Georges Thone (p. 105-106).

SCÈNE III.

Les dames des Croisés.


Chant de cor anglais. Hautbois. Cors. Glas. Coup de gong sonore.

Le rideau se lève : fond et coulisses de velours gris et mauve.

LE DIEU TEMPS.

Marche-les-Dames !

LA FÉE ESPACE.

Où vint mourir sur une cime, Celui qui, sur une cime, avait hissé son âme et son peuple.

LE DIEU TEMPS.

Meuse royale, fleuve de grâce et d’harmonie ; combien de cris douloureux noyés dans tes eaux paisibles, combien, dans tes flots, d’âmes à la dérive.

LA FÉE ESPACE.

Combien de rêves brisés, dont les morceaux ont été roulés vers les lointains comme des pétales de roses effeuillées.

LE DIEU TEMPS.

Meuse royale. Sur toi se sont penchées, au cours des temps, de grandes ombres. Meuse au nom de femme, si femme dans tes gestes arrondis et pleins de grâce, ce sont des noms de femmes qui, d’abord, nous viennent aux lèvres lorsque nous évoquons ton passé.

LA FÉE ESPACE.

En fermant à moitié les yeux, nous voyons s’avancer vers nous, sur tes bords fleuris, les « Dames du temps jadis ».

(Chants de cor, symphonie.)
LE DIEU TEMPS.

Quand afin de venger la Croix
Tous les barons du Namurois,
à cent trente-neuf, s’en allèrent,

Leurs femmes en deuil ont juré
de fidèles leur demeurer
et de les attendre, en prières.

À présent, au fond du vallon,
Pour espérer leurs chers barons
On dit qu’il est encore des âmes

Que, dans les soirs, on voit errer,
à l’ombre mauve des rochers,
par le val de Marche-les-Dames.

(Chant de cors.)
Passent en théorie des dames en costumes du temps — qui doucement, bras croisés sur la poitrine, traversent la scène.