ?

— Je crois bien, mais il faut attendre le docteur. Je vous ai appelée au téléphone hier midi, continua le gérant, on m’a dit : « elle est absente de Montréal »… Marthe rougit et pâlit tour à tour, mais sans s’en apercevoir, le gérant continua : Comme je pensais bien que vous deviez être au moment de revenir, j’ai envoyé une dépêche aujourd’hui… mais voici le docteur : Docteur Morel, mademoiselle Beauvais, sœur de votre malade, madame, mademoiselle, monsieur St-Georges et un de leurs amis.

Le docteur salua.

— Venez, dit-il à Marthe. Votre frère vous attend avec hâte… Je vous demanderai de ne pas l’embrasser, d’être bien calme et de ne pas rester longtemps afin de ne pas augmenter la température, qui est moins haute aujourd’hui qu’hier. Je vous accompagne, dit-il, la précédant dans l’escalier.

Jacques sourit en apercevant sa sœur. Elle vit ses yeux brillants de fièvre, sa figure rouge et plaquée… elle prit sa main sèche, brûlante et l’appuya sur sa joue…

— Le docteur ne veut pas que je t’embrasse, mon petit Jacquot !

— Je sais, dit-il, il me l’a dit… c’est mieux. Noël va venir tu sais, et notre vieux curé !

— Oui, chéri, je le sais dit Marthe refoulant avec peine ses larmes, ça va te faire du bien de les voir ! Mais ne parle pas trop c’est défendu ! Nous allons te guérir bien vite, tu verras ! Qui a soin de toi ?

Jacques pressa un timbre près de lui… un instant après Tom parut.

— Tom, c’est ma petite sœur dont je t’ai parlé ! Tom me soigne comme un infirmier diplômé dit-il à sa sœur.

Marthe, gentille, tendit la main à l’Irlandais en disant :

— Je vous remercie d’être si attentif auprès de mon frère.

— Je ne pourrai jamais faire assez pour m’sieur Jack ! Je lui dois la vie !

Marthe le regarda étonnée et allait parler, mais le docteur entra à ce moment et désira qu’on ne restât pas plus longtemps dans la chambre de son malade.

Marthe s’approcha du lit et prit de nouveau la main de Jacques.

— Je reviendrai tantôt, dit-elle ; aussitôt que le docteur le permettra.

Dans le petit salon en bas, les St-Georges et Luigi causaient avec monsieur Rivard. Quand Marthe les rejoignit, elle leur dit combien Jacques paraissait faible et fiévreux et les larmes refoulées tombèrent de ses yeux… Claire l’embrassa, madame St-Georges fut bonne et maternelle et lui dit de ne pas se désoler, que le médecin ne semblait pas inquiet. À ce moment le docteur Morel entra et posa la question difficile :

— Qu’allons-nous faire ? Ce sera long ! Impossible de le garder ici à l’hôtel !

— Pourrait-on le transporter à Montréal ? demanda Marthe.

— Oui, dit le docteur, si nous avions une ambulance… mais j’aimerais à partager la responsabilité de ceci avec un autre médecin.

— Mais, intervint monsieur Rivard, le docteur Lefranc sera ici ce soir !

— En effet, alors ce sera très bien. D’ici là, je voudrais que mademoiselle ne retourne pas dans la chambre de son frère.

Marthe fit un signe d’assentiment.

— Nous repartons, dit madame St-Georges, que vas-tu faire, ma petite Marthe ?

— Rester ici à l’hôtel, chère madame, et attendre ce que l’on va décider.

— C’est sans doute mieux, pauvre enfant… je suis heureuse de penser que le docteur Noël et monsieur Sylvestre, vos amis, presque votre famille à Jacques et à toi, seront ici ce soir !

À ce moment Tom entra pour parler au docteur. En l’apercevant, Luigi eut un brusque mouvement de surprise, sitôt réprimé et que personne ne remarqua sauf Tom lui-même.

— Qu’a-t-il donc celui-là ? Me connaîtrait-il par hasard ?…… Moi, en tous les cas, cette face rasée ne me dit rien !

Lorsqu’il fut dans le passage avec le docteur, il lui demanda :

— Qui donc est cet étranger ?

— C’est le comte Vincenzo, le fiancé de mademoiselle St-Georges, dit le docteur.

— Foi de St. Patrick, il est nerveux ! dit Tom en montrant ses dents jaunes ; quand je suis entré il a fait un saut… Docteur, je voulais vous demander, si m’sieur Jack est amené à Montréal, est-ce que je pourrais y aller aussi, moi, pour le soigner ?

— Je ne sais pas, mon vieux. Il faudra vous entendre avec la famille du jeune homme… ce n’est pas la coutume dans les hôpitaux.

— Je demanderai à la belle miss Marthe… m’sieur Jack dort, docteur, mais il a l’air bien agité !

— Je monte le voir, dit le médecin.

À ce moment les St-Georges sortirent du salon accompagnés de Marthe et de Luigi. Ce dernier ne vit pas l’Irlandais, mais celui-ci le regarda fixement… — Où ai-je vu cette binette là ? se dit-il. Je n’en sais rien, mais il semble que ses yeux noirs ne me sont pas inconnus ! —

Croyant que Marthe partait, il s’approcha et lui dit :

— Est-ce que je pourrais vous dire un mot, miss, avant votre départ ?

— Je ne pars pas ! J’accompagne seulement mes amis à l’auto et je reviens tout de suite.

— Tant mieux, miss Marthe, dit le bonhomme.

La jeune fille remercia avec effusion et sincérité les parents de Claire de l’avoir amenée auprès de son frère, embrassa son amie et dit un mot amical à Luigi que pourtant elle n’aimait guère.

— Donne-nous des nouvelles demain, dit Claire et dis à Jacques que je pense à lui.

— Je lui dirai. Merci encore et bon voyage !

L’auto parti, Marthe entra immédiatement. Tom se tenait en sentinelle dans le passage et attendait :

— Mon frère est-il seul ? demanda Marthe.

— Non, le docteur est là.

— Que me vouliez-vous, Tom ? Entrez me dire ça dans ce petit salon.

Tom la suivit et dès que la porte se fut refermée :

— Ça me gêne un peu, miss Marthe, dit-il, en portant la main à son front, mais il faut que je le dise… si m’sieur Jack est bien malade, c’est ma faute !

— Votre faute ? Comment cela ?

— C’est son maudit plongeon dans l’eau glacée !

— Quel plongeon ? Rêvez-vous ?

— Foi de St.  Patrick, c’est vrai !… et Tom raconta sa chute dans la rivière et son sauvetage.

Marthe restait silencieuse… Son Jacquot ! Elle en était fière ! Ah ! Dieu ne permettrait pas que pour avoir sauvé la vie à cet homme, il ait pris une maladie mortelle !

Tom continuait de parler, disant son grand désir de suivre son malade si on l’amenait à Montréal.

— Voyez-vous, miss Marthe, j’ai été un vieux chenapan, un vieil ivrogne… mais, Dieu me pardonne, cet enfant là m’a changé ! Et foi de St. Patrick, je n’ai pas pris un seul coup depuis qu’il m’a sauvé ! Je lui suis dévoué corps et âme et je le veillerai si bien que je l’aiderai à revenir à la santé… vous verrez, miss Marthe, si vous me laissez faire !

— Mon pauvre Tom, dit Marthe, touchée de son évidente sincérité, que ferez-vous ensuite ? Nous ne sommes pas riches ! Nous ne pourrions vous payer !

— Et qui parle de se faire payer ? Ce n’est pas de l’argent que je veux, c’est lui, le « boy », le brave m’sieur Jack qui m’a sauvé de la rivière !… Le vieux Tom, ému, parlait en phrases saccadées, tremblantes, malgré ses efforts pour s’affermir la voix.

Marthe ne put que lui donner l’espoir que le docteur Lefranc qui arrivait ce soir là y consentirait !

— Je plaiderai votre cause, lui dit-elle.

— Dans ce cas je suis tranquille, dit Tom.

— Allez voir le malade et venez me donner des nouvelles, dit la jeune fille.

En songeant à tout ce que lui avait raconté l’Irlandais, elle se sentait fière et attendrie. Quel bel acte il avait accompli ce jeune frère, cet enfant de vingt ans à peine. Et comme ce vieux Tom lui serait dévoué maintenant… la sincérité et l’affection éclataient dans ses paroles.

Marthe regarda sa montre : six heures ; n’ayant rien pris depuis le matin, elle pensait aller faire des arrangements pour une chambre et commander son dîner, lorsqu’on lui apporta une carte.

Elle lut : Mademoiselle Geneviève Aumont.

— Faites entrer ! dit-elle.

Elle alla au devant de la jeune fille qui entrait :

— Je vous connais par Jacques dit-elle.

— Moi aussi, dit Geneviève, et lorsque j’ai appris votre arrivée, je suis venue vous chercher.

— Me chercher ?

— Oui. Je demeure avec ma mère tout près d’ici et au lieu de rester toute seule ici à l’hôtel (je sais que vous ne pouvez vous tenir auprès de Jacques) je vous amène chez nous !

— Vous êtes mille fois gentille… mais je ne puis m’éloigner, j’attends ce soir le docteur Lefranc, notre ami d’enfance…

— Noël Lefranc ? interrompit Geneviève. Jacques m’en a tant parlé, il me semble que je le connais !

— Oui, Noël, et notre vieux curé de Bellerive, l’abbé Sylvestre.

— Eh bien, ils viennent par le train, n’est-ce pas ? Ce train n’est pas le rapide… ils ne seront ici que vers dix heures ce soir… En attendant, je suis sûre que vous n’avez pas dîné et que vous êtes presque malade de fatigue et d’énervement !

Marthe admit que c’était la vérité.

Le docteur Morel descendit à ce moment et entra donner des nouvelles de son patient :

— Il dort encore, dit-il mais il a beaucoup de température.

— Est-ce que je puis aller le voir, docteur ?

— Non, non ! La prudence le défend ! Tom reste auprès de lui et ce soir j’irai rencontrer le docteur Lefranc et monsieur Sylvestre.

— Et moi, j’emmène mademoiselle, dit Geneviève, prenant la main de Marthe, et je la ramènerai pour dix heures.

— C’est pour le mieux. Vous semblez très fatiguée, mademoiselle ; prenez un peu de nourriture et reposez-vous ! À ce soir !

— Venez, mademoiselle, dit Geneviève, c’est à quelques pas.

— Dites : Marthe !

— Avec joie. Venez, Marthe, j’ai hâte de vous présenter à maman !

Les deux jeunes filles sympathisèrent tout de suite. L’intérêt que Geneviève et sa mère lui témoignaient, leur anxiété d’avoir des nouvelles de Jacques, firent voir à Marthe que l’on considérait ce dernier comme un ami dans cette maison hospitalière.

— Nous sommes vite devenus camarades, dit Geneviève. Jacques est si amusant, si gai… sérieux aussi, à ses heures… Il est comme un jeune frère pour moi, qui suis son aînée et la vôtre aussi, dit-elle avec un sourire.

Après le simple et bon souper pris en compagnie de Geneviève et sa mère, Marthe se sentit réconfortée.

Une grosse bûche flambait dans l’antique cheminée du salon où elles entrèrent après le repas. Les jeunes filles s’assirent devant le feu et causèrent avec plaisir mutuel.

Vers neuf heures et demie, elles retournèrent à l’hôtel pour attendre l’arrivée des voyageurs.

Tom vint leur dire que Jacques, réveillé depuis une demi-heure, semblait heureux de savoir sa sœur avec Miss Aumont.

— Dites que je l’amène chez nous tantôt pour la nuit, et qu’elle reviendra demain matin ! dit Geneviève.

— Oui, et que nos gens de Bellerive sont au moment d’arriver dit Marthe.

— Oui, miss Marthe, je vais lui dire tout ça ! L’infirmier remonta vers son malade.

— Quel original que cet Irlandais ! dit Geneviève ; il vient de Dublin, m’a-t-il dit, un jour que je le faisais causer. Je suis toujours étonnée de l’entendre parler si bien français.

— C’est vrai, dit Marthe, il s’exprime très bien, malgré son accent bizarre.

Quelques minutes se passèrent, puis le docteur Morel entra, suivi de l’abbé Sylvestre et de Noël…

Marthe s’élança au-devant d’eux et les accueillit avec joie, bien que ses yeux fussent pleins de larmes à cause de la raison qui les amenait. Se retournant vers Geneviève, elle la présenta : une chère amie de notre Jacques, mademoiselle Aumont, qui a été très bonne pour moi !

— Je suis heureux de vous rencontrer… je vous connais de nom depuis longtemps, mademoiselle, dit le vieux prêtre.

— Et moi, depuis l’installation de Jacques à Rexville, dit Noël en souriant… Mais allons le voir, ce cher garçon !

— Monte, Noël avec le docteur, moi, je vais me reposer un peu dans ma chambre. Je monterai lorsque vous aurez fini votre consultation ; dis à Jacques que je suis ici.

L’abbé se retira et les jeunes filles restèrent à attendre le résultat de la conférence des médecins.

— Vous êtes un ange, Geneviève, d’être venue me chercher et de rester auprès de moi ! dit Marthe à sa nouvelle amie ; c’est si terrible, l’attente, et vous me faites du bien !

— Tant mieux, dit celle-ci ; mais ce n’est pas un effort pour moi de vous montrer de la sympathie… il me semble que je vous connais depuis longtemps ! D’ailleurs, la peine, ça me connaît, vous savez ! J’ai souffert beaucoup dans ma vie… je souffre encore !

— Pauvre amie ! dit Marthe, je vous comprends !

— Oui, je crois que nous nous comprenons bien… pourtant nos deux vies son bien différentes !

— Tant que ça ?

— Oui. Vous, vous êtes mondaine, vous avez des amis riches, vous êtes élégante… « d’un chic épatant » comme dirait Jacques, et vous faites la grande vie, malgré votre bureau !

— Vous aussi vous êtes bien mise et bien chic !

— Merci ! Mais je sais la différence ! Je suis bien mise ici, je ne le serais pas à Montréal… mais peu m’importe ! Je vis dans mon petit village, dans mon vieux home, seule avec maman et mes souvenirs !

— Moi, je n’ai plus de chez nous, dit Marthe.

— Vous en aurez peut-être un bientôt… N’avez-vous pas un ami bien riche… presqu’un fiancé ?

Marthe tressaillit :

— Non, dit-elle, je n’ai pas de fiancé. J’ai de bons amis et surtout une amie de cœur, Irène Defoye. C’est la sœur de Claire St-Georges. Elle a un amour de bébé, un poupon de quinze mois… Je l’adore ce petit Dan là !

— C’est étrange, dit Geneviève, je me figurais que vous seriez toute autre ! Vous êtes tellement plus simple et plus unie que je ne l’aurais cru !

— Pourquoi, grand Dieu ?

— Mais… parce que vous êtes une jeune fille du grand monde, une beauté à la mode, habituée au luxe, à l’adulation, à la vie mondaine…

— Qui vous a dit tout ça ?

— Personne ! Je l’ai deviné par bien des choses que Jacques disait de vous, par le carnet mondain des journaux de Montréal, par votre photographie que votre frère m’a fait voir… enfin, un tas de choses qui ont fait songer la petite villageoise !

— La petite villageoise a peut-être jugé un peu vite !

— Je le crois en vous connaissant.

— Et je suis sûre qu’elle ne voudrait pas quitter son vieux manoir pour les délices possibles de la ville !

— C’est vrai. Si je travaille à la banque, c’est afin que nous puissions le garder !

— Et vous aimez la campagne ?

— La campagne ? Je l’adore ! J’aime les fleurs, les arbres, les bois, les routes sauvages… j’aime le changement de saisons qui varie nos sports et change le paysage ! J’aime le printemps à voir faire le sucre d’érable et à goûter sur la neige la tire dorée… L’été je soigne un peu notre vieux jardin, je cueille avec délices les petites fougères qui naissent au pied des arbres, je guette les premières violettes comme des trésors !… mais ces choses ne disent rien du tout aux citadins !

— J’ai vécu à la campagne, moi, aussi, dit Marthe. Je l’ai quittée sous de bien tristes circonstances !

— Oui, je sais… quel terrible malheur !… Mais, voici les médecins !

Marthe alla vers eux, un peu tremblante dans son anxiété de savoir ce qu’ils diraient. La voyant pâle et inquiète, Noël lui prit la main et dit affectueusement :

— Tout va bien. Le docteur Morel et moi sommes absolument du même avis : notre Jacquot sera sauvé, à moins de complications inattendues ! Nous allons le transporter à Montréal, demain !

— Mais, comment ? questionna Marthe.

— Je téléphone à Montréal ce soir pour avoir l’ambulance, dit Noël.

À ce moment, Geneviève s’approcha et dit à Marthe qu’elle partait en même temps que le docteur Morel, afin de rassurer sa mère.

— Je vous attendrai chez nous, lorsque vous serez prête à revenir, dit-elle.

— Merci, dit Marthe. Le curé est avec Jacques. Quand il descendra, Noël me ramènera chez vous.

— À tantôt, comme ça ?

— À tantôt !

Lorsque Noël et Marthe se retrouvèrent seuls dans le petit salon, celle-ci saisit la main du jeune médecin :

— Noël, Noël ! Si vous ne m’aviez pas sauvée ! dit-elle à voix basse… Pauvre Jacquot ! Il m’aurait demandée… et je n’aurais pu venir !…

Puis revenant au départ du lendemain :

— Il va y avoir des frais… des dépenses…

— Ne vous fatiguez pas l’esprit pour ça, dit Noël. Je me charge de tout. Je m’arrangerai avec Jacques quand il sera bien !

— Dieu que vous êtes bon ! Tellement, que je n’ai pas de mots pour vous remercier… je n’aurai pas trop de toute ma vie pour me rappeler ce que vous aurez été pour Jacques et pour moi !

— Ne pensez plus à ça ! Savez-vous que Jacques à un infirmier émérite ? Ce vieux rabougri lui est dévoué au point que c’est absolument admirable ! Adroit, aussi, et intelligent, bien plus qu’il n’en a l’air !

— Il voudrait à tout prix accompagner Jacques à Montréal ! Est-ce que ça peut se faire ?

— Sans doute… Mais il ne pourra pas le soigner à l’hôpital. Cependant, il sera très utile à Jacques qui le réclame à chaque instant.

Marthe lui fit le récit du sauvetage de Tom par son frère.

— Ceci explique son dévouement, dit Noël. Je vous promets de l’amener et de le faire garder à l’hôpital, si possible… Mais voici notre curé !

— Le malade dort, dit celui-ci. Je lui ai parlé, nous avons prié un peu ensemble, j’ai demandé au Médecin du Ciel de guider les médecins de la terre, et comme en réponse à ma prière, notre Jacques s’est calmé et s’est endormi tranquillement. Bonsoir, mes enfants ! À demain ! Je suis heureux, Marthe, de savoir que vous serez chez les Aumont ce soir ; la jeune fille a l’air très bien !

— Elle est charmante, dit Marthe ; si fine, si distinguée ! Bonsoir, monsieur le curé, je suis sûre que vous avez fait du bien à Jacques ! Noël va me conduire chez madame Aumont, c’est tout près !

Le vieux prêtre regagna sa chambre et Noël ramena la jeune fille jusqu’à la porte de ses nouvelles amies.

— Reposez-vous bien, lui dit-il, vous m’avez l’air brisée !

— Je le suis, franchement ! Mais je vais mieux depuis que vous m’avez rassurée. Pensez-vous que la nuit sera bonne pour Jacques ?

— Un peu agitée, je crois… mais je ne le quitterai pas !

— Reposez-vous un peu, vous aussi !

— Bien sûr ! Il y a un canapé dans sa chambre, j’en profiterai ! À demain !

Elle lui tendit les deux mains qu’il pressa affectueusement.