Mes souvenirs (Stern)/Appendice

Daniel Stern ()
Calmann Lévy, éditeurs (Bibliothèque contemporaine) (p. 369-402).





A


(Page 3)



Ce qui suit est extrait de la Bible Guiot de Provins.


Certes molt orent pris et los
Bérars et Guillaume li Gros.
. . . . . . . . . . . . . .
Onques certes deçà la mer
Ne vi un si cortois baron
Qui fut Morises de Troon
Et qui fu Beuauz de Nevers ?
Biaus et cortois, droits et apers
Qui fut Henri de Fousigney,
Qui furent cil de Flavigny ?
. . . . . . . . . . . . . .





B


(Page 4)



Je joins ici une intéressante communication sur mon ancêtre, que je dois à l’obligeance de M. Castan, bibliothécaire de la ville de Besançon, membre correspondant de l’Institut.



NOTICE


SUR


NICOLAS DE FLAVIGNY


Archevêque de Besançon.
(1227- 1235).


L’archevêque de Besançon Jean Halgrin venait d’être appelé à Borne par le pape Grégoire IX, son ancien condisciple, et créé cardinal-évêque de Sabine (1227) ; il s’agissait de lui donner un successeur. Les chanoines n’ayant pu tomber d’accord pour ce choix, le pape nomma lui-même à l’archevêché de Besançon Nicolas de Flavigny, doyen du chapitre de Langres, savant théologien et éloquent prédicateur,

Le diocèse était alors en proie à la guerre civile : le comte Étienne, qui représentait la branche cadette des anciens souverains de la province, avait soulevé une grande partie de la noblesse du pays contre Othon de Méranie qui était, par une alliance, substitué aux droits de la branche aînée de ces mêmes princes. Pendant deux années, Nicolas de Flavigny ne put songer à prendre possession de son siège.

Au printemps de 1229, il résolut enfin de se faire sacrer. La cérémonie aurait dû s’accomplir dans la cathédrale de Saint-Jean et par le ministère de l’évêque de Lausanne, premier suffragant du siège de Besançon. Mais l’évêque de Lausanne était mort ; ceux de Bâle et de Belley, également suffragants, étaient malades et refusaient d’ailleurs de se trouver ensemble, parce qu’ils étaient ennemis. En outre, l’un des seigneurs du diocèse, Henri de Vienne, détenait prisonnier l’archevêque de Lyon, Robert d’Auvergne, ami intime du nouveau prélat. Dans de telles circonstances, Nicolas de Flavigny jugea convenable de ne pas provoquer une cérémonie pompeuse et accompagnée de démonstrations de joie. Il demanda donc à son chapitre l’autorisation de se faire sacrer, sans bruit, dans une église ou chapelle des plus modestes, ce qui lui paraissait plus conforme à la douleur qu’il ressentait et aux calamités dont il était le témoin.

La guerre venait définir, et il y avait à réparer beaucoup de dégâts et de déprédations : Nicolas s’y employa avec vigueur. Son premier acte d’autorité fut de contraindre par l’excommunication Huon, seigneur de Belvoir, à restituer ce qu’il avait pillé, en 1228, dans deux villages du domaine de l’archevêché.

Nicolas se rendit, en 1230, à Ulm, où le roi des Romains tenait sa cour ; il y reçut l’investiture de la seigneurie temporelle de Besançon. À son retour, il dut encore user des foudres spirituelles contre quelques citoyens de la ville qui avaient enlevé les bestiaux et ravagé les moissons des habitants de Bregille, hommes de l’archevêque.

Au mois de septembre de la même année, le prélat fit, à Salins, la cérémonie de la levée du corps de saint Anatoile, patron de cette ville, qui dès lors fut exposé dans une châsse à la vénération des fidèles.

La commune de Besançon, violemment anéantie par l’archevêque Jean Halgrin, essayait de renaître : Nicolas de Flavigny s’en émut ; il se hâta d’accourir auprès de l’empereur Frédéric II, alors à Ravenne, et obtint de ce monarque, au mois de décembre 1231, la confirmation d’un diplôme antérieur par lequel toute association politique avait été interdite aux citoyens de sa ville archiépiscopale.

À peine était-il de retour, qu’un incendie endommageait gravement l’église métropolitaine de Saint-Jean. Des quêtes eurent lieu dans les quatre diocèses de la province ecclésiastique de Besançon, et même dans celui de Genève, pour remédier à ce fléau.

Énergique et actif, l’archevêque Nicolas intervenait souvent, comme arbitre, dans les trop nombreux conflits qui s’élevaient entre les possesseurs de seigneuries situées dans son diocèse. Ce fut ainsi qu’au mois de mai 1233, il apaisa la querelle que les chanoines de Saint-Étienne de Besançon faisaient à Amédée de Neufchâtel-Comté, au sujet d’un château-fort construit par ce chevalier sur la hauteur de Montrond : il fut convenu que les deux parties auraient en commun l’usage de cette forteresse. Un mois plus tard, l’archevêque Nicolas excommuniait le comte de Montbéliard Thierry III, coupable d’usurpation sur les propriétés de l’abbaye de Lure qu’il avait mandat de protéger.

Non moins vigilant était notre archevêque quand il s’agissait de l’administration du temporel de son siège. Dans cette même année 1233, le prévôt héréditaire de Bregille avait, de son autorité privée, vendu le quart de certaines vignes qu’il tenait en fief du prélat. Celui ci, se conformant aux usages féodaux, déféra le cas à trois juges choisis parmi les vassaux de l’archevêché : c’étaient Jean de Chalon, père du comte de Bourgogne ; Henri, archidiacre et chambrier archiépiscopal ; Hugues de Saint-Quentin, chevalier de Besançon. Ce tribunal déclara qu’aucun feudataire ne pouvait, sans le consentement de son suzerain, diminuer ou aliéner la chose de son fief.

Dans le cours des années 1234 et 1235, l’archevêque s’entremit encore nombre de fois pour faire restituer aux églises du diocèse des biens usurpés sur leur patrimoine.

En 1235, l’empereur Frédéric II avait convoqué à Mayence, pour le 15 août, une cour plénière. L’archevêque de Besançon s’y rencontra, avec les évêques de Bâle, de Strasbourg, de Metz, de Toul et de Verdun, comme lui princes de l’Empire. De graves questions furent traitées dans cette assemblée, celle, entre autres, de la déposition de Henri, roi des Romains, qui s’était révolté contre l’empereur, son père. On parla longtemps des splendeurs du festin champêtre que Frédéric II offrit, durant cette solennité, aux prélats et seigneurs qui avaient répondu à sa convocation.

Les fatigues de ce voyage portèrent une grave atteinte à la santé de Nicolas de Flavigny. Il s’empressa de regagner Besançon, mais ce fut pour y mourir, le 7 septembre 1235. Il laissait la mémoire d’un érudit ecclésiastique, d’un administrateur habile, d’un justicier sévère autant qu’équitable.

On conservait dans la bibliothèque de l’abbaye de Cîteaux la copie manuscrite d’une Concordance des Évangiles, qui était l’œuvre de Nicolas de Flavigny.

La sépulture de ce prélat se voyait devant le grand autel de l’abbaye de Bellevaux, avec une épitaphe ainsi conçue : HIC - BISVNTINVS - PRAESVL - NICOLAVS - PER - CVIVS - DOMINVS - DOCTRINAM - GLORIFICATVR. — « Ci-gît l’archevêque de Besançon Nicolas dont la science glorifia le Seigneur. »

L’image de Nicolas de Flavigny tient son rang dans la série des portraits peints qui ornent le palais archiépiscopal de Besançon. Ces tableaux, exécutés vers 1780, sont, pour les périodes antérieures au xvie siècle, des images de pure fantaisie. En ce qui concerne Nicolas de Flavigny, l’artiste n’a pu s’inspirer pour le peindre que du caractère de ce prélat : il lui a donné la tête d’un vieillard à barbe blancbe, capable de volonté et de réflexion, ayant quelque parenté avec les figures des papes Grégoire VII et Jules II. À l’un des angles supérieurs de la toile, on voit un écusson échiqueté d’or et d’azur.

Bibliothèque de la ville de Besançon, le 9 octobre 1875.


A. CASTAN.





C


(Page 9)



Je trouve dans ce Mémoire des pensées profondes et très-hardies pour le temps où elles furent écrites. Voici un passage de la dédicace :


Monseigneur,

Si les rigueurs de la fortune m’ont placé dans un état très-disproportionné à ma naissance et à l’éducation qu’on s’est efforcé de me donner, j’ai préféré néanmoins servir mon pays dans le moindre emploi plutôt que de servir une puissance étrangère dans un sort plus heureux ; j’ai cru devoir vous exposer des réflexions que j’ai été plus à portée de faire que personne sur la désertion et sur la punition des déserteurs ; je voudrais contribuer par là à arracher à la mort tant de malheureuses victimes que leur inconséquence y dévoue.


L’auteur du Mémoire, après avoir rappelé que M. de Choiseul a introduit de grandes réformes dans l’organisation de l’armée, qu’il a fait des ordonnances qui rétablissent la discipline, suppriment le trafic des engagements et des congés, détruisent le monopole des emplois, diminuent les dépenses, ose dire que cette législation, bonne à beaucoup d’égards, garde toutefois un défaut grave.

Avant 1762 le soldat français désertait beaucoup ; l’ordonnance de 1762, en rendant la discipline plus sévère, a augmenté encore le dégoût du service déjà très-grand. La désertion est une maladie épidémique dont on ne peut se garantir qu’en en détruisant la cause. Le Français déserte plus qu’aucun autre soldat de l’univers. La peine de mort est la seule punition infligée sans distinction à tous les modes de désertion, compliqués ou non. Il y a cependant deux classes de déserteurs. L’inquiète susceptibilité, la légèreté, l’insouciance, l’esprit de libertinage, l’excès de la débauche, la séduction forment la première et heureusement la plus nombreuse classe de désertion. La seconde est composée de scélérats qui ajoutent au crime de la désertion celui du vol, du meurtre et de la trahison en passant à l’étranger. Ceux de la première passent par les armes ; ceux de la seconde sont pendus. On peut ajouter à ces causes de désertion le peu de choix dans les recrues et le peu de précaution contre cette espèce d’escrocs appelés dans les régiments bellardeurs, dont le mérite est en proportion des vols qu’ils ont commis. Cinq à six mille hommes, année commune, devraient être exécutés comme déserteurs, soit à l’intérieur, soit à l’étranger, si la fuite, les lettres de grâce ou d’impunité, les amnisties, ne modifiaient ce chiffre effrayant.

Il faut rectifier ces erreurs de la jurisprudence criminelle. La peine de mort n’est point nécessaire en France. Elle ne donne que des exemples d’un effet momentané, elle frustre lasociélé des services qu’elle aurait reçus en indemnité du dommage souffert par le fait du crime. Elle donne un spectacle barbare qui excite la compassion ou l’indignation des témoins, en suspendant en eux tout autre sentiment. Quand la loi est atroce, elle fait plaindre le coupable et préférer l’impunité. Mieux valent des impressions plus faibles, mais continues, que des impressions violentes, mais passagères. Le frein du crime est plus dans la certitude d’être punique dans la sévérité de la peine.

La plupart des législateurs n’ont pas puui de mort la désertion, ils l’ont considérée comme un crime politique. La substitution de l’infamie à l’honneur leur parut le châtiment le plus juste et le plus efficace. Charondas, législateur desLocriens, ne condamnait les déserteurs qu’à porter pendant trois jours dans la ville des habits de femme.



D


(Page 19)



Lettres de naturalisation accordées par la République de Soleure à Sophie-Élisabeth Huguenin, vicomtesse de Flavigny, et à Alexandre-Victor-François de Flavigny, son fils.


I


À monsieur le Président et à messieurs du Conseil d’État.


Sophie-Élisabeth Huguenin, fille de Moïse-François Huguenin, né communier du Locle, banquier de Neufchatel et Valangin, et d’Élisabeth Guldimann, bourgeoise de Soleure, a l’honneur d’exposer à Vos Seigneuries :

Qu’étant née sujette de l’État, elle aurait perdu cette qualité par son mariage avec feu Gracien-Jean-Baptiste-Louis, vicomte de Flavigny, chevalier de Saint-Louis et lieutenant-colonel en France ; que pour faire recouvrer à ses enfants la qualité de Suisse à laquelle elle tenait infiniment, elle fut avec son époux s’établir à Genève, où elle donna le jour à un fils unique nommé Alexandre-Victor-François de Flavigny qui par le lieu de sa naissance acquit de fait et de droit coite qualité.

Qu’elle eut tout lieu dans la suite de s’applaudir de cette mesure, puisqu’elle a procuré à son fils l’avantage d’obtenir comme Suisse une place d’élève au collège des Quatre Nations ; et que depuis la révolution française il n’a point été envisagé comme émigré malgré sa rentrée en Suisse.

Que tenant toujours à sa patrie et à celle de ses pères, elle vient supplier Vos Seigneuries de lui rendre le bien qu’elle a perdu par son mariage en lui accordant pour elle et son fils des lettres de nationalité ; persuadée qu’aucune raison politique ne contrariant la faveur qu’elle sollicite, Vos Seigneuries daigneraient avoir égard à sa position et à la notoriété des faits allégués qui sont connus de la plupart des membres de cet illustre gouvernement.

Elle se permettra de rappeler à Vos Seigneuries le souvenir mêlé de tendresse et de vénération qu’on conserve icy pour feu son oncle paternel le chancelier Huguenin, l’amitié qu’on y a eue pour son frère Casimir Huguenin, officier aux Gardes Suisses, qui réformé en 1763 obtint une reconnaissance de sa qualité de sujet et bourgeois dans cet État.

Enfin elle ose mettre en avant son attachement invariable pour la patrie de son père, sentiment aussi naturel que légitime, et dont elle ne parlerait point, si elle ne l’eût manifesté dans des tems plus heureux, par le désir de s’en rapprocher après son veuvage en 1784, désir toujours contrarié par de fâcheuses circonstances, mais qu’elle voit aujourd’huy la possibilité de satisfaire, si Vos Seigneuries, ainsi qu’elle l’espère de leurs bontés et de leur équité, lui accordent la grâce qu’elle sollicite avec instance en se répandant en vœux pour leur constante prospérité.

À Neufchatel, le 5 février 1797.

Signé : Sophie-Élisabeth Huguenin,
Vicomtesse de Flavigny.


Sur la requête cy-dessus, après avoir délibéré. Il a été dit que, vu le cas particulier, le Conseil accorde à la requérante et à Alexandre-Victor-François de Flavigny son fils la naturalisation ; et ordonne qu’il lui en soit expédié des lettres en la forme ordinaire, et moyennant l’acquit de la finance ordinaire, lesquelles lettres deviendraient toutesfois sans effet, si la requérante et son fils ne prenoient pas entre cy et une année bourgeoisie ou communauté dans l’État. Au reste la chancellerie est autorisée par une suite du présent arrest à expédier une déclaration qui fasse constater de la qualité de sujets de l’État de la suppliante et de son fils. Donné en conseil tenu sous notre présidence au château de Neufchatel le 5 février 1797.

Signé : d’Iverxois.

Collationné par les notaires à Soleure soussignés, et pour copie conforme à l’original dûment signé et à l’instant rendu.

Soleure, ce 21 avril 1797.

H. J. Wirtz, not. Luthy, not.


Nous Avoyer et Conseil de la Ville et République de Soleure en Suisse, attestons par ces présentes que les susnommés Lüthy et Wirtz sont notaires publics et jurés de notre dite Ville et que foi est ajoutée aux actes qu’ils reçoivent en jugement et dehors. Certifions en outre que non-seulement la Principauté de Neufchatel est en alliance avec les louables cantons de Berne, Lucerne, Fribourg et Soleure, mais que la ville de Landeron l’est en particulier avec notre République. En témoignage de quoi nous avons fait sceller icelles du sceau de notre République et signer par notre bien-aimé secrétaire d’État le 21 avril 1797.

De Zeltner, secrét. d’État.
(Sceau.)



II


Nous Charles-Guillaume d’Ivernois, moderne président du Conseil d’État, en l’absence de noble et généreux seigneur Louis-Théopbile de Beville, chevalier de l’ordre du Mérite, lieutenant-général d’infanterie, gouverneur et lieutenant-général en cette souveraineté de Neufchatel et Valangin, pour et au nom de Sa Majesté Frédéric-Guillaume second par la grâce de DIEU Roi de Prusse, Margrave de Brandebourg, Archi-Chambellan et Prince Électeur du Saint-Empire Romain, etc., etc., etc., notre souverain Prince et Seigneur ; savoir faisons à tous ceux qu’il appartiendra que Sophie-Élisabeth Huguenin, fille de feu Moyse-François Huguenin en son vivant bourgeois de Neufchatel et Valangin et communier de Locle, veuve de Gracien-Jean-Baptiste, vicomte de Flavigny, chevalier de Saint-Louis, et lieutenant-colonel au service de France ; nous aiant exposé par une très-humble requête, que malgré qu’elle ait perdu par son mariage la qualité de sujette en cet État, elle n’en a pas moins conservé le plus vif attachement pour sa patrie, ainsi que le désir de s’y retirer un jour, et qu’ambitionnant de pouvoir en y rentrant redevenir participante de toutes les douceurs dont jouissent les sujets de cet État sous la paternelle et glorieuse domination de Sa Majesté, elle nous supplioit de lui accorder tant pour elle que pour son fils Alexandre-Victor-François de Flavigny les lettres de naturalité à ce nécessaires, offrant de payer la finance ordinaire, et de s’acquitter avec zèle de tous les devoirs qui leur sont imposés par une suite de cette faveur ; nous d’après les rapports avantageux qui nous ont été faits de la suppliante et de son fils, et eu égard à sa descendance d’une bonne et ancienne famille de ce pays, avons ensuite de l’avis de messieurs du Conseil d’État permis et octroie au nom de Sa Majesté, comme par les présentes nous permettons et octroions à la dite Sophie-Élipabeth de Flavigny née Huguenin, ainsi qu’à son fils Alexandre-Victor-François de Flavigny, tant pour lui, que pour les siens nés et à naître en loyal mariage à perpétuité de demeurer et s’habituer dans cette souveraineté de Neufchatel et Valangin, en tel lieu de la partie catholique de la souveraineté que bon leur semblera pour y jouir des privilèges, franchises, libertés et droits dont jouissent les sujets naturels et originaires de cet État, et pour y satisfaire réciproquement aux mêmes devoirs, charges et prestations auxquels sont ienus et obligés envers Sa Majesté ceux de ses sujets qui résident dans les lieux où lesdits Sophie-Élisabeth de Flavigny et Alexandre-Victor-François de Flavigny prendront leurs habitations ordinaires, à teneur du règlement fait à ces lins au conseil d’État le 28 décembre 1707, sans que cependant ladite Sophie-Élisabeth de Flavigny, ni ledit Alexandre-François de Flavigny, soit les siens, puissent en vertu des présentes ni dudit règlement prétendre jouir des bénéfices portés dans les concessions des abris, et de la dixme de la pose, et sans que ledit Alexandre-Victor-François de Flavigny, ni aucun des siens déjà nés, puissent prétendre à aucun employ civil, militaire ou ecclésiastique de cet État, non plus qu’à aucune des compagnies militaires avouées de cet État dans un service étranger, lesdits emplois et compagnies ne pouvant être possédés que par des naturels nés sujets et régnicolesde cette souveraineté, et étant en outre très-expressément réservé qu’aussi souvent et aussi longtemps que ladite Sophie Élisabeth de Flavigny, et ledit Alexandre-Victor-François de Flavigny, soit les siens, seront habitués hors de cet État, ils ne pourront se prévaloir envers le souverain d’aucun des droits utiles, bénéfices et exemptions dont jouissent et ont accoutumé de jouir les sujets de l’État résidants et habitués dans icelui, et qu’ils n’y participeront qu’autant qu’ils auront un domicile fixe et permanent dans ce pays. Laquelle présente naturalisation nous leur avons ainsi accordée moyennant le serment qu’ils prêteront d’être fidels et loyaux à Sa Majesté, notre souverain prince et seigneur, d’être soumis aux lois et à la Constitution de cet État, et de satisfaire aux conditions cy-dessus à eux imposées ainsi qu’à tous autres devoirs, redevances et prestations, auxquels tout bon et fidel sujet de l’État est tenu, moyennant en outre qu’ils paieront à Sa Majesté en sa recette des parties usuelles une fois pour toute la somme de cent vingt livres tournois, et enfin que dans le courant d’une année à compter de ce jour, ils se procureront la qualité de bourgeois ou communiers dans quelque corps de bourgeoisie et de communauté ressortissant de la partie catholique de cet État, à défaut de quoy, en laissant écouler l’année sans avoir satisfait à cette clause et obligation expresse, les présentes lettres de naturalisation deviendront nulles et sans effet quelconque. Si donnons en mandement à tous châtelains, maires, justiciers et autres officiers en cette souveraineté qu’il appartiendra, qu’ils laissent et fassent jouir et user pleinement et paisiblement lesdits Sophie-Élisabeth de Flavigny et Alexandre-Victor-François de Flavigny de tout le contenu ès-présentes, de même que les hoirs et successeurs en loyal mariage de ce dernier, sans permettre qu’il leur soit fait ni donné aux uns et aux autres aucun trouble ni empêchement ; car telle est notre intention au nom de Sa Majesté ; en témoin de quoy il a été ordonné au soussigné conseiller d’État et chancelier en cette souveraineté d’expédier les présentes sous son seing ordinaire, et nous y avons fait apposer le grand sceau de Sa Majesté usité en cet État. Donné en conseil tenu au château de Neufchatel le sixième février mil sept cent quatre-vingt-dix-sept. 1797.

Signé : Ch. Godef. Tribolet.

Reçu la finance mentionnée cy-dessus due à Sa Majesté.
À Neufchatel le 9 avril 1797.

Signé : Ch. Auguste de Perrot.

Aujourd’hui troisième avril mil sept cent quatre-vingt et dix-sept, a été présentée en Conseil d’État la lettre de bourgeoisie du Landeron, qu’en obéissance à restriction portée dans les présentes, madame de Flavigny a sollicitée et obtenue pour elle et pour son fils. La dite lettre datée du 6 mars dernier et expédiée sous le sceau de la bourgeoisie et la signature du secrétaire d’icelle.

Signé : Ch. Godef. Tribolet.


Collationné par les notaires publics à Soleure soussignés et trouvé pour copie conforme à l’original, dûment scellé et à l’instant rendu. Soleure ce 21 avril 1797.

Signé : H. J. Wirtz, not. Luthy.


Nous Avoyeii et Conseil d’État de la République de Soleure en Suisse, attestons par ces présentes que les susnommés Luthy et Wirtz sont notaires publics et jurés de notre dite ville et que foi est ajoutée aux actes qu’ils reçoivent en jugement et dehors. — Certifions en outre que non-seulement la principauté de Neufchatel en général est en alliance avec les louables cantons de Berne, Lucerne, Fribourg et Soleure, mais que la ville du Landeron l’est en particulier avec notre République. En témoignage de quoi nous avons fait sceller icelles du sceau de notre République et signer par notre bien-aimé secrétaire d’État le 21 avril 1797.

Signé : De Zeltner, secrétaire d’État.
(Sceau.)





E


(Page 22)



Visite à mademoiselle Lenormant.


J’allai chez mademoiselle Lenormant le 23 juin de l’année 1834, à la suggestion du célèbre romancier Eugène Sue qui me parlait d’elle comme d’une personne prodigieuse par sa puissance de pénétration et d’intuition. Mademoiselle Lenormant demeurait alors rue de Tournon et donnait ses consultations dans un cabinet très-sombre, très-sale, sentant fort le renfermé, et auquel, moyennant quelques artifices assez puérils, elle avait donné un air de nécromancie. Ce n’était plus le temps de sa brillante renommée, quand, par l’effet de sa prédiction à madame de Beauharnais, elle était venue en crédit auprès des plus grands souverains de l’Europe — on se rappelle que, au congrès d’Aix-la-Chapelle, Alexandre la visitait fréquemment et sérieusement ; lord Wellington aussi la consulta pour connaître le nom de l’homme qui avait tenté de l’assassiner — 1818 — ; elle était maintenant presque oubliée. Peu de gens connaissaient le chemin de sa demeure. Vieille, épaisse, sordide en son accoutrement, coiffée d’un bonnet carré, façon moyen âge, elle se tenait à contre-jour dans un grand fauteuil en cuir graisseux, à sa table chargée de cartes cabalistiques ; un gros chat noir miaulait à ses pieds d’un air de sorcière. Le regard prompt et perçant de la devineresse, jeté à la dérobée pendant qu’elle mêlait ses cartes — pour quelques francs en sus du prix commun c’était ce qu’elle appelait le grand jeu — lui révélait sans doute le genre de préoccupation et l’humeur du personnage qui la consultait et l’aidait à prévoir un avenir qui, après tout, pour chacun de nous, et sauf l’intervention très-limitée du hasard, est la conséquence de notre tempérament et de notre caractère. Ce qu’elle me dit m’étonna parce que je ne me connaissais pas moi-même alors, sans quoi j’aurais pu, jusqu’à un certain point, être mon propre oracle, et prévoir, sans consulter personne, quelle serait ma destinée.

Je pris note en rentrant chez moi de ce que m’avait dit mademoiselle Lenormant. Je le transcris ici pour les personnes curieuses de ces sortes de rencontres. « Un changement total dans votre destinée se fera d’ici à deux ou trois ans. Ce qui vous semblerait, à cette heure, absolument impossible se réalisera. Vous changerez entièrement de manière de vivre. Vous changerez même de nom par la suite, et votre nouveau nom deviendra célèbre non-seulement en France mais en Europe. Vous quitterez pour longtemps votre pays. L’Italie Bera votre patrie d’adoption ; vous y serez aimée et honorée. Vous aimerez un homme qui fera sensation dans le monde et dont le nom fera grand bruit. Vous inspirerez de vifs sentiments d’inimitié à deux femmes qui chercheront à vous nuire par tous les moyens possibles. Mais ayez confiance ; vous triompherez de tout. Vous vivrez vieille, entourée de vrais amis, et vous aurez sur beaucoup de gens une influence heureuse. Faites attention à vos rêves qui vous avertiront des dangers que vous courrez. Défiez-vous de votre imagination qui s’exalte facilement et vous jettera en bien des périls, dont vous ne sortirez que par grand courage. Modérez votre bienveillance qui est aveugle. Comptez que votre esprit, qui est indépendant et sincère, vous fera beaucoup d’ennemis et que votre bonté sera méconnue. »

Je retrouve aussi dans ma correspondance avec Eugène Sue une lettre qui se rapporte à mademoiselle Lenormant, et je la joins ici pour compléter ce que j’ai conté de cet incident.


Lettre d’Eugène Sue.


Paris, 27 juin 1834.

« Je sors de chez notre devineresse, madame, et je ne saurais vous exprimer mon désappointement. Vous m’avez demandé de vous dire les prédictions qu’elle m’a faites, telles désagréables qu’elles soient : les voici. Vous verrez, madame, que la damnée sibylle varie du moins ses prophéties et que votre destinée brillante et européenne contraste cruellement avec la mienne.

» Après m’avoir reconnu pour un de ses croyants assidus, la maudite sorcière m’a fait quelques prédictions insignifiantes, m’en a rappelé d’autres, puis tout à coup, en s’arrêtant de mêler les cartes diaboliques, en attachant sur moi des yeux pénétrants et moqueurs : « Ho ho ! me dit-elle, voici quelque chose de nouveau et de fatal. Vous éprouvez un sentiment auquel on ne répondra pas. » Je voulus nier ; elle insista. Elle me parla d’esprit rare, de charme infini; elle me fit un portrait que je n’oserais retracer ici, mais qui n’était pas méconnaissable. Alors, me voyant si complètement deviné, je me tus, en me bornant à lui demander s’il n’y avait donc aucun espoir, si quelque carte n’avait pas été oubliée, si la combinaison était sans erreur. La vieille se remit à calculer avec une infernale complaisance. Hélas! madame, le résultat fut absolument le même : un sentiment profond, passionné, sans nul espoir, trouble mon présent et détruit mon avenir.

» Vous le voyez, madame, en rapprochant cette prédiction de celle qui vous a été faite, j’ai sujet doublement d’accuser le sort ; car il est dit que l’homme dont vous partagerez la destinée sera célèbre, d’où je conclus que celui dont vous repousserez l’amour restera obscur. Eh bien, madame, j’ose vous l’avouer, cette gloire annoncée à l’homme que vous daignerez aimer, je la rêvais, je l’ambitionnais, je me sentais assez fort pour la conquérir; et maintenant qu’il m’est prédit que je ne dois pas être aimé, je retombe du haut de mes rêves et de mes ambitions dans la tristesse et le découragement, le néant du cœur et de l’esprit.


Agréez, etc.



F


(Page 23)



Goethe revient fréquemment dans ses écrits à cet élément mystérieux qu’il appelle das dämonische, lequel se manifeste, selon lui, — Aus meinem Leben, Wahrheit und Dichtung, IVter Theil, XXtes Buch — d’une manière extraordinaire chez les animaux, mais bien plus encore chez l’homme, où il produit des phénomènes énigmatiques auxquels on a donné une multitude de noms divers, qu’on a décrits en vers et en prose, mais que n’ont pu expliquer encore aucune religion, aucune philosophie. Le grand poëte affirme avoir été à même d’observer plusieurs de ces phénomènes chez certains individus, qui exerçaient une puissance incroyable, non-seulement sur leurs semblables, mais encore sur les éléments. C’est en vain que la partie éclairée de l’humanité essaie de les rendre suspects en les qualifiant de dupes et d’imposteurs, la foule est attirée vers eux invinciblement. Goethe ajoute que dans sa propre existence il pourrait noter plusieurs faits étranges qui avaient tout au moins une apparence démoniaque, einen dämonischen Schein. Il a cherché à rendre sensible cet élément mystérieux dans plusieurs de ses fictions poétiques : Mignon et le joueur de harpe sont, selon son expression, des figures démoniaques, dämonische Gestalten. Le poëte polonais Miçkiewicz croyait, lui aussi, à cette puissance occulte qui réside en certains hommes et leur soumet l’esprit, le cœur et la volonté des autres. Croyant reconnaître chez moi à un certain degré cet élément mystérieux, il me disait un jour où nous avions beaucoup parlé de sa patrie, de la mienne, de leurs destinées futures, etc : « Si, vous et moi, nous fondions, dans un grand dessein, une association secrète, ne dût-il y avoir dans cette association que nous deux, ce serait un tel foyer d’électricité qu’il attirerait bientôt à soi les hommes de bonne volonté de tous les points du monde. »

Dans l’antiquité, l’emploi des mots daimon, daimonion, eudaimonion est très-fréquent. On le trouve dans Homère, Pindare, Thucydide, Eschyle, Aristophane, Pausanias, Xénophon, Démosthène ; dans les écoles de Pythagore et de Platon. Il a généralement le sens de puissance psychique, invisible, incorporelle, dont la nature tient le milieu entre les dieux et les héros, inférieure aux premiers, supérieure aux derniers, et qui peut leur être tantôt secourable — c’est l’agathodaimon, — tantôt défavorable — il se nomme alors alaslor daimon.

La croyance est universelle chez les anciens, que charpie homme, en venant au monde, y amène avec lui son bon et son mauvais démon. Le bon démon, l’agathodaimon a ses dévots, les agathodémoniastes ; on lui consacre un jour dans le mois ; on lui voue sa maison ; on célèbre des fêtes en son honneur, on lui offre des sacrifices ; on associe son nom à celui de la Fortune propice — Tyché. — Arrivé proche de sa dernière heure, Platon rendait grâce à son démon et à Tyché d’être né en Grèce et contemporain de Socrate. Mais peu à peu ce démon bienfaisant, dont quelques empereurs recommandent encore le culte, recule et s’efface avec les divinités du paganisme. Chez les Juifs d’abord, puis dans le christianisme populaire, la notion du mauvais démon l’emporte. Le démon tentateur, le diable, finit par régner seul sur les imaginations, et le mot démon prend exclusivement le sens de puissance contraire à Dieu et aux hommes. (V. Lehrs, Populäre Aufsätze aus dem Allerthum, p. 123 à 174.)



G


(Page 77)



La paresse du prince de la Trémoïlle était, entre ses amis, un perpétuel sujet de gaîté. Je lis dans une lettre de M. d’Agoult datée de Pezeau, château près de Cosnes, 24 octobre 1828, ce passage quelque peu railleur sur la manière de chasser du prince de la Trémoïlle :


« M. de la Trémoïlle a eu la bonté de faire arranger hier une chasse pour moi, peu fatigante et autour de son château. Nous nous placions, et les gardes, avec quinze petits paysans, allaient ramasser le gibier et le jeter sur nous. Cependant notre chasse a été peu meurtrière et nos plaisirs n’ont pas fait de victimes. Voici pourquoi. Il faudrait se cacher dans les fossés, mais pour cela il faudrait se baisser ou se mettre à genoux, et cela nous eût trop fatigués, de manière que nous nous présentions bravement aux perdreaux qui s’élevaient alors jusqu’aux nues, et il n’en tombait point. Au reste, les préparatifs de la chasse m’amusaient beaucoup. Ce bon prince en fait une affaire d’État ; il est en habit complet de chasseur : veste en coutil, chapeau de jockey ; autour du corps, cinq ou six poches en cuir ; un cordon pour attacher les chiens ; un fouet pour les faire obéir ; derrière lui son valet de chambre portant ses deux fusils, et autour de lui quatre gardes et les quinze petits batteurs avec dix ou douze chiens. Plus, le sous-préfet et moi qui riais un peu de tous ces apprêt. »



H


(Page 122)



Lettre de M. Maurice de Flavigny.


Londres, le 2 décembre 1817.


Je n’ai point encore reçu de tes nouvelles, ma chère maman ; cependant je ne crois pouvoir accuser que la grande distance qui nous sépare et les mauvais vents qui reîardent souvent le passage des paquebots. Depuis ma dernière lettre j’ai fait une petite excursion dans l’intérieur de l’Angleterre. Un de mes amis m’ayant engagé à faire avec lui le voyage de Bath, je me suis laissé entraîner. C’est une ville charmante située de la manière la plus pittoresque, au milieu d’un véritable jardin anglais ; je n’y suis néanmoins resté que tout juste le temps nécessaire pour voir ce qu’il y avait de plus intéressant ; le temps était trop mauvais pour aller dans la campagne, et j’ai résisté aux instances que me faisaient les personnes pour lesquelles j’avais des lettres. J’ai été à Bath comme à Londres très-satisfait de l’hospitalité des Anglais ; plusieurs m’ont offert leurs maisons pour tout le teints que je voudrais rester aux eaux et tous m’ont reçu avec une bonhomie que je n’ai pas souvent rencontrée en France.

J’ai voyagé à la manière de mon oncle, c’est-à-dire seulement la nuit ; les diligences anglaises sont excellentes et il y en a un si grand nombre qu’il en part à toutes les heures du jour pour tous les points de l’Angleterre.

Maurice de Luz… est à Plymouth. J’aurais été jusque-là, si c’eût été dans la belle saison et qu’on pût voyager sur l’impériale ; mais dans l’intérieur on paye fort cher et on n’a pas l’agrément de voir le pays. J’ai bien regretté de n’avoir pas apporté mon parapluie avec moi. Ici, par le plus beau soleil, on ne peut pas sortir sans ce meuble qui est pour les Anglais comme un cinquième membre. Si vous n’avez pas de parapluie on vous regarde comme un imbécile ou un pékin. Comme il en coûte 36 ou 40 francs pour avoir la jouissance de porter cet instrument incommode, j’ai préféré n’être pas à la mode. Tout est horriblement cher, surtout les pourboires ; on ne peut pas donner moins d’un schelling, si bien que je ne sais pas encore de quelle couleur est le cuivre de ce pays-ci. Cependant je vais le plus à pied que je peux ; quand on prend un malheureux fiacre, il a le droit de vous demander ce qu’il lui plaît ; et si par malheur il s’aperçoit que vous êtes étranger, c’est fait de vous. J’ai assez la tournure anglaise, il n’y a que le ramage qui quelquefois ne ressemble pas au plumage. Je crois néanmoins avoir fait des progrès sensibles ; je commence à entendre ceux qui parlent intelligiblement ; mais il y en a qui me désespèrent, car je crois que de ma vie je ne les entendrai. Je vais assez souvent au spectacle ; j’en sais assez pour comprendre la majeure partie; ils ont de bons acteurs ; mais les pièces ne me plaisent pas beaucoup.

J’ai été chez M. de Bourke ; il m’a fort bien reçu, mais je n’ai pas encore l’avantage de connaître madame, attendu que toutes les fois qu’il m’a invité à dîner je me suis trouvé avoir d’autres engagements. Je te prierai de prévenir papa que j’ai touché vingt £ chez M. Baring le 29 novembre. M. Rotschild est ici le roi des banquiers. Ce qu’il y a de singulier, c’est qu’il ne dépense pas deux cents louis par an pour sa maison ; il a pour tout potage un mauvais petit bureau tout noir, dont la moitié, séparée du reste par un paravent, lui sert de salon et de salle à manger. Je crois qu’on lui fait son lit le soir sur les pupitres des commis. Madame est toujours assise en face de lui. Je ne te parlerai pas de politique, attendu que je lis fort peu les journaux ; d’ailleurs, tu n’ignores sans doute pas la note officielle remise par M. de Hardenberg au gouvernement français dans laquelle il se plaint du discours du Roi et de la réponse de la Chambre et demande une explication immédiate, et c’est tout ce que j’ai lu d’intéressant depuis quelque temps. On aime beaucoup Buonaparte ici, un grand nombre d’Anglais ont toujours son portrait dans leur poche et ils parlent de lui avec bien plus d’exaltation que l’armée de la Loire.

Je te prie de m’écrire l’époque à laquelle tu comptes revenir à Paris. Je m’arrangerai de manière à arriver peu de jours après. Adieu, ma chère maman, bien des choses à tout le monde.

Je t’embrasse.

Maurice.





I


(Page 136)



Lettre de M. Maurice de Flavigny.


Strasbourg, le 6 octobre 1819.
Mon cher papa,

Comme tu l’as deviné, je n’ai pas dit un mot au ministre des promesses qu’on me faisait ailleurs ; 1° parce que dans ma lettre à M. de Cazes, j’avais manifesté le plus grand désir de suivre la carrière administrative, ajoutant que je renonçais sans regrets à des démarches pour entrer dans la diplomatie ; 2° parce que je ne pouvais pas aller demander au ministre comme à un ami : Que me conseillez-vous, cette carrière ou l’autre ? Il ne m’eût pas répondu, mais il eût pensé que je devais bien savoir moi-même ce que je voulais, que cela lui était bien égal, qu’ayant fait la politesse à mon oncle, il lui était fort indifférent que j’en profitasse. Et en effet, pourquoi aurait-il pris de l’intérêt à moi ? D’ailleurs, pour ne pas l’ennuyer, je me bornais à lui dire ce qui était strictement nécessaire et puis je faisais ma courbette. Je ne pouvais en outre pas compter beaucoup sur les promesses du G. D…

Dans l’instant je reçois une lettre de M. de Malartic qui m’assure que la chose est décidée, que je suis nommé à Londres.

Je vais faire en sorte que ma thèse soit prête pour les premiers jours de novembre. D’ici là le travail ne sera pas exécuté. J’aurai le temps de gagner davantage l’amitié de mon chef, et je pourrai lui faire mes aveux comme pour le consulter ; je lui demanderai d’abord quelles espérances je puis avoir dans la carrière administrative, et d’après sa réponse, je ferai en sorte qu’il me conseille ce qui me sera le plus avantageux. Je tâcherai aussi de me ménager une porte pour rentrer dans l’administration, s’il se présente une occasion avantageuse. Je pense que c’est la seule carrière où l’on puisse faire son chemin aujourd’hui ; elle est aussi une des plus agréables, puisqu’on n’est pas obligé de s’expatrier. Ce n’est pas sans regrets que je quitterais mon poste actuel. M. de Cazes est un homme extrêmement agréable, il est impossible d’être meilleur et plus prévenant ; jamais un mot plus haut que l’autre, ses subordonnés peuvent s’imaginer qu’ils sont ses camarades, ses égaux, il ne les traite pas moins bien.

Je ne t’en dis pas plus long, car je n’ai guère le temps et je n’aurai pas un moment à perdre pour finir ma thèse à temps.

Tout à toi.

maurice





J


(Page 144)



Je trouve dans un petit volume d’Henri Estienne, publié en 1574, de très-curieux détails sur la foire de Francfort. L’auteur célèbre avec enthousiasme la grandeur et la variété de son marché, telles que « tous les autres marchés du monde y sont en quelque sorte contenus. Il vante l’affabilité des citoyens envers les étrangers, la vigilance, la sollicitude paternelle, qu’il appelle la philoxénie, des magistrats. Sur ce point , il égale la cité de Francfort à la cité d’Athènes. Il énumère complaisamment l’abondance des repas que l’on y sert aux hôtes, les vins du Rhin qui les égayent, les aromates, les jambons de Westphalie « quæ falso Moguntinenses a nostratibus appellantur. » Il assure le lecteur que la foire de Francfort lui offrira « une foule de produits auxquels il n’a jamais songé et dont il n’a jamais entendu parler », produits fabriqués en des merveilles de l’art du potier, des vases d’or et d’argent plus artistement ciselés que n’en eurent jamais Corinthe, Samos ou Naxos. Les ouvrages de sculpture et de peinture qu’il y voit exposés lui semblent « un concours entre les Apelle, les Protogène, les Zeuxis, les Phidias et les Praxitèle. » Quant à la bonne foi des marchands, elle est du temps d’Astrée. Il n’en excepte pas les Juifs qui a oublient ici en quelque sorte l’esprit judaïque » et qui, « s’ils ne sont pas pour le marché un ornement, lui sont du moins d’un bon secours, particulièrement pour le change des monnaies ».

Mais ce que Henri Estienne exalte au-dessus de tout dans Francfort, c’est ce qu’il appelle le Marché des Muses, ou l’Exposition universelle des lettres, c’est-à-dire la réunion convoquée à l’époque des foires, des libraires, des typographes, des poètes, des orateurs, des historiens, des mathématiciens, des philosophes venus en grand nombre des académies de Wittemberg, de Leipzig, de Heidelberg, de Strasbourg, de Louvain, de Padoue, d’Oxford, de Cambridge. Il se croit à Athènes et ne se sent pas d’aise avoir ainsi les Muses « en société amicale avec Mars, et logées sous des toits presque contigus aux siens » .


Tecta colit Mavors quod nunc vicina Camœnis,
Fallor ego, aut fausto hæc omine tecta colit.
Bellorum pertæsus amat nunc ille camœnas,
Quod se indigna videt perfida bella geri.

(Francofordiensis Emporii encomium,
ab Henrico Stephano scriptum.!)





K


(Page 149)



Plus de quarante ans après, je ressentais encore cette influence. Au retour d’une excursion sur les bords du Rhin, j’essayai de rendre l’impression que j’avais eue, en revoyant à Francfort la statue de Goethe, dans le sonnet que voici :


C’était par un long soir de la saison puissante
Qui prodigue à la terre et le fruit et la fleur,
Emplit de gerbes d’or le char du moissonneur
Et gonfle aux ceps ployés la grappe jaunissante.

Les derniers feux du jour et leur calme splendeur,
Au loin, du mont Taunus doraient la cime ardente.
Le bel astre d’amour qui brille au ciel de Dante
Montait sur la cité de l’antique empereur.

Sur le haut piédestal où ta gloire s’élève,
D’un regard de Vénus, doucement, comme en rêve,
Ô Goethe ! s’éclairait ton grand front souverain,


Tandis que de silence et d’ombre revêtue,
Craintive, je baisais au pied de ta statue
Le pli rigide et froid de ton manteau d’airain.





FIN DE L’APPENDICE.