Mes paradis/Dans les remous/Je sais les soirs d’ivresse où l’on perd la mémoire


XV


Je sais les soirs d’ivresse où l’on perd la mémoire,
Les soirs qui dans un trou rejoignent les matins,
Tandis qu’à des appels de plus en plus lointains
On répond vague, avec l’air de lire un grimoire,

Quand on se sent muré comme au fond d’une armoire,
Tandis que le cerveau, tous ses flambeaux éteints,
Dérive dans la nuit sur les flots incertains
D’un lac dont se déroule à l’infini la moire,

Lac de l’inconscience, abîme noir sans fond,
Où l’on coule, où sans bruit on descend, on se fond,
Noyé qui peu à peu disparaît, plus livide,

Jusqu’à l’heure où, l’œil mort et le rictus béant,
On s’éveille, effaré d’avoir palpé le vide
Et d’avoir mis sa bouche aux lèvres du néant.