Mes prisons
Mes prisonsVanier (Messein)Œuvres complètes, tome IV (p. 448-452).
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XIX

CONCLUSION


En novembre dernier je prenais mon billet à la gare du Nord, pour la Hollande dans le dessein de faire des conférences à La Haye, Leyde et Amsterdam, où m’avaient convoqué des groupes d’artistes, de littérateurs et d’étudiants. Le voyage se passa paisiblement d’autant plus que grâce à une richesse inespérée la veille j’avais pu me procurer un coupé à moi tout seul. Depuis que je suis œgrotant, j’adore mes aises bien qu’accoutumé à la dure, maintenant.

Je traversai cette région française du Nord si triste et si monotone, à part quelques paysages, charmants vers Chantilly, sombres dans les parages de Saint-Quentin et plus loin, qu’Alexandre Ier de Russie trouvait laide par excellence à combien juste titre ! Il me fut donné ensuite de revoir à vol d’oiseau, c’est presque le mot, la Belgique autrefois habitée, comme enfant, dans la zone autrefois française des Ardennes septentrionales, nommée aujourd’hui Luxembourg belge, comme homme, et beaucoup plus tard, partout et de différentes façons. Entre autres souvenirs matérialisés fut, à Mons, l’apparition du

«… Château qui luis tout rouge et dort tout blanc[1]. »


— je veux parler de la prison cellulaire, que je n’avais jamais si bien vue du dehors. Elle est située à l’extrémité de la ville, affectant la forme d’une roue encastrée dans quatre murs constituant un rectangle, le tout terminé par le dôme polygone de la chapelle. La porte d’entrée accotée de pierre grise, a une tournure artistique et joue au gothique assez bien. La patine, peut-être, du temps écoulé et la distance, me la montrèrent alors, comme d’ailleurs le vers dont je viens de citer un fragment, me l’avaient évoqué rouge sang, ces briques qui me paraissaient autrefois, de près et peu d’années après leur emploi, rose pâle presque.

D’ailleurs, tout à mes futures conférences et ruminant rythmes, métrique, rimes, et tout l’embarras de ces sortes de « causeries » sur la poésie française et franco-belge contemporaine, je passais sans trop d’émotion dans cet asile sévère où j’ai tant souffert et tant joui il y a neuf ans de cela.

J’arrive là-bas, je fais mon occasionnel métier d’orateur ou plutôt de lecteur tant bien que mal et obtiens auprès d’un public indulgent tout le succès que je puis espérer. Je savoure pendant quelques jours trop brefs, la cordialité calme, la bonhomie fine et réfléchie de mes nouveaux amis, leurs applaudissements, leurs louanges après chaque séance, les jours suivants et dans les trois quarts des journaux littéraires et artistiques du pays, j’admire cette étrange contrée, toute verdure et toute eau, ces villes à l’architecture traditionnelle — et je reprends presque, hélas ! le train pour Paris. Je repasse à Mons et revois le

«… Château qui luis tout rouge et dort tout blanc. »

Et cette fois je me reporte au passé :

Le chemin que je viens de faire en littéral principicule, en véritable baron de la finance, sur des coussins capitonnés, entouré de tout le confortable possible et l’objet de tous égards de la part des employés de tous grades, je l’ai subi jadis, en wagon cellulaire pour descendre d’un panier à salade, dans une cour de pénitencier entre des gardiens de prison et des gendarmes pour escorte.

Là, j’ai d’abord gémi, blasphémé, d’avoir de quels vils, de quels sots, de parfois quels odieux regrets — puis, je l’ai raconté quelques pages plus haut sont venus la conversion — et le bonheur pendant une persévérance de plusieurs années. Le relâchement peu à peu s’en est suivi, puis les chutes à nouveau… Irrémédiables ?

Peut-être non, car Dieu est miséricordieux et m’a encore envoyé le malheur, ruine dans les circonstances les plus navrantes vraiment, vraiment ! déceptions, trahisons par le prochain scandalisé : dame ? aussi ? Peut-être non. Mais cette lâcheté, cette mollesse, cet entêtement derechef dans l’impénitence, entêtement instinctif, quasiment bestial…

Un faux accueil m’attendait à Paris : l’hypocrisie, le mensonge, finalement le vol, habile et cauteleux, comme plausible, de quelques billets de banque que je rapportais. Mon exaspération à ce sujet me valut dès le surlendemain un désagrément qui eût pu tourner pire, n’eût été ma modération devant la situation donnée. Une querelle très violente dans mon escalier fit venir le concierge qui appela les agents. Ceux-ci, prenant ma colère et sa véhémence pour les suites de stations trop prolongées aux lieux où l’on boit, me fourrèrent, ô pour une heure ou deux… au poste non sans inutile brutalité.

Vous décrirai-je encore ces scènes policières grotesques et, somme toute, abominables plus encore que bêtes ? Assez, n’est-ce pas, d’écœurements de ce genre. Je finis par ne plus en pouvoir à force d’évocations pénibles…

Moi le triomphateur de là-bas, l’acclamé, le choyé à l’étranger, le lendemain de mon retour, au poste ! et même pas gris ! Ô messieurs de la police française, quelle « gaffe », pour parler le langage qui vous sied et qui vous plaît ; courez donc sus aux malfaiteurs si vous l’osez, et laissez les poètes tranquilles. Ils ne vous regardent pas, dans les deux sens du verbe.

Mais c’est vrai que nul n’est prophète en son pays.

Mais, aussi ! ô le catéchisme de Mgr  Gaume, ô ne pouvoir le relire, ne vouloir, peut-être, le relire — et cette fois s’y tenir !

Dieu, néanmoins, est miséricordieux et l’espérance est une vertu théologale qu’il départ plus volontiers :

Seigneur, ayez pitié de nous.





  1. Amour, p. 18.