Mes paradis/Les Îles d’or/Les plus folles images sont vaines


XXII


Les plus folles images sont vaines
À vous rendre, ô regards entre amants.
Ô rosiers dont les fleurs diamants
Versent du plomb fondu dans les veines,

Ô poignards que l’on boit comme un vin,
Ô flambeaux de discours sans paroles,
Ô déroulement de banderoles
Sous des flots dont on est le sylvain.

Ô ciel d’eau sur quoi voguent des flûtes.
Ô lac d’or roucoulant de pigeons,
Ô Sirènes au haut des donjons
D’où s’envolent nos cœurs en volutes,


Ô châteaux d’Occident, d’Orient,
Dont les nefs ont un lys pour pilote,
la joie en souci qui sanglote
Et la peine qui danse en riant,

Ô parfums devenus cantilènes,
Ô clartés exhalant des parfums,
Ô drapeaux de triomphes défunts
Et victoires qu’on cueille à mains pleines,

Ô nuages gros d’astres vermeils
Dont les feux d’artifice nocturnes
En cataractes vident leurs urnes
De soleils aux rayons de sommeils,

Ô puits noir de la mer sidérale,
Ô bâton pour le bleu pèlerin
Qui gravit sous l’orage serein
L’escalier de l’ivresse en spirale,

Ô brouillard érigeant un décor
Où le seul spectateur fait le drame,
Ô tissu dont le vide se trame
D’un jamais festonné d’un encor,


Ô trésors tout au fond de la source
Qui commence à la fois et finit,
Ô trouvaille d’étoiles au nid,
Sirius caressant la Grande Ourse,

Ô bataille où les coups de canon
N’ôtent pas une plume au silence,
Ô hamac où le Sphinx vous balance
Et tout bas vous dit son petit nom,

Ô festin pour le rêve en fringale
Que repaissent les réalités
À la table des dieux invités,
Ô blasons dont l’orgueil se régale,

Ô voyages sous tous les climats,
Sans bouger, et la même seconde
Vous offrant Arkhangel et Golconde,
Ô tropiques parmi les frimas,

Ô tempêtes dans des barcarolles,
Ô rébus dont on est le devin,
Ô flambeaux que l’on boit comme un vin,
Ô vin dont on entend les paroles,


Ô miroirs dévorés et soûlants,
Ô bûchers dont le feu vous évente,
Ô ténèbre en lumière vivante,
Ô tonnerres muets, éclairs lents,

Ô regards entre amants, tous les mages
Se tairont effarés devant vous,
Regards doux, regards où, regards fous,
Ô tombeaux des plus folles images !