Modèles de lettres sur différents sujets/Cérémonial


CÉRÉMONIAL
OBSERVÉ
DANS LES LETTRES.



DAns le peu de regles que je vais rapporter, je suivrai l’usage le plus autorisé. Je ne veux pas qu’on manque au respect que l’on doit à ceux qui sont placés au dessus de nous, mais je n’aime pas qu’un homme s’humilie bassement devant un autre homme.

Je ne rappellerai point les usages anciens, ce n’est pas pour nos grand-meres que j’écris ; je dirai ce qui se pratique aujourd’hui, & je le dirai simplement, parce que j’abhorre également la flatterie & la satyre.

La Date se place indifféremment au haut ou au bas d’une Lettre. On dit que la seconde maniere est plus polie ; je trouve la premiere plus commode.

Vers le quart de la page, à commencer en haut, vous écrivez la qualification de la personne, Monseigneur, Monsieur x Madame, ou Mademoiselle, selon son rang & son état.

On donne le titre de Monseigneur à tous les Princes, aux Cardinaux, aux Evêques, aux Généraux d’armées, aux Maréchaux de France, aux Ambassadeurs, aux Ducs & Pairs, aux Ministres & Secrétaires d’État, au Chancelier, au Contrôleur-Général des Finances ; & dans les Requêtes ou dans les Lettres de cérémonie, aux Intendants & aux Premiers Présidents des Parlements.

La plupart des femmes mariées sont appellées Madame : il y a encore des Provinces où les femmes de Bourgeois se contentent du titre de Mademoiselle. Il est bon de consulter là dessus les usages du Pays. Je dirai cependant ici, que s’il faut tomber dans quelque excès en ce genre, il vaut mieux passer pour trop poli que pour grossier.

Entre cette qualification de la personne, & le commencement de la Lettre, vous laissez un intervalle plus ou moins grand, selon le respect que vous lui devez ; & c’est là ce que l’on appelle communément donner la ligne. Vous observez aussi de laisser au bas de la même page, un espace de deux ou trois doigts, & au revers vous commencez à la même hauteur où vous avez placé de l’autre côté le mot de Madame ou de Monsieur.

Il n’est guere plus d’usage de donner la ligne, si ce n’est aux personnes qui sont beaucoup au dessus de nous. Avec les autres on en use plus librement, à moins qu’on ne soupçonne qu’ils auront la petitesse de s’en formaliser ; c’est un devoir de ménager les foibles de ses semblables.

Quand on ne donne pas la ligne, il faut placer le mot de Monsieur ou de Madame le plutôt qu’il se peut ; on veut que ce soit une impolitesse de le reculer trop.

Dans les Lettres aux grands, au lieu de parler à la seconde personne, vous, on se sert d’une périphrase : J’ai obéi aux ordres que votre Eminence m’a donnés, &c. La Lettre dont Votre Majesté m’a honoré, m’a fait répandre des larmes de tendresse & de joie, &c. On n’en use ainsi qu’avec les personnes de la première distinction.

On donne le titre de Majesté aux Rois, & celui d’Altesse Royale à leurs fils & petits-fils. Les autres Princes du Sang n’ont que le titre d’Altesse Sérénissime. On dit Votre Eminence aux Cardinaux ; & s’ils sont Princes, Votre Altesse Eminentissime ; Votre Excellence, aux Ambassadeurs, aux grands Seigneurs des Pays étrangers, & Votre Grandeur aux Archevêques, aux Evêques, au Chancelier, & aux Secrétaires d’Etat.

Dans le cours d’une Lettre, quelque peu étendue qu’elle soit, il est bien de rappeller à propos le titre de Monseigneur ou de Monsieur, selon que l’on a commencé.

On regarde comme une impolitesse de charger une personne à qui l’on doit du respect de faire des compliments à un autre ; ou si on le fait, c’est toujours avec quelque correctif : par exemple Souffrez que Mme .*** trouve ici les assurances de mon respect, &c. Et lorsque ces personnes ont un titre qui les fait suffisamment connoître de celui à qui vous écrivez, il est poli de n’énoncer que ce titre : par exemple, dans une Lettre à un Gentilhomme, à un Président, &c. Si vous voulez saluer son épouse, vous direz, permettez que Madame la Marquise, la Comtesse, la Présidente, &c. reçoive ici les assurances de mon respect.

Lettre de M. de Montesquieu.

Faites bien mes compliments très-humbles à la Comtesse ; je lui demande la permission de l’embrasser.

Les apostilles, les post scriptum annoncent qu’on a eu peu d’attention en écrivant. La politesse les proscrit.

Autrefois on se tuoit de peine pour amener avec esprit la fin d’une Lettre, comme si l’on devoit chercher tant de mystere pour prendre congé à la fin d’un entretien. Aujourd’hui l’on finit tout uniment par ces mots, que l’on met à l’alinea : Je suis, ou J’ai l’honneur d’être, &c.

On y joint communément l’expression de quelque sentiment : Je suis avec beaucoup de respect, avec un respectueux attachement ; suivant le rang de ceux à qui l’on écrit. Il faut observer que le mot de dévouement n’est plus du bel usage. Il faut observer encore que lorsqu’on se sert du mot respect, on met simplement Je suis, &c. Et qu’on ne met guères J’ai l’honneur, que lorsqu’on employe l’expression de quelqu’autre sentiment : J’ai l’honneur d’être avec la plus parfaite estime, avec la plus parfaite considération.

On répete ensuite le mot de Monsieur, mais en s’écartant de la ligne & un peu au dessous. En s’écartant & en descendant toujours vers le coin de la page, on met : Votre très-humble & très-obéissant serviteur ; de maniere que la signature finisse la page, si cela se peut, sans trop d’affectation.

Il est bon de remarquer que l’on garde les intervalles que je viens d’indiquer, dans des Lettres même où l’on n’a pas donné la ligne au commencement. Souvent aussi l’on ne les garde pas, sans qu’il y ait en cela de l’impolitesse, dès qu’on n’a pas donné la ligne ; & l’on écrit tout de suite : Je suis avec respect, Monsieur, votre très-humble & très-obéissant serviteur. Il est d’autres Lettres qu’on finit sans façon. Je suis avec les sentiments les plus distingués, avec attachement, avec une parfaite considération ; je suis très-parfaitement, &c. L’on voit bien que ces expressions supposent quelque supériorité de la part de celui qui écrit, & c’est aux circonstances à déterminer la formule qu’il convient d’employer.

Lorsqu’on a donné quelque titre particulier dans le corps de la Lettre, on le répete ainsi dans la souscription :

Je suis, &c.
Monseigneur,
De Votre Eminence,
ou
De Votre Grandeur,
Le très-humble, &c.

Cette maniere singuliere de finir toutes nos Lettres, fait dire joliment à M. de Voltaire. « César & Pompée s’appeloient dans le Sénat César & Pompée ; mais ces gens-là ne savoient pas vivre. Ils finissoient leurs Lettres par vale, adieu. Nous étions nous autres, il y a soixante ans, affectionnés serviteurs ; nous sommes devenus depuis très-humbles & très-obéissants ; & actuellement nous avons l’honneur de l’être. Je plains notre postérité, elle ne pourra que difficilement ajouter à ces belles formules[1] ».

Dans les Lettres familières on cherche moins de façon. Bien de gens même ne[2] signent plus aujourd’hui, lorsqu’ils écrivent fréquemment à la même personne. Il y a moins de risque, si la Lettre vient à s’égarer. Ces lettres-là, on les finit sans cérémonie, adieu, Monsieur, vous connoissez mes sentiments à votre égard. Je vous prie, Madame, de m’honorer toujours de votre amitié, &c.

Les nouveaux Nobles, quand ils signent, ne manquent gueres d’ajouter le de avant leur nom ; c’est une faute : les Gentilshommes de campagne qui ont des titres, signent Souvent le Marquis de, &c. le Comte de, &c. c’est une faute encore, à moins qu’on ne soit plusieurs du même nom, & que ce titre ne soit employé comme distinctif : c’est ainsi qu’il est d’usage de signer le Chevalier, &c. Il est à supposer que ceux à qui vous écrivez, n’ignorent pas qui vous êtes. Si vous voulez que les autres se souviennent de vos titres, c’est à vous à les oublier.

Il n’en est pas tout-à-fait de même des titres qui sont l’expression d’une charge ou d’un emploi. C’est assez l’usage qu’on les ajoûte à son nom, sur-tout quand on écrit à une personne pour la premiere fois.

La maniere la plus simple de plier une Lettre est toujours la meilleure. Il est bien de la mettre sous une enveloppe ; c’est un égard en province, à la Cour c’est un usage.

Pour cacheter on ne se sert jamais que de cire d’Espagne. Il la faut noire si on est en deuil, ou si on écrit à des personnes qui y soient, & pendant le deuil de la Cour.

Les Lettres au Roi, à la Reine, au Dauphin, ne doivent point avoir d’autre adresse que celle-ci : au Roi, à la Reine, à Monseigneur le Dauphin. Pour un Prince du Sang, on met, a son Altesse Sérénissime Monseigneur le Prince de, &c. A son Eminence ou à son Excellence Monseigneur &c. pour un Cardinal ou pour un Ambassadeur. Ces mots s’écrivent souvent en abrégé, à S. A. S., à S. Em., à S. Ex. Mais il ne faut pas mettre à sa Grandeur, pour un Evêque, pour le Chancelier &c.

On adresse tout simplement à Monseigneur, &c.

Au dessus des autres Lettres on exprime les titres, la profession & la demeure des personnes, à moins que ce ne soient des gens bien connus, & que la ville ne soit pas considérable. Par exemple, sur une Lettre à un Evêque qui est dans son Diocese, on n’ajoute pas, en son Palais, &c. rue, &c. le nom de la ville est alors suffisant.

L’on sait que l’adresse d’une Lettre s’écrit ainsi :

A Monsieur
Monsieur, &c.


de maniere que les deux premiers mots soient à l’extrémité de la premiere ligne. Dans la seconde on n’écrit que le nom de la personne. Si elle a quelque titre particulier, on énonce ce titre avant son nom :

A Monsieur
Monsieur le Comte de &c.

On énonce aussi les titres qui expriment des emplois ; mais c’est presque toujours après le nom de la personne : à M. *** Président, Conseiller, Avocat au Parlement de &c.

Lorsqu’une personne est assez désignée par le nom de la charge qu’elle occupe, on supprime volontiers son nom propre. Ainsi on adresse tout simplement à Monseigneur le Contrôleur général des Finances, à Monseigneur le Chancelier, à Monseigneur l’intendant de &c. l’Evêque de &c. à M. le premier Président du Parlement, de la Chambre des comptes &c. &c.

On donne quelquefois aux femmes les titres de leurs maris, mais on les met toujours avant le nom : à Mme . la Maréchale de **, la Présidente de ** ; il faudroit bien se garder de dire à Mme .***, Présidente au Parlement de &c. Il est des occasions où l’on supprime totalement leur nom ; par exemple, à Mme . la Chanceliere, à Mme . l’Intendante. On sait qu’il est certaines charges dont les titres ne peuvent pas se donner aux femmes de ceux qui les possedent ; & que l’on ne diroit pas Mme . l’avocate, la Procureuse Générale &c.

Quand on indique la demeure, on ne doit pas dire, par exemple, en rue S. Jacques, encore moins faire précéder ces mots du verbe demeurant, mais seulement rue S. Jacques, rue S. Honoré, à Paris. Si la Ville est peu connue, il faut y joindre le nom de la Province où elle se trouve.

En écrivant aux Religieuses, c’est toujours, à Madame, &c. Ce n’est gueres que pour les Sœurs Converses que l’on met à ma très-chere Sœur.

Au dessus d’une Lettre à un Religieux, il ne faut pas mettre, comme on le fait communément, au Reverend Pere, le Reverend Pere ; c’est joindre un datif & un nominatif : il faut tout simplement, au Reverend Pere, Reverend Pere, &c.

Il n’est pas d’usage, il est même contre la politesse d’affranchir les Lettres, à l’exception de celles qui sont pour les pays étrangers ; j’en excepte aussi les Lettres adressées ou à de pauvres gens, que les moindres frais incommodent, ou à des Journalistes, des Gazetiers, &c. qui ne seroient pas moins incommodés de tous les frais qu’occasionneroit la multitude des Lettres qu’ils sont exposés à recevoir.

Lorsqu’on écrit à un Ministre, à un Intendant pour plusieurs affaires différentes, il est assez d’usage d’écrire autant de lettres ou mémoires, que l’on a de choses à proposer ou à demander. La raison en est toute simple : c’est que ces affaires sont renvoyées à des Commis différents, à qui il est plus commode de remettre la lettre, que d’expliquer la chose dont il s’agit.

Ces détails me paroissent suffisants ; si je voulois tout dire, je ne finirois plus. Depuis qu’il y a dans le monde des Grands & des flatteurs, c’est-à-dire, de l’orgueil & de la bassesse, le cérémonial est devenu une science étendue & difficile. Heureusement la liberté & l’aisance qui caractérisent la bonne compagnie parmi nous, s’affranchissent aujourd’hui de cet amas de rubriques, aussi impolies dans le fond, que fatiguantes à l’extérieur. Il n’est plus permis qu’aux Gentilshommes de campagne, aux Barons Allemands, ou aux Monsignors d’Italie, de s’en tenir scrupuleusement à l’ancienne étiquette, pour savoir s’ils feront quatre pas ou cinq, en reconduisant un étranger, & s’ils doivent être très-humbles ou seulement très-affectionnés serviteurs.

Manquer à quelques petites formalités, ce n’est pas un crime, dès qu’il n’y a point de mauvaise volonté ; & les Grands vraiment dignes de ce nom ne s’en formalisent pas. On a remarqué que ceux qui étoient les plus prompts à s’offenser de cette espece de manque d’égards, étoient communément ceux qui dans le fond en méritoient le moins. Personne n’est plus jaloux du titre de Gentilhomme, qu’un homme nouvellement ennobli.



  1. Œuvres de M. de Voltaire, Mêlange de Philosophie & de Littérature.
  2. Je me rappelle quatre jolis Vers, que je rapporte ici volontiers, parce qu’ils valent mieux que toute ma Prose. La Reine ayant apperçu une Dame qui écrivoit à M. le Président Hénaut, S. M. eut la bonté d’ajouter à la Lettre quelques lignes, au bas desquelles elle mit ce mot : devinez. M. le Président Henaut y répondit par ces Vers :

    Ce peu de mots, tracés par une main divine,
    Me cause bien de l’embarras ;
    C’est oser trop si je devine ;
    C’est être ingrat que ne deviner pas.