Mirages (Renée de Brimont)/Il fuit devant moi

MiragesEmile-Paul Frères (p. 92-93).

XLIII

Il fuit devant moi, le mystère de ta pensée…
Tes yeux, ce matin, n’ont pas cherché mes yeux ;
ta présence est absente… Le bruit soyeux
te laisse indifférent de mes jupes de faille.
Tu ne vois pas sur mon front pâle
les tulles seyants du large chapeau,
ni la rose qu’à ma ceinture j’ai passée…
Il fuit, il fuit, le mystère de ta pensée,
et dans ce voyage obscur et lointain
j’aurais peur — ah ! j’aurais peur de te suivre !
Mais je devine la douceur des rives
qui te plaisaient jadis ! Et ce matin
je t’ai senti là-bas, loin — très loin…
Tu ne réponds rien ? Les vieilles idoles
dévident bien des songes dans nos âmes folles
et nous retiennent par d’étranges liens…
Je sens… je crains en toi ces idoles
qui feignent d’être mortes pour mieux régner !
Tu ne réponds rien ? Leur visage
est plein d’énigmes ; l’âge même, l’âge
nimbe leur front d’une auréole ; sous leurs doigts
naissent mille merveilles ; leur faible voix

murmure, murmure d’inexprimables choses…
Tu ne réponds rien ? Ton sourire nie ?
Mais un souffle, un souffle glacé
de ma ceinture a détaché la rose
moins enivrante que ce trop beau Passé !
… Oui, oui, je sais
qu’à souffrir vainement mon cœur s’ingénie…