Georges Thone (p. 107-109).

SCÈNE IV.

La légende de Blanche de Namur.


LA FÉE ESPACE.

Toute la Meuse est pleine de souvenirs pareils, de chères histoires d’amour. Namur a connu celle de la reine Blanche.

LE DIEU TEMPS.

La fille du comte Jean Ier qui épousa Magnus, roi de Norvège et de Suède — le pays des douces princesses que l’on pleure.

LA FÉE ESPACE.

En Suède, on chante encore en son honneur une berceuse. Tout le monde y sait Rida Ranka. Qui chez nous connaît encore Blanche de Namur, fille de Jean Ier, mère du roi Hakon ?

LE DIEU TEMPS.

Approche-toi, notre bon ami, le Chanteur de complaintes, toi le barde du peuple et sa voix, instable comme l’espace et vieux comme le temps. Tu dois connaître cette chanson-là parmi toutes les autres… qui célèbrent les filles de la Meuse.

Le chanteur de complaintes, celui que l’on a déjà rencontré à Bouvignes, est entré à l’appel du dieu Temps.

Mon Dieu, bien sûr que oui, mon bon Monsieur. Ce n’est point tout à fait celle que l’on dit en Suède. Je l’ai arrangée à ma façon. Il y a d’abord une introduction qui est tout entière de moi. Écoutez donc !

(L’orchestre indique déjà le thème de la berceuse.)

Il dit :

Magnus Eriksson, roi de Norwège
et de Suède, vint chez nous, un jour.
Il allait en France y chercher l’amour,
une reine pour le pays des neiges.

Passant par Namur, Blanche y rencontra,
la fille de Jean premier notre comte,
la prit toute rose entre ses deux bras
et puis l’épousa — ce n’est pas un conte.

LA FÉE ESPACE.

Chante-nous la berceuse de Rida Ranka.

LE CHANTEUR DE COMPLAINTES.

Voilà ! voilà… Attendez donc. Blanche a eu un fils, Hakon, qui deviendra roi, un roi fameux, vous savez bien. Il n’est encore, au moment où nous sommes, qu’un tout petit prince. Il s’est mis à califourchon sur le genou de sa maman ; elle le balance en chantant de sa douce voix :

Chevauche, chevauche, en te balançant.
Ton cheval, mon fils, c’est ta mère Blanche.
Chevauche, chevauche, écuyer charmant,
Sans éperons d’or, sans armure aux hanches.
Quand les porteras, n’auras plus jamais
Ton rire d’enfant que ta mère aimait.

Chevauche, chevauche, en te balançant.
Ton cheval, mon fils, c’est ta mère Blanche.
Chevauche, chevauche, écuyer charmant,
Auras sur ton front vers lequel se penche
Mon cœur angoissé, mon cœur en émoi,
la couronne d’or que portent les rois.

Chevauche, chevauche, en te balançant.
Ton cheval, mon fils, c’est ta mère Blanche.
Chevauche, chevauche, écuyer charmant,
Mire dans mes yeux tes yeux de pervenche
Car viendra trop tôt le temps des amours
Où mourra la paix en toi pour toujours.

De son fils chéri, voyant l’âge mûr
Avec un sourire au milieu des larmes
Lors chantait ainsi Blanche de Namur
Et son fils Hakon, quand eut pris les armes,
eut ceint la couronne et eut convolé
Il pleura sa mère et son chant ailé[1].

LE DIEU TEMPS.

Va, bonhomme, au long de Meuse, chante nos filles et leurs charmes et leur gloire.

Il le prend par la main et le conduit vers la coulisse tandis que l’orchestre reprend :

Chevauche, chevauche en te balançantxxx

En sortant le Chanteur de complaintes continue doucement :

Ton cheval, mon fils, c’est ta mère Blanche.
Chevauche, chevauche, écuyer charmant…

  1. Adaptation de la berceuse suédoise : Rida Ranka. Voir Félix Rousseau, Guetteur wallon, 2e année, n° 1.