Modèles de lettres sur différents sujets/Lettres de demandes

Chez Pierre Bruyset Ponthus (p. 167-194).

LETTRES
DE DEMANDES ET PLACETS.



INSTRUCTION.



HOmere
peint, les prieres boiteuses, ridées, marchant toujours les yeux baissés, toujours rampantes, & toujours humiliées. Le ton d’une Lettre de demande doit être simple & modeste, à proportion de l’élévation de ceux à qui on s’adresse, & de la qualité de celui qui prie. Demander avec hauteur, c’est marchander un refus.

Ce ne seroit pas bien connoître le cœur humain, que de croire en obtenir quelque chose en parlant beaucoup de soi-même. M. de Bussy-Rabutin écrivit plus de cinquante Lettres à Louis XIV, pour qu’il lui permît d’aller se faire tuer à l’armée, au lieu de s’ennuyer en Bourgogne. Il rappelloit ses services passés, il parloit de sa condition, il vantoit son esprit ; & il n’obtint rien. C’est que ce procédé irrite l’amour propre. Il craint que vous ne regardiez comme une justice, ce qu’il ne voudroit vous accorder que comme une grace.

Il est un art d’intéresser les personnes que l’on implore, en leur faisant entrevoir qu’il est de leur avantage de nous rendre service. Ce moyen peut réussir quelquefois ; le plus souvent l’artifice est soupçonné, & l’on vous refuse ce que vous cherchiez à surprendre, au lieu de le demander.

Louez plutôt avec finesse ceux à qui vous êtes obligé d’avoir recours, intéressez leur vanité. Pour obtenir quelque chose des hommes, le plus sûr est de parler à leurs passions. Ils sont tous à peu près comme M. Jourdain[1], qui se seroit fait un scrupule de laisser sans récompense les termes obligeants que lui prodiguoit le garçon Tailleur.

Quoique dans le fond, les placets soient de véritables Lettres de demande, je ne m’y arrêterai presque pas. Ils sont assujettis à des formules qui ne sont point celles d’une Lettre.

On sait qu’un placet est une espèce de requête adressée à un Prince, à un Ministre, ou à un Juge, pour en obtenir quelque grace. Un style respectueux & précis, des expressions choisies sans le paroître, ces pensées qui portent la conviction dans l’esprit, ces tours qui jettent la persuasion dans l’ame ; voilà quels doivent en être le ton & les ornements. Les placets que Pelisson fit pour le célebre & malheureux Fouquet sont des modeles en ce genre. On trouve dans les recueils de vers, un assez grand nombre de placets écrits & tournés avec adresse. Depuis qu’il a plu aux Poëtes de se faire passer pour les favoris des Dieux, tout rimeur s’est mis en possession de traiter familierement avec les Grands. Cela donne à leurs ouvrages une aisance, une finesse, un essor, à quoi la prose ne sauroit atteindre quand le respect la tient dans la contrainte.

Je ne citerai d’autre placet que celui-ci, qui mérite bien d’être conservé, ne fût-ce que par sa singularité. Il est de Dufresni, cet homme qui faisoit de si beaux jardins[2] & de si mauvais vers ; & c’est au Duc Régent qu’il fut adressé.

Monseigneur,

Dufresni vous supplie de le laisser dans sa pauvreté, afin qu’il reste un monument de l’état ou étoit la France avant la Régence de V. A. R.

On dit que M. le Duc d’Orléans eut la bonté d’écrire au bas : Je vous refuse absolument.


MODELES
DE LETTRES
DE DEMANDE ET PLACETS.



LETTRE de Scaron
au Duc de Retz.
Monseigneur,

Vous vous savez peut-être bon gré d’être généreux ; détrompez-vous-en : c’est la plus incommode qualité que puisse avoir un grand Seigneur quand il est assez imprudent pour rire quelquefois au nez à un malheureux comme moi. Nous autres écrivains, nous n’avons qu’à être obligés une fois, nous importunons tous les jours de notre vie. Vous me donnâtes l’autre jour les œuvres de Voiture : j’ai à vous demander une chose de bien plus grande importance. Je connois tels Seigneurs qui auroient changé de couleur à ces dernieres paroles de ma Lettre ; mais un Duc de Retz les aura lues sans s’effrayer ; & je jurerois bien qu’il est aussi impatient de savoir ce que je lui demande, que je suis assuré de l’obtenir. Un Gentilhomme de mes amis, qui à l’âge de vingt ans a fait vingt combats aussi beaux que celui des Horaces & des Curiaces, & qui est aussi sage que vaillant, a tué un fanfaron qui l’a forcé de se battre. Il ne peut obtenir sa grace hors de Paris, & voudroit bien y être en sûreté, à cause qu’il a une répugnance naturelle à avoir le col coupé : je le logerois bien chez un grand Prince ; mais il feroit mauvaise chere ; & je tiens que mourir de faim est un malheur plus à craindre que d’avoir le col coupé. Si votre hôtel lui sert d’asyle, il est à couvert de l’un & de l’autre ; & vous serez bien aise d’avoir protégé un jeune Gentilhomme de ce mérite-là. Au reste, vous aurez le plus grand plaisir du monde à le voir moucher les chandelles à coups de pistolets, toutes les fois que vous en voudrez avoir le passe-temps ; & vous me remercierez sans doute, comme vous êtes très-généreux, de vous avoir donné un si beau moyen d’exercer votre générosité ; & moi je vous promets de ne vous en point laisser manquer ; & qu’aussi-tôt que vous m’aurez accordé ce que je vous demande, je vous importunerai tous les jours d’employer votre crédit & celui de vos amis, pour obtenir la grace du mien. La muse burlesque ne s’en taira pas, & s’acquittera assez bien d’un remercîment, quoique jusqu’ici elle n’ait guere eu à travailler en pareille matiere. Je vous demande mille pardons de la longueur de ma Lettre, & vous baise autant de fois les mains blanches, ou telles qu’elles sont. Obligez d’un mot de réponse, Votre, &c.



LETTRE de Racine
à Mme. de Maintenon.
Madame,

J’avois pris le parti de vous écrire au sujet de la taxe qui a si fort dérangé mes petites affaires ; mais n’étant pas content de ma Lettre, j’avois simplement dressé un mémoire dans le dessein de le présenter à Sa Majesté… Voilà, Madame, tout naturellement comment je me suis conduit dans cette affaire ; mais j’apprends que j’en ai une autre bien plus considérable sur les bras… Je vous avoue que lorsque je faisois tant chanter dans Esther[3] : Rois, chassez la calomnie ; je ne m’attendois guere que je serois moi-même un jour attaqué par la calomnie. On veut me faire passer pour un homme de cabale & rebelle à l’Eglise.

Ayez la bonté de vous souvenir, Madame, combien de fois vous avez dit que la meilleure qualité que vous trouviez en moi, c’étoit une soumission d’enfant pour tout ce que l’Eglise croit & ordonne, même dans les plus petites choses. J’ai fait par votre ordre près de trois mille vers sur des sujets de piété ; j’y ai parlé assurément de toute l’abondance de mon cœur, & j’y ai mis tous les sentiments dont j’étois le plus rempli : vous est-il jamais revenu qu’on y eût trouvé un seul endroit qui approchât de l’erreur ?…

Pour la cabale, qui est-ce qui n’en peut être accusé, si on en accuse un homme aussi dévoué au Roi que je le suis, un homme qui passe sa vie à penser au Roi, à s’informer des grandes actions du Roi, & à inspirer aux autres les sentiments d’amour & d’admiration qu’il a pour le Roi ? J’ose dire que les grands Seigneurs m’ont bien plus recherché que je ne les recherchois moi-même : mais dans quelque compagnie que je me sois trouvé, Dieu m’a fait la grâce de ne rougir jamais, ni du Roi, ni de l’Evangile. Il y a des témoins encore vivants qui pourroient vous dire avec quel zele on m’a vu souvent combattre de petits chagrins qui naissent quelquefois dans l’esprit des gens que le Roi a le plus comblés de ses graces. Hé ! quoi, Madame, avec quelle confiance pourrai-je déposer à la postérité que ce grand Prince n’admettoit point les faux rapports contre les personnes qui lui étoient les plus inconnues, s’il faut que je fasse moi-même une si triste expérience du contraire ?

Je vous assure, Madame, que l’état où je me trouve est très-digne de la compassion que je vous ai toujours vue pour les malheureux. Je suis privé de l’honneur de vous voir ; je n’ose presque plus compter sur votre protection, qui est pourtant la seule que j’aie tâché de mériter. Je chercherois du moins ma consolation dans mon travail ; mais jugez quelle amertume doit jetter sur ce travail, la pensée que ce même grand Prince dont je suis continuellement occupé, me regarde peut-être comme un homme plus digne de sa colere que de ses bontés. Je suis, &c.



LETTRE du Comte de Bussy
à M. de P… Ministre & Secrétaire d’Etat.


Je fais ce que je puis, Monsieur, pour ne pas abuser de vos bontés. Cependant je me trouve souvent engagé à vous faire de très-humbles prieres. Toutes les affaires que vous avez me font peur, mais votre cœur me rassure. Si ma fortune étoit en meilleur état qu’elle n’est, je serois plus réservé à m’adresser à vous. Il faut que je vous croie bien désintéressé, Monsieur, pour espérer de vous des graces, puisque je n’aurai peut-être jamais l’honneur de vous voir. Mais vous m’aimerez par-tout, car vous me l’avez bien des fois promis. J’aurai aussi pour vous, toute ma vie, toute la reconnoissance & toute l’amitié imaginable ; & personne ne sera jamais plus véritablement que moi, &c.



LETTRE du même à Mme. la Présidente d’Osembray,
pour lui recommander un procès.
A Chaseu, ce 11 Novembre 1689.


Est-il possible, Madame, que, faite comme vous êtes, & de l’humeur dont je suis, je ne vous écrive jamais que de procès ? Apparemment cela ne devroit pas être ainsi, mais ma mauvaise destinée m’a fait faire tous les jours des personnages pour lesquels je n’étois pas né. Il faut donc que j’acheve comme j’ai commencé, & pour cet effet, Madame, je vous supplie de recommander à M. votre Mari une affaire que j’ai dans sa Chambre. Je me suis jusqu’ici si bien trouvé de vos recommandations, que je ne prendrai jamais d’autre voie ; d’autant plus que cela me donne lieu de vous dire toujours, que vous êtes la personne du monde que j’estime & que j’aime autant, & que j’aimerois encore davantage, si je me sentois digne d’être aimé.


LETTRE de Mme. de Maintenon
à M. le Cardinal de Noailles.
A S. Cyr, 10 Août 1701.


C’est toujours dans les mauvaises affaires qu’on a recours à vous, Monseigneur : & en voici une qui m’embarrasse. Vous savez l’amitié que j’ai pour le Duc de Richelieu. Il a exigé de moi plusieurs sollicitations contre Mme. d’Acigné. Je meurs de peur qu’il n’ait tort : j’aiderois donc à soutenir une injustice. On me dit de tous côtés que c’en est une d’empêcher qu’elle ne soit tutrice de ses petits-enfants. Donnez-moi votre avis. Je ne voudrois pas manquer à ce que je dois à mon ancien ami : je voudrois encore moins manquer à ce que je dois à ma conscience. Votre conseil. Il réglera ma conduite sans vous commettre : dût Mme. d’Acigné m’accuser d’être injuste, ou M. de Richelieu m’accuser d’être ingrate.


LETTRE de M. de Villars à Mme. de Maintenon,
pour la prier de procurer à sa sœur l’Abbaye de Chelles.
Au Camp de Brucsal, 3 Juillet 1707.
Madame,

J’ai pris la liberté en partant de vous supplier d’être favorable à une sœur que j’ai Religieuse à Vienne depuis plus de trente ans. J’espère que M. le Cardinal de Noailles & le P. de la Chaise auront informé S. M. des témoignages qui leur avoient été rendus de sa conduite par M. l’Archevêque de Vienne. Je regarderai comme un très-sensible bonheur pour moi, de voir cette sœur que j’aime fort, Abbesse de Chelles[4].

Le Roi récompense le gain des batailles : ne pourroit-il pas récompenser le succès des prieres ? Personne n’a plus d’envie de vaincre que moi, & personne ne prie avec plus de zele que ma sœur pour la prospérité des armes de Sa Majesté.



LETTRE de M. de Baville à Mme. de Maintenon, pour la prier de s’intéresser en faveur de son Fils, à qui il vouloit remettre sa charge.
Montpellier, ce 31 Octobre 1714.
Madame,

Vous avez eu la bonté de me permettre de recourir à vous, dans les affaires les plus importantes qui pouvoient me regarder. Dans cette confiance, je vous prie de m’accorder votre protection. Je demande au Roi de donner à mon fils une place de Conseiller d’Etat, en remettant celle que je remplis. J’ai considéré qu’étant hors d’état de servir S. M. dans ses Conseils, à cause de ma surdité, j’étois devenu un serviteur inutile ; & n’ayant qu’un fils, j’avoue que l’objet de mes vœux seroit de lui voir cet établissement.

Daignez, Madame, me donner en cette occasion des marques de vos anciennes bontés pour un vieillard sourd, goutteux, reconnoissant, & revenu de toute ambition, mais non des sentiments paternels.



LETTRE de M. le Marquis de Feuquieres[5] au Roi
en faveur de son fils.
Paris, le 27 janvier 1711.


Apres avoir mis devant les yeux de Dieu toute ma vie, que je vais lui rendre, il ne me reste plus rien à faire avant de la quitter, que de me jetter aux pieds de V. M. Si je croyois avoir plus de 24 heures à passer encore en ce monde, je n’oserois prendre la liberté que je prends. Je sais que j’ai déplu à V. M. ; & quoique je ne sache pas précisément en quoi, je ne m’en crois pas moins coupable. J’espère, Sire, que Dieu me pardonnera mes péchés, parce que j’en ressens en moi un repentir bien sincere. Vous êtes l’image de Dieu, & j’ose vous supplier de pardonner au moins à mon fils des fautes que je voudrois avoir expiées de mon sang. Ce sont celles, Sire, qui ont donné à V. M. de l’éloignement pour moi, & qui sont cause que je meurs dans mon lit, au lieu d’employer à votre service les derniers moments de ma vie, & la derniere goutte de mon sang ; comme je l’ai toujours souhaité. Sire, au nom de ce Roi des Rois devant qui je vais paroître, daignez jetter des yeux de compassion sur un fils unique que je laisse en ce monde, sans appui & sans bien : il est innocent de mes malheurs : il est d’un sang qui a toujours bien servi V. M. Je prends confiance en la bonté de votre cœur ; & après vous avoir encore une fois demandé pardon, je vais me remettre entre les mains de Dieu, à qui je demande pour V. M. toutes les prospérités que méritent vos vertus.



LETTRE de M. de Voltaire
à M. l’Abbé du Bos.
A Cirey, ce 30 Octobre 1738.


Il y a déjà long-temps, Monsieur, que je vous suis attaché par la plus forte estime ; je vais l’être par la reconnoissance. Je ne vous répéterai point ici que vos livres doivent être le bréviaire des gens de Lettres, que vous êtes l’Ecrivain le plus utile & le plus judicieux que je connoisse : je suis si charmé de voir que vous êtes le plus obligeant, que je suis tout occupé de cette derniere idée.

Il y a long-tempp que j’ai rassemblé quelques matériaux pour faire l’histoire de Louis XIV ; je ne me presse pas d’élever mon bâtiment : Pendent opera interrupta, minæque murorum ingentes. Si vous daigniez me conduire, je pourrois dire alors aquataque machina cœlo : voyez ce que vous pouvez faire pour moi, pour la vérité, pour un siecle qui vous compte parmi ses ornements.

Celui qui a si bien débrouillé le chaos de l’origine des François, m’aidera sans doute à répandre la lumiere sur les plus beaux jours de la France. Songez, Monsieur, que vous rendrez service à votre disciple & à votre admirateur.


LETTRE de M. de Voltaire à M. de s’Gravesande,
pour le prier d’écrire en sa faveur au Cardinal de Fleuri.


Vous vous souvenez, Monsieur, de l’absurde calomnie qu’on fit courir dans le monde pendant mon séjour en Hollande : vous savez si nos prétendues disputes sur le Spinosisme, & sur des matières de Religion, ont le moindre fondement : vous avez été si indigné de ce mensonge, que vous avez daigné le réfuter publiquement. Mais la calomnie a pénétré jusqu’à la Cour de France, & la réfutation n’y est pas parvenue. Le mal a des ailes, & le bien va à pas de tortue. Vous ne sauriez croire avec quelle noirceur on a écrit & parlé au Cardinal de Fleuri. Tout mon bien est en France, & je suis dans la nécessité de détruire une imposture, que dans votre pays je me contenterois de mépriser, à votre exemple.

Souffrez donc, mon aimable & respectable Philosophe, que je vous supplie très-instamment de m’aider à faire connoître la vérité. Je n’ai point encore écrit au Cardinal pour me justifier. C’est une posture trop humiliante, que celle d’un homme qui fait son apologie ; mais c’est un beau rôle que celui de prendre en main la défense d’un homme innocent. Ce rôle est digne de vous, & je vous le propose comme à un homme qui a un cœur digne de son esprit. Ecrivez au Cardinal : deux mots & votre nom feront beaucoup, je vous en réponds. Il en croira un homme accoutumé à démontrer la vérité. Je vous en remercie, & je me souviendrai toujours de celles que vous m’avez enseignées. Je n’ai qu’un regret, c’est de n’en plus apprendre sous vous. Je vous lis au moins, ne pouvant plus vous entendre. L’amour de la vérité m’avoit conduit à Leyde, l’amitié seule m’en a arraché. En quelque lieu que je sois, je conserverai pour vous le plus tendre attachement, & la plus parfaite estime.



LETTRE de M. Piron à M. de la Place,
en lui envoyant une Paraphrase du
De profundis.
Ce 16 Avril 1763.


Voilà, Monsieur, le dernier enfant de ma Muse, & plût à Dieu que son premier né eût ressemblé à celui-là ! S’il a le bonheur de mériter votre attache & l’approbation du Censeur, vous m’obligerez de l’honorer d’une place dans votre Mercure, & de l’annoncer sous mon nom dans la table qu’on parcourt d’abord pour y choisir les morceaux qui affectent. Ce n’est pas que ce nom de si petit bruit sur le Parnasse, me semble capable d’intéresser beaucoup par lui seul : mais on aime les contrastes : &, prévenu comme on est, sur le caractere de mon ame, depuis le malheureux égarement de mon esprit, il y a plus de cinquante ans, je m’imagine que les vrais dévots & les faux, & ceux qui ne sont ni l’un ni l’autre, ne seront pas fâchés de voir où cette ame en est dans ses derniers sentiments, & comment cet esprit vieilli s’y sera pris pour les exprimer. L’orgueil poétique au reste, comme vous concevez, bien, Monsieur, n’a point ici de prétention. C’est à l’humiliation plutôt que je cours visiblement. Je m’attends bien à la mauvaise pitié & aux plaisanteries de nos mondains. Or, parmi vos lecteurs, il y a cent de ces Messieurs, contre une bonne ame qui m’approuvera, sans songer même si les vers sont bien ou mal faits. On dira ce qu’on voudra ; j’aurai fait ce qui m’aura plu ; j’aurai un peu pacifié ma conscience, en attendant la rémission d’en haut ; j’aurai peut-être édifié, bien tard, à la vérité, pour qui eut le malheur de scandaliser si-tôt ; mais encore vaut-il mieux pour une Muse chrétienne & pécheresse, prêcher sur l’échelle, que jamais. C’est à vous, Monsieur, guidé par vos lumières, de me seconder ou de me laisser là. Tout ce que vous ferez sera bien fait ; tout ce vous pensez est bien pensé, à moins que vous pensiez que quelqu’un puisse être avec une plus sincere estime & plus de considération que moi, &c.


FRAGMENTS
DE LETTRES
DE DEMANDE.

Lettre de M. de Voltaire
à M. de Maupertuis.

J’apprends dans le moment qu’on réimprime mon maudit ouvrage[6] ; je vais sur le champ me mettre à se le corriger : il y a mille contre-sens dans l’impression : j’ai déjà corrigé les fautes de l’Editeur sur la lumiere ; mais si vous vouliez consacrer deux heures à me corriger les miennes, & sur la lumiere & sur la pesanteur, vous me rendriez un service dont je ne perdrois jamais le souvenir. Je suis si pressé par le temps, que j’en ai la vue toute éblouie. Le torrent de l’avidité des Libraires m’entraîne ; je m’adresse à vous, pour n’être point noyé. Je ne vous supplie point de perdre beaucoup de temps ; & d’ailleurs est-ce le perdre que de catéchiser son disciple ? C’est à vous à dire, quand vous n’aurez pas instruit quelqu’un : Amici, diem perdidi… Je tremble de vous importuner ; mais, au nom de Newton, un petit mot sur la pesanteur & sur la fin de l’ouvrage.

Lettre de M. Lefranc à M. Rousseau.

Les grands hommes, Monsieur, sont faits pour donner de l’émulation : je crois même que la marque la plus sûre de l’excellence & de la perfection d’un Ecrivain, c’est d’inspirer aux autres la louable ambition de l’imiter… Toutes les fois que je lis vos odes sacrées, je suis tenté de m’exercer à ce genre de poësie… C’est dans quelques-uns de ces moments que je fis, il y a plusieurs années, la paraphrase du pseaume… Jugez-vous cette piece digne de votre critique ? ne l’épargnez pas ; je ferai gloire toute ma vie de déférer à vos avis, comme je fais profession d’être, avec les sentiments de la plus haute estime, &c.



  1. Le Bourgeois Gentilhomme ; Comédie de Moliere.
  2. Dufresni avoit la charge de Contrôleur-Général des jardins du Roi, & il la remplissoit bien. Il mourut âgé de 76 ans.
  3. Tragédie de M. Racine.
  4. Me. de Villars eut cette Abbaye.
  5. M. le Marquis de Feuquieres écrivit cette Lettre douze heures avant sa mort. Le Roi la lut, il en fut touché, & il accorda au fils les pensions du pere.
  6. Les Eléments de la Philosophie de Newton.