Midraschim et fabliaux/La Tentation de Rabbi Mathia


Imprimerie Vve P. Larousse et Cie (p. 63-66).

[1]

L’ESPRIT DU MAL


« Si je voulais, ton plus fier sage
Viendrait honorer mon autel,
Tant j’ai sur toi de l’avantage !
— Tu mens, dit alors l’Éternel.

— Je mens, naïf ! Les airs austères
Te trompent donc encor ! Ce soir,
Le rabbi qu’à tous tu préfères
Sera soumis à mon pouvoir.

— Va, tu perdras ton temps. » — L’école
Est en fête, — que d’auditeurs !
Et Mathia prend la parole
Aux cris de : Vivent nos docteurs !


« La matière n’est que l’écorce,
Dit-il en commençant son cours ;
Il ne faut pas donner sa force
Aux femmes ; fuyez leurs amours ! »

(Proverbes, XXXI, 3.)

En répondant à qui demande :
Quel est le fort ? le Talmud dit :
« C’est celui dont l’esprit commande
Et dont la matière obéit. »

Il dit aussi, faisant l’éloge
Du savant, que « le vrai savant
C’est celui qui tout interroge,
Qui de tout, et de tous apprend.

Que le seul riche qu’il connaisse,
C’est celui content de sa part. » —
Quand on dédaigne sa richesse,
On doit la perdre tôt ou tard. —

Tout à coup, beauté ravissante
Apparaît aux yeux du docteur ;
Elle est nue, elle est provocante,
C’est une bacchante en fureur.


Mathia détourne la tête ;
La fourbe suit son mouvement,
Et qu’il se tourne ou qu’il s’arrête,
Le rabbi la voit constamment.

Mathia, toujours héroïque,
Devient cependant anxieux,
Et, pour ne plus voir l’impudique,
Il enfonce un fer dans ses yeux.

Le Satan vaincu se renverse,
Tombe sous terre et disparait.
L’école, en pleurant, se disperse ;
L’ange Raphaël apparaît.

« Je suis l’ange de la lumière,
Je suis l’ange de guérison ;
Je viens pour guérir ta paupière. »
Mais Mathia répondit : « Non !

Je crains tentation nouvelle,
Je préfère ma cécité ;
Pour avoir la vie éternelle,
Je dois garder ma chasteté.


— Mon fils, ta réserve est trop grande ;
Ne crains rien ; si Dieu te guérit,
C’est que chez toi l’esprit commande
Et que la matière obéit.

C’est par les lois de la nature
Que Dieu dicte sa volonté ;
La tendresse est flamme, elle épure,
Elle engendre l’honnêteté.

Ce que tu dois fuir, c’est le vice,
Mais respecte le sentiment
Qui veut qu’à la femme on s’unisse :
De Dieu c’est un commandement.

Sans femmes, les hommes s’abaissent ;
La femme est la fleur et le fruit ;
Par l’amour les vertus renaissent,
L’amour pur jaillit de l’esprit.

L’amour est mon plus noble frère,
Il fait les anges d’ici-bas ;
À l’amour ne fais plus la guerre :
Dieu n’aime pas qui n’aime pas.



Source. — (Jalcout, section Wa-Yechi, n°16, sur le verset 49, 22 de la Genèse ; — Hippolyte Rodrigues, Origines du Sermon de la montagne, pages 150 à 154.)

  1. Docteur du IIe siècle.