Meuse/p1/s8
SCÈNE VIII.
La forêt des Ardennes.
Un décor de forêt. Des sources qui chantent — des oiseaux qui se répondent — des cris de geais — un bruit de feuilles foulées, de branchages
écartés. — Des cerfs fuient. Dans le fond, les méandres de la Meuse. Une atmosphère de mystère. Sur la colline, dans la forêt, la ruine d’un château féodal incendié.
Des nutons entrent en scène.
C’est ici.
C’est bien ici, le rendez-vous. Un chêne, trois bouleaux, l’un d’eux s’enveloppant de chèvrefeuille. On dirait d’une pluie d’étoiles sur un ciel de lune.
La Meuse fait sa boucle et ronronne comme une chatte en s’étirant au pied vert de la colline.
C’est bien ici.
Voici le jour où Maugis d’Aigremont, l’enchanteur, revient parmi nous avec ses fées. Tudieu, les belles filles !
Tais-toi, vieux polisson… C’est aujourd’hui.
C’est le jour de la Saint-Jean… On entendra bientôt hennir Bayard dans les halliers.
Aïe ! Aïe ! Aïe ! Ouïe ! Ouïe !
Ouïe !
Aurais-tu rencontré Bayard et t’aurait-il caressé de son sabot ?
Ouïe ! Ouïe ! Ouïe ! Aïe ! Aïe !
Aïe !
Ah ! ça, vieux camarade, où est le pain de douze livres que tu devais quérir près du moulin pour prix du polissage des douze meules ?
Et la bouteille de fris’ pèket[1] qui m’avait été promise pour les dix chaudrons que j’ai rétamés ?
Aïe !
La miche… la miche… et le pèket.
Aïe ! Aïe ! Aïe ! Ouïe ! Ouïe !
Ouïe !
Ne brais pas de la sorte pour la volée que tu as reçue du fils du meunier.
Hi ! Hi ! Hi ! Hi !
Ha ! Ha ! Ha ! Ha !
Parce que tu cajolais sa bonne amie, Marguerite, pendard.
Il caressait Margot (vieil air wallon).
On est tombé su s’dos.
Ah ! l’canaille. Ah ! l’canaille.
Il caressait Margot
On est tombé su s’dos.
Ah ! l’canaille
et il l’f’ra cô[2].
Écoutez… Écoutez tous… Écoutez.
C’est Bayard qui, comme tous les ans, revient dans la forêt de Thiérache et de Marlagne.
C’est Bayard !
Sur son dos sont montés
et Renaud et Alard et Guichard et Richard,
les quatre fils d’Aymon
que poursuit Charlemagne…
Charlemagne !
Ô Maugis, comme l’an dernier, fais-le, devant nous soudain apparaître et les fées danseront pour toi…
Vous danserez, les fées ?
Faites-nous voir l’empereur à la barbe fleurie.
Nous danserons.
Comme les feuilles de la forêt au vent d’automne.
Comme les eaux de Meuse sur les roches.
Comme les biches sous la lune.
Comme des rayons de soleil sur le tronc des chênes.
Comme les abeilles, parmi les fleurs roses de la bruyère et les genêts dorés.
Apparais donc, Charlemagne !
C’est toi, Maugis !
et davantage, ici, le jour de la Saint-Jean,
au pied de Montessor, dans la forêt hantée
pour te ressusciter, ma baguette enchantée
frappe le plus vieux chêne.
de la Meuse qui chante en mordant les coteaux.
La ruine que voilà, c’est Montessor.
Un traître,
Hervieu de Lausanne, un soir t’en fit le maître
Tu le brûlas.
Alard, Richard, Guichard.
Tu les croyais tenir. (Hennissements.) Tu comptais sans Bayard,
Bayard, le destrier qui, sur son dos, les porte
tous quatre et, dans le ciel, devant toi les emporte.
… Mais je me suis vengé !
L’entends-tu pas hennir ?
Non, Bayard n’est pas mort. Bayard va revenir
Il est dans la Thiérache, il court par la Marlagne,
Il va, de son sabot, te marquer, Charlemagne.
Tu le fis garrotter à Liège et puis, d’un pont
On le jeta dans l’eau de Meuse.
« Il est au fond ! »
criaient les paladins, tout fiers de leur bravoure.
Mais Bayard fend le flot comme un soc qui laboure,
d’un bond il a fui Liège, il a touché Dinant,
Une roche l’arrête, il la frappe, il la fend
et puis dans la forêt où Montessor subsiste
en ruine, il s’enfonce, entends-tu.
Et maintenant mes belles, à votre tour, dansez.
Légères, comme des libellules sur un ruisseau bondissant.
Souples, comme des truites en rivière.
Rapides, comme l’hirondelle rasant le sol avant la pluie.
Et belles… comme ma belle du moulin.
Ha ! Ha ! Ha ! Ha !
Hi ! Hi ! Hi ! Hi !