Georges Thone (p. 62-64).

SCÈNE IX.

De la musique avant toute chose.


Devant le rideau, le dieu Temps et la fée Espace. La musique qui accompagnait la danse continue en sourdine.

LE DIEU TEMPS.

Les mots sont impuissants et la teinte subtile
fuit le peintre qui la poursuit.
Sa beauté de l’aurore aux ombres de la nuit
est si multiple et si mobile
que la toile et le vers ne la peuvent fixer.

LA FÉE ESPACE.

De sa source à l’Ardenne et d’ici jusqu’à Liège,
elle a mille contours, mille gestes racés.
On pensait la saisir et l’on est pris au piège ;
dans le regard conquis on gardait sa clarté ;
dans ses doigts refermés on croit tenir son onde,
et déjà, loin de vous, elle court par le monde,
vêtue d’une neuve et parfaite beauté,
pour le poète ou pour le peintre, inexprimable.

LE DIEU TEMPS.

Oui c’est là le miracle et la chose ineffable.
Et la seule musique, art entre tous mouvant,
sait te chanter ô Meuse,
sait te chanter ô Meuse, xô le rire du vent
dans les roseaux, le vol nacré des libellules
et toi, le soleil d’or sur les roches d’argent,
et vous, tous les clochers bleus qui tintinnabulent,

vous, les oiseaux, les fleurs, les choses et les gens,
les barques, les chalands, les vergers, les prairies
au pied des coteaux verts que l’avril refleurit.

LA FÉE ESPACE.

Unissez vos accents, nouez vos symphonies
Inspirez César Franck et Méhul, et Grétry
Toutes beautés par eux, en une réunies,
vivent dans la douceur de quelques airs wallons
et l’âme de la Meuse habite les violons
des aïeux de Vieuxtemps et des fils d’Ysaye.

(Musique de Franck, Vieuxtemps.xxxxx
Quelques mesures du Chant du départ.)
LE DIEU TEMPS.

Tout est grâce et douceur, elle est femme, la Meuse.
Sa croupe ondule dans les prés et l’on dirait,
en octobre, qu’elle a, nimbés d’ombre brumeuse,
coiffé les cheveux lourds et roux de la forêt.
Parfois, comme une femme, elle bondit, farouche,
elle frappe, elle griffe, elle crie, elle mord,
elle crache ses fleurs et, l’écume à la bouche,
brisant tout devant elle, elle hurle à la mort.
Sanglante et révoltée elle a pour nom : Théroigne.
Sa chanson, ce n’est plus « Où peut-on être mieux »,
C’est un cri de combat, cent ruines en témoignent,
C’est la voix de Méhul qui monte vers les cieux.

Pendant que parle le Dieu Temps, développement à l’orchestre du thème de l’inondation, de la Meuse torrentielle envahissant soudain les berges, brisant, emportant tout — mesures du Chant du départ.
Le rideau s’est ouvert et l’on voit derrière un voile de tulle les soldats de la République traînant un canon, auquel s’accroche, tirant de toutes ses forces, Théroigne de Méricourt.
Ils chantent :

La victoire en chantant
nous ouvre la carrière.
La liberté guide nos pas.
Et du Nord au Midi la trompette guerrière
a sonné l’heure[1], etc.

(La toile tombe.)



  1. Le Chant du départ, de Méhul.