Mirages (Renée de Brimont)/Matin d’hiver à la fenêtre

MiragesEmile-Paul Frères (p. 75-76).

MATIN D’HIVER À LA FENÊTRE

Avec des mains circonspectes et lentes,
dispersez l’ombre confidente
en écartant les rideaux par degrés ;
le jour, le grand jour et sa robe nouvelle,
sur l’eau dormante encor de mes prunelles,
en tous lieux et sur toute chose,
de la même façon qu’il avait émigré
le jour doit revenir lentement, par degrés ;
il doit entrer furtivement, comme par fraude,
dans la chambre close, dans la chambre chaude.

Écartez par degrés les rideaux et les tulles.
Voici que l’hiver aux doigts blancs coagule
sur la vitre un herbier non pareil :
ce sont des fleurs de songe, froides et nulles,
des mousses pleines de soleil,
du givre agglutiné, mais qui se désagrège…
givre fugace, frère de la neige,
matutinale floraison,
blancheur qui fuit comme elle était venue
de la vitre claire, de la vitre nue.


Or, rideaux écartés, la lumière pénètre,
intense, intense, par la fenêtre ;
elle a chassé les ombres peu à peu ;
jalouse de la lampe et jalouse du feu
elle glisse, et se coule, et se pose.
Elle rit au miroir et fait luire le bois,
elle dissipe les masques sournois,
elle s’est fiancée avec la flamme rose,
la flamme qui danse au centre des choses
dans la chambre chaude, dans la chambre close.

Et dans mes yeux sombres comme ces ombres
qui les ont habités, coites et sombres,
dans mes yeux entr’ouverts et profonds,
dans l’émerveillement serein de mes prunelles
le jour, le grand jour et sa robe nouvelle,
de la même façon qu’il avait émigré
le jour est revenu lentement, par degrés,
givré, poudré, désireux de plaire !

Car nuits et matins se font et se défont
par la vitre nue, par la vitre claire…