Éditions Prima (Collection gauloise ; no 63p. 1-3).
ii  ►

i


— Zut ! Ce qu’on peut s’embêter sur cette boule terrestre déclara soudain Michette, en envoyant promener au milieu de la pièce la Vie Parisienne que la lumière déclinante ne lui permettait plus de lire. Sale patelin ! brouillard, pluie ! Ce que c’est saumâtre ! Et puis, d’abord, moi, je veux voir du pays, continua-t-elle, en étirant son petit corps de chatte ; voyager, vivre dans l’imprévu. Je m’encroute ici ! Je veux respirer de l’air neuf !

— Oh ! là ! là ! fit une voix qui était celle de Mine, la meilleure amie de Michette, ce que tu es nerveuse ! Voyager ?… Quelle blague ! Pour moi il n’y a que Panam…

— Oh ! toi, interrompit l’impétueuse Michette, tu es un vrai mollusque, une bourgeoise, tiens ! décréta-t-elle, en lançant un regard dédaigneux sur la forme nonchalante et la douce blondeur de son amie, blottie paresseusement au creux des coussins. Et elle ajouta fièrement, en redressant sa petite tête brune aux cheveux coupés selon la mode créée par la bonne Lorraine quelque cinq cents ans auparavant :

« Moi, j’ai d’autres aspirations ! Ça ne te dégoûte pas, toi de recommencer tous les soirs le même boulot aux « Ambass » avec, comme brillante perspective, l’espoir d’apprivoiser un jour la fortune sous la forme d’un vieux libidineux, chauve, avec un ventre comme une citrouille… ? Car, tu sais, faut pas se faire d’illusion, on n’est pas née pour faire des étoiles, nous deux.

— Oh ! ça non, approuva Mine.

— Alors quoi ? continua Michette, le libidineux ? Très peu pour moi… et je ne suis pas assez gourde pour rêver d’un prince charmant qui serait beau comme le jour et riche comme Crésus. Zut ! zut ! zut ! ce que c’est dur, la vie ! s’exclama-t-elle en envoyant un coup de poing dans un malheureux coussin qui n’en pouvait mais.

— Qu’est-ce que tu veux murmura Mine tristement, quand on n’a pas le rond… et qu’on veut faire la délicate…

Mais Michette, assise en tailleur au coin du divan, la tête appuyée sur ses deux poings, le sourcil froncé, semblait réfléchir profondément, et son amie, aux idées paresseuses, se tut. La nuit commençante mettait de la pénombre autour d’elles, dans la petite pièce qui, avec une salle de bain, composait tout l’appartement de Michette, et que cette dernière avait arrangé en chambre-salon : divan, petite table, fauteuils et bibliothèque. Car Michette lisait — et de bons livres, ma foi ! — mais surtout des livres de voyages, sa marotte. D’ailleurs, plus cultivée, plus spirituelle que la moyenne de ses pareilles, cette petite Michette qui, orpheline à dix-huit ans, a préféré se débrouiller toute seule à Paris plutôt que d’accepter l’abri que lui offrait dans un petit trou de province une sœur de sa mère, âgée, non mariée et confite en religion. Elle aime la vie… il faudra bien que cette dernière le lui rende un jour !

— Euréka ! j’ai trouvé ! s’écria soudain Michette en battant des mains. Écoute, ma vieille, ouvre tes oreilles et dis-moi ce que t’en penses, ordonne-t-elle à Mine. Je te l’ai déjà dit, j’en ai assez de piétiner sur place pour n’arriver jamais à rien et consumer ma belle jeunesse dans la monotonie… Eh bien ! voilà, je change de métier ! Je me fais dame de compagnie, première femme de chambre, secrétaire, ce qu’on voudra, et j’offre mes services à une étoile pourvue de talent — mettons génie — mais dépourvue d’orthographe, une étoile qui doit voyager, qui se dispose même à partir pour les Indes : Irma Frodytte, qui fait partie de la tournée qui voiture à travers le monde la dernière pièce à succès : Adolphe et son minet. Je sais que Josette sa première femme de chambre actuelle la plaque. Elle est comme toi, elle ne veut pas quitter Panam ! Tiens ! J’y cours tout de suite, chez Frodytte, conclut-elle en se mettant debout d’un bond. La lumière jaillissante de l’électricité fait fermer les yeux à Mine. À peine les rouvre-t-elle que déjà son amie est devant elle, chapeautée, parfumée, poudrederizée, enveloppée dans son manteau de fourrure, ravissante et radieuse… et qui lui dit :

— Au revoir, ma petite Mine, reste encore si tu veux, tu m’apporteras mes clés ce soir, au théâtre… Je dînerai dehors…