Midraschim et fabliaux/Le Détail et l’Essentiel


Imprimerie Vve P. Larousse et Cie (p. 67-69).

Sur la vie ascète, isolée,
Et sur le royaume du ciel,
Discutaient, en docte assemblée,
Les grands docteurs Chamail[1], Hillel.

« Cette vie est le vestibule
D’un logement placé plus haut,
Disait Chamail à son émule ;
Pour y parvenir, il nous faut

Le renoncement, la souffrance,
De pauvreté faire le vœu,
N’avoir qu’un but, qu’une espérance,
L’unique pensée de Dieu.


— Mais, dit Hillel, sur cette terre,
Devoirs sacrés sont à remplir,
Devoirs de fils, d’époux, de père ;
C’est pécher que s’en affranchir.

Pratiquons les vertus morales,
Ayons souci du temporel,
Briguons les vertus sociales,
Par surcroît, nous aurons le ciel. »

Eh bien, la timide assemblée
Donnant à chacun d’eux raison,
Sur un tel sujet consultée,
N’osa dire ni oui, ni non.

Et dans un jugement peu sage,
Disant à la fois blanc et noir,
Elle célébra l’alliage
Du mysticisme et du devoir.

La perfection temporelle,
Se conciliant, d’après eux,
À la vertu spirituelle,
Les deux chemins mènent aux cieux.


Ainsi le grand aréopage,
Qui n’osa condamner Chamail,
Manqua de vertu, de courage
Et se perdit dans le détail.

Pour bien juger, il faut conclure,
Même sur les thèses du ciel,
Il faut discerner, puis exclure,
Le détail de l’essentiel.



Sources. — (Talmud, traité Betza ou Yom Tob, folio 16 ; — Hippolyte Rodrigues. Le Roi des Juifs, page 34.)

  1. S’écrit Chamaï, — se prononce Chamail.